C’est ce même parti qui a semé la graine, délétère pour la démocratie, du « tous pourris », alors même que plus de 99 % des élus en France n’ont jamais été condamnés et assument leur mandat avec conviction, dévouement et, pour beaucoup, de façon totalement bénévole. Ce parti se dit par ailleurs victime d’acharnement, victime d’un système dont il utilise pourtant toutes les ficelles pour arriver à ses fins.
En l’occurrence, l’objectif du Front national, puisque c’est de lui qu’il s’agit, était de présenter le plus grand nombre de candidats aux élections municipales et départementales, sur des listes d’anonymes dont les motivations, l’implication et l’histoire n’avaient aucune importance à ses yeux. J’en veux pour preuve l’appel à candidatures lancé par le candidat « Bleu Marine », à Giberville, dans ma circonscription, en 2014. Dans un tract, ce candidat explique : « Je rappelle à celles et ceux qui pourraient s’inquiéter de voir leur nom figurer sur notre liste que les hommes peuvent se présenter sur leur deuxième ou troisième prénom et que les femmes peuvent se présenter sous leur nom de jeune fille et, également, se choisir leur prénom dans les mêmes conditions que les hommes. » Il précise également : « Aucune participation financière ou physique ne sera demandée. Aucune photo n’est à fournir. L’âge, la profession et l’adresse ne figureront sur aucun document officiel. La seule démarche à accomplir est de signer un bulletin d’inscription. Incognito en somme. » Voilà le type de tracts que le Front national a distribués pour tenter de convaincre des citoyens de se porter candidats sous sa bannière.
Faute de volontaires et malgré cet appel, ce sont des candidats « malgré eux », comme les a baptisés la presse, qui se sont retrouvés sur les listes : huit à Giberville, vingt-deux au Grand-Quevilly, six à Elbeuf, trois à Barfleur, un à Lillebonne, deux à Orléans, un à Annemasse, un à Puteaux.
Si la plupart de ces candidats malgré eux ont pu constater leur enrôlement avant le scrutin, d’autres, dont les noms figuraient sur des listes déposées au dernier moment, n’ont pu se découvrir candidats avant le vote. L’élection s’est alors déroulée avec des listes présentées aux électeurs sur lesquelles des candidats ne l’étaient pas. Mais ils avaient signé, signé un document présenté tantôt comme une pétition, tantôt comme un soutien, tantôt comme une inscription sur la liste électorale.
Ces manoeuvres délibérées et frauduleuses ont été condamnées par le tribunal administratif de Caen, pour Giberville, mais aussi par celui de Grenoble, pour Annemasse. L’élection des candidats qui se sont prêtés à ces manoeuvres frauduleuses a été annulée. Toutefois, le conseil municipal reste amputé et des candidats réels des équipes adverses sont empêchés de siéger. Ces manoeuvres ont par ailleurs entaché la sincérité du scrutin et l’analyse du rapport de force national.
Mais l’objectif était atteint pour le parti dont nous parlons : présenter le plus grand nombre de listes, présenter un score, sans se soucier de savoir si les candidats l’étaient réellement et si l’élection allait être annulée. C’est inacceptable, tout le monde en convient.
Les citoyens doivent en effet pouvoir voter pour des listes fiables, fondées sur des candidatures réelles. Les manoeuvres que j’évoquais sont lourdes de conséquences : elles dupent les électeurs, pénalisent l’ensemble des listes et peuvent engendrer des dépenses publiques nouvelles, au cas où l’organisation de nouvelles élections s’avère nécessaire. Elles touchent au fondement même de notre démocratie, dont elles remettent en cause le fonctionnement.
Il faut également prêter attention au préjudice subi par ces candidats malgré eux, qui ont vu leur nom associé à un parti politique dont ils ne partagent pas forcément les valeurs. Le traumatisme – le mot n’est pas trop fort – est particulièrement important dans certaines petites communes, je peux en témoigner.
Le texte que je vous propose cette après-midi entend lutter contre ce système, en modifiant les modalités de dépôt des candidatures de chaque colistier ou suppléant aux élections municipales, départementales, régionales, européennes, législatives et sénatoriales. En effet, si le ministère de l’intérieur n’est pas en mesure de nous fournir de statistiques précises, le phénomène a atteint une ampleur qui justifie que nous le traitions.
Ma proposition est simple, facile à mettre en oeuvre, et elle permettra de s’assurer que chaque personne ayant signé le formulaire CERFA – Centre d’enregistrement et de révision des formulaires administratifs – de candidature a agi en toute connaissance de cause.
Vous le savez, les déclarations de candidature à ces différents scrutins sont des démarches collectives : le responsable de la liste collecte la déclaration de chacun des candidats puis dépose les formulaires, accompagnés des pièces justificatives, auprès des services préfectoraux. Cette procédure vise à éviter la multiplication des démarches et l’encombrement inutile des services de l’État qui enregistrent les déclarations de candidature.
Le problème est que ces modalités ne prémunissent pas, dans l’état actuel, contre des manoeuvres de responsables politiques mal intentionnés, on a pu le constater. Or, une fois la liste enregistrée et le délai légal de dépôt dépassé, il n’est plus possible de la modifier ; les candidats inscrits contre leur gré ne peuvent donc se retirer. La seule voie de recours est alors de saisir le juge de l’élection, lequel peut constater les manoeuvres et invalider l’élection de la liste concernée, en assortissant éventuellement cette décision d’une peine d’inéligibilité pour les candidats qui se sont livrés à ces manoeuvres.
Le dispositif que je vous propose, très simple, tend à assortir les déclarations de candidature d’une formule manuscrite de chaque signataire, par laquelle celui-ci s’engage à se porter candidat aux élections. Un justificatif d’identité sera en outre exigé afin d’établir le caractère réellement volontaire et éclairé de la démarche.
Ce texte simple, clair et facile à mettre en oeuvre poursuit un objectif essentiel : empêcher les manoeuvres frauduleuses que seul le Front national s’est autorisé à pratiquer. Aussi, je ne doute pas de son adoption à une majorité très large par l’Assemblée nationale.