Intervention de Fanny Dombre Coste

Séance en hémicycle du 1er février 2017 à 15h00
Obligation de casier judiciaire vierge pour les candidats à une élection — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFanny Dombre Coste, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République :

Monsieur le président, monsieur le ministre de l’intérieur, monsieur le président de la commission des lois, chers collègues, aux fondements de la démocratie, la morale et l’honnêteté constituent un socle indispensable à la solidité des régimes représentatifs. L’éthique, discutée par Aristote, Kant et, plus récemment, Paul Ricoeur, est incontestablement une valeur cardinale de nos sociétés, plus encore à l’heure de la mondialisation et de la financiarisation de notre économie.

La probité est essentielle à la confiance des citoyens ; la confiance, indispensable à l’exercice du pouvoir par leurs représentants. Et pourtant, d’année en année, les baromètres de confiance s’affaissent, au rythme des scandales politico-financiers. Notre pays et ses institutions, de même que leurs représentants, souffrent d’une défiance sans précédent, portant directement atteinte aux conditions du débat démocratique et nourrissant les populismes de tous bords. Cette suspicion naît notamment du sentiment que les élus, pourtant chargés des affaires de nos communes, de nos départements, de nos régions, du pays, agissent non plus pour le bien commun, mais pour des intérêts particuliers, sans considération de leurs missions et parfois même au mépris de la loi.

Ce sentiment participe au désenchantement démocratique. Il fait peser une suspicion sur l’engagement pourtant sincère, pourtant exemplaire, pourtant désintéressé, de centaines de milliers d’élus. Ce sont bien les dérives d’une infime minorité qui pense jouir d’une insupportable impunité, s’imaginant au-dessus des lois, qui jettent le discrédit et l’opprobre sur l’ensemble de la classe politique, sapant la confiance de nos concitoyens – confiance qui participe pourtant des fondations indispensables de notre République. Manquement à la probité, corruption active et passive, délit de favoritisme, prise illégale d’intérêt, fraude fiscale, emplois fictifs, harcèlement : ces mots reviennent tels des refrains dans l’actualité et concourent à creuser le fossé entre élus et citoyens. Ils alimentent une colère juste, mais aux effets délétères. Comment admettre que des individus auteurs de faits révélant un manque de considération à l’égard de la collectivité, un défaut de civisme dans la gestion des affaires de tous, puissent solliciter les suffrages des Français ? Cela représente à mes yeux, à nos yeux, une réelle faillite déontologique portant gravement atteinte à l’ordre social.

Face à une telle situation, il était urgent d’agir. La législature qui s’achève aura permis de réelles avancées sur le front de la moralisation de la vie publique, et je souhaite ici les souligner.

Tout d’abord, les lois ordinaires et organiques d’octobre 2013, relatives à la transparence de la vie publique, ont marqué un progrès réel en matière de lutte contre les conflits d’intérêts. La mise en place d’une haute autorité disposant de moyens d’investigation importants, la publication des déclarations de patrimoine et d’intérêts doivent contribuer à assurer les citoyens du respect des règles éthiques par les responsables publics.

La loi du 6 décembre 2013, ensuite, a permis de renforcer la poursuite et la répression des infractions en matière de délinquance économique, financière et fiscale. Ce durcissement des peines était indispensable, alors que se propage chez les Français le sentiment d’une justice à deux vitesses, protégeant les puissants.

Enfin, la loi Sapin 2, considérablement enrichie par les parlementaires et récemment adoptée, constitue une étape essentielle dans la lutte contre les atteintes à la probité et contre la corruption, par la protection des lanceurs d’alerte, l’encadrement des lobbies, les moyens supplémentaires accordés à la nouvelle Agence française anticorruption, et le durcissement de l’inéligibilité des personnes condamnées.

L’Assemblée nationale a agi ; nous pouvons nous en féliciter. Monsieur le ministre, le Gouvernement a agi, et il peut légitimement en tirer fierté. Mais, forts de ce bilan, nous devons rester lucides : nous ne sommes pas parvenus à restaurer la confiance. Nous ne pouvons pas non plus nous résigner pour autant à une forme de fatalité. Nous devons être inventifs, innovants et rénover nos pratiques.

En la matière, les recommandations sont nombreuses. Déjà, en novembre 1971, Pierre Mazeaud disait : « L’incompatibilité devrait être établie entre le mandat et la malhonnêteté de l’homme, et les électeurs devraient pouvoir choisir des hommes de toutes les professions pourvu qu’ils soient honnêtes ». Le rapport de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, remis par Jean-Louis Nadal en 2015, recommandait que les élus non exemplaires soient effectivement privés de leur mandat. En 2014, le déontologue de notre assemblée, M. Ferdinand Mélin-Soucramanien, préconisait, pour sa part, l’instauration d’un quitus fiscal permettant de vérifier la régularité de la situation des candidats envers le fisc. Enfin, le service central de prévention de la corruption a proposé, en 2013, d’instaurer une obligation de casier judiciaire vierge.

Cette dernière recommandation a retenu mon attention. Elle avait été portée à ma connaissance par le président d’une association du quartier Boutonnet, à Montpellier, dans ma circonscription. Nous avons travaillé sur cette base avec mon collègue sénateur, M. Henri Cabanel, pour déposer un amendement sur le projet de loi Sapin 2. Nous avons malheureusement subi la censure du Conseil constitutionnel pour des raisons formelles, la disposition nécessitant un volet organique.

L’état actuel du droit exige des infirmières, des policiers, des taxis, des journalistes et de près de 400 autres métiers un casier judiciaire vierge. Comment pouvons-nous justifier auprès des Français que ces professionnels soient soumis à cette condition et que nous-mêmes, élus, n’y soyons pas assujettis ? L’opinion publique s’est largement mobilisée sur cette question. Les propositions de loi bénéficient d’un soutien quasi absolu de la part de nos concitoyens – une pétition recueillant près de 150 000 signatures circule en ce moment sur internet.

Ces propositions de loi visent donc à instaurer une nouvelle condition d’éligibilité, liée à la présence ou non de la mention de certaines condamnations sur le bulletin no 2 du casier judiciaire. Cette suggestion, j’en ai conscience, bouleverse les habitudes de pensée. En matière de probité, l’inéligibilité est habituellement conçue comme une peine, prononcée par le juge en répression d’un comportement fautif. Elle est donc tournée vers le passé et doit se conformer aux règles constitutionnelles en matière pénale.

Nous proposons ici d’inverser cette logique, en prévoyant non pas une peine d’inéligibilité automatique, qui subirait une censure constitutionnelle, mais bien une nouvelle condition d’éligibilité. L’objectif n’est nullement de sanctionner un coupable : il est de garantir l’éthique des candidats aux fonctions publiques. Cet élément est primordial, puisqu’il signifie que le processus n’est pas direct. La condamnation est inscrite au bulletin no 2 du casier judiciaire, et cette mention fait, ensuite, obstacle à l’éligibilité. Cette inscription n’a aucun caractère punitif et ne soulève d’ailleurs – je souhaite le rappeler – aucune difficulté lorsqu’elle induit l’impossibilité d’accéder à un ensemble de professions, au premier rang desquelles la fonction publique, alors même que la liberté d’y entrer se fonde sur l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen – le même que celui qui garantit l’éligibilité.

J’entends, à ce propos, les inquiétudes de certains de mes collègues en matière de constitutionnalité. Je tiens à préciser, une nouvelle fois, que nous nous sommes appuyés, pour rédiger ces textes, sur deux dispositions du bloc de constitutionnalité : l’article 3 de la Constitution, d’une part, qui dispose que les conditions pour être électeur, et donc éligible, sont déterminées par la loi ; l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, d’autre part, qui proclame que tous les citoyens sont admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité et sans autre distinction que celles de leurs vertus et de leurs talents. Le droit de vote est garanti à tous les citoyens sous la triple condition de majorité, de nationalité et de capacité. En revanche, l’éligibilité est susceptible de recevoir des restrictions sur le fondement des vertus de chacun.

Depuis leur dépôt en décembre dernier, les propositions de loi ont été retravaillées et précisées, et la commission des lois a apporté des modifications essentielles, afin de prévenir toute censure du Conseil constitutionnel, lequel est saisi automatiquement lors du vote d’une loi organique. Il nous a notamment semblé important de prendre en considération le cas des élus locaux, confrontés à un risque pénal accru, et parfois condamnés dans l’exercice de leurs missions pour des faits involontaires. Nous avons donc restreint le champ aux infractions en lien avec l’objet de la loi et les fautes intentionnelles caractérisées, à savoir les infractions criminelles, les manquements à la probité, les fraudes fiscales et électorales, ainsi que les délits sexuels. Bien sûr, cette liste est soumise à votre appréciation.

Je suis fière, ce soir, de soumettre au vote de l’Assemblée nationale ces deux propositions de loi, qui résonnent particulièrement avec le contexte de ces derniers jours. Cette fierté naît de mon engagement continu pour placer l’éthique au coeur de l’action politique, et de mon action politique. Ce sera donc à la fois une victoire personnelle et une victoire collective si, comme je l’espère, nous adoptons ces textes. Nous nous sommes montrés à la hauteur en commission des lois, il y a une semaine, avec un vote à l’unanimité des groupes parlementaires. Je veux en remercier tous nos collègues, sur tous les bancs.

Nous devons marteler que la vertu n’est pas accessoire et qu’elle doit devenir une condition d’exercice du pouvoir. Comme l’écrivait Montesquieu : « La vertu, dans une république, est une chose très simple : c’est l’amour de la république. »

1 commentaire :

Le 02/02/2017 à 11:46, Laïc1 a dit :

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" L’éthique, discutée par Aristote, Kant et, plus récemment, Paul Ricoeur, est incontestablement une valeur cardinale de nos sociétés, plus encore à l’heure de la mondialisation et de la financiarisation de notre économie."

Surtout Kant, avec ce philosophe on est sûr de toucher le fond de l'incompréhensibilité. Et n'oubliez pas de lui adjoindre Hegel la prochaine fois, ils sont de la même famille des filous de la pensée, les filousophes...

Vous trouvez ce commentaire constructif : non neutre oui

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