Je remercie les membres de la commission qui me font le plaisir d'être présents.
Nous tenons pratiquement un conseil par mois. Objectivement, celui qui nous attend n'est pas le plus décisif. La réunion de décembre dernier, comme c'est souvent le cas en fin de présidence, a permis de prendre un certain nombre de décisions importantes, particulièrement en matière de lutte contre l'optimisation fiscale et contre le terrorisme ; les projets de directives qui ont été adoptés font aujourd'hui l'objet du trilogue.
Le Conseil du 27 janvier est, vous l'avez rappelé, le premier sous présidence maltaise. Nos amis de Malte, même si c'est un petit État, sont très appliqués. À leur demande, nous sommes à leurs côtés dans leur tâche qui n'est pas simple consistant à favoriser des débats constructifs, des convergences et la recherche des consensus nécessaires pour adopter des textes importants.
Vous avez cité les sujets qui seront examinés lors de ce Conseil. Le premier d'entre eux, le semestre européen, est très important, d'autant que la Commission a exprimé très fermement en décembre sa volonté de faire de cet exercice, très en amont de l'examen des situations de chaque pays, un moment de vérité sur la situation de la zone euro. Il n'a pas été simple d'en finir avec la logique de « tuyaux d'orgue ». La situation de chacun des pays était examinée, sans trop se préoccuper des conséquences sur l'ensemble de la zone euro. Au total, la somme des restrictions imposées à chaque pays finissait par être préjudiciable à la zone euro ; je crois pouvoir dire que nous en avons eu la preuve dans les années que nous venons de traverser.
La Commission a inversé le raisonnement – je ne sais pas si l'on peut dire à la demande de la France, mais j'ai constamment fait valoir que cette logique des tuyaux d'orgue, chacun pris séparément, finissait par produire une musique tout à fait désastreuse : c'est d'abord l'orgue dans son ensemble qu'il faut examiner. C'est ce qu'a décidé de faire la Commission. Sa position a évolué : alors qu'elle défendait jusqu'alors le principe d'une politique budgétaire restrictive, elle s'est mise l'année dernière à plaider pour une politique neutre, ce qui constituait déjà une avancée. Désormais, vous l'avez dit, elle considère que la politique budgétaire doit être globalement expansive. La difficulté tient à ce que, pour aboutir à ce résultat, certains pays doivent continuer à mener des politiques de sérieux budgétaire, allant parfois jusqu'à ce que certains pourraient qualifier d'austérité, qui sont pourtant indispensables – le Portugal, la Grèce, l'Espagne en partie, mais aussi l'Italie – tandis que d'autres pays dont les capacités budgétaires sont excédentaires, ce dont ils peuvent être très fiers, doivent adopter une démarche inverse. Un grand pays, de surcroît dans une grande zone comme la nôtre, ne peut pas se contenter d'accumuler les surplus ; il arrive même un moment où l'accumulation des excédents, budgétaires ou de balance commerciale, devient un élément de déséquilibre de l'ensemble de la zone. Du point de vue des règles européennes et de la balance des paiements, l'Allemagne est en situation de déséquilibre, comme d'autres peuvent en situation de déséquilibre inverse. C'est là que l'on entre dans ce débat indispensable : comment faire pour moduler, pays par pays, cette vision globalement expansive ? Comment faire pour que certains pays – l'Allemagne, le Luxembourg, les Pays-Bas – conduisent des politiques ouvertement plus expansives ?
Je dis « ouvertement », parce que certains pays, y compris l'Allemagne, continuent à tenir un discours extrêmement restrictif tout en menant des politiques dans les faits plus expansives. Dans le cas de l'Allemagne, afin de faire face à l'accueil des réfugiés, l'État et les Länder ont dépensé beaucoup plus d'argent que les années précédentes. Mais, là où nous sommes très fiers de réussir à réduire le déficit de 1 milliard d'euros, comme je l'ai annoncé ce matin, les Allemands peuvent compter sur des milliards de surplus budgétaires.
La Commission a été mise en difficulté, en dépit de notre soutien explicite, que nous réaffirmerons, sur la méthode – examiner la situation globale de la zone euro pour savoir dans quelles conditions appliquer cette politique budgétaire à chacun des pays concernés. Nous sommes déterminés à plaider pour cette méthode et faire valoir à nos amis allemands que le meilleur choix pour la zone euro serait d'accroître les dépenses budgétaires et, au fond, l'investissement en Allemagne.
J'évoque l'investissement car l'analyse de la Commission comporte un deuxième volet : l'utilisation des marges de manoeuvre lorsqu'elles existent ou la réorientation des dépenses budgétaires des pays qui doivent continuer à maîtriser leur déficit en faveur de l'investissement. La zone euro n'a toujours pas retrouvé le niveau d'investissement, public et privé, d'avant la crise. Dans certains pays, c'est l'investissement public qui a particulièrement diminué : c'est le cas en Allemagne ; dans d'autres, c'est l'investissement privé : c'était le cas en France. C'est tout cela qu'il faut rééquilibrer. C'est pourquoi notre politique a visé à relancer l'investissement privé aussi bien dans les entreprises que dans le secteur du bâtiment et de la construction. Nous avons toujours maintenu l'investissement public à un niveau relativement dynamique ; ce n'est pas du tout le cas de l'Allemagne, et nous avons du mal à la convaincre de revoir sa position.
La priorité à l'investissement ressort de toutes les analyses de la Commission ainsi que de celles de la Banque centrale européenne (BCE). C'est aussi ce que traduit le plan Juncker que nous avons décidé d'amplifier en augmentant considérablement ses moyens, en allongeant sa durée et en élargissant les types d'investissement éligibles. Les crédits du plan sont principalement gérés par la Banque européenne d'investissement, en collaboration avec des banques comme la Caisse des dépôts qui sont capables de mobiliser des fonds au profit des petites et moyennes entreprises ou des collectivités territoriales, ce que ne pourrait pas faire l'Union européenne depuis Luxembourg.
Sur ce sujet qui redevient d'actualité, nous allons retrouver les mêmes débats et les mêmes confrontations qu'auparavant, mais je crois que les choses avancent – l'Allemagne a pour habitude de ne pas changer dans les mots mais de changer dans les faits –, peut-être à un rythme trop lent. Il faut maintenir la pression pour faire évoluer nos amis allemands.
Deuxième sujet qui n'est pas à l'ordre du jour, mais qui fait toujours l'objet de contacts informels : la Grèce. Un point sera sans doute fait sur l'état des discussions, en particulier sur ce qu'on appelle dans ce jargon inimitable la « revue ». Cet examen de la situation en Grèce par les institutions européennes – Commission, BCE, Mécanisme européen de stabilité (MES) – et le FMI est en cours. Tant que cette « revue » ne donne pas lieu à des commentaires positifs, sur le respect des engagements notamment, la capacité de l'Union à débloquer les crédits qui ont été décidés est limitée.
Pour l'instant, la Grèce n'est pas confrontée à des échéances lourdes, mais personne n'ignore qu'à partir de juin ou juillet, elles le deviendront. C'est l'impossibilité à faire face à des remboursements très importants qui a provoqué la crise de juillet 2015 ; cela a certes permis de conclure un accord en profondeur utile, mais dans des conditions tout à fait dommageables, y compris pour l'économie grecque.
Ensuite, il s'agit pour la Grèce d'acquérir la « crédibilité », toujours dans notre jargon, autrement dit la confiance des marchés, afin d'être en mesure, une fois son autonomie recouvrée, d'aller chercher de l'argent sur les marchés lorsqu'elle a besoin d'emprunter. Aujourd'hui, la Grèce est dans l'incapacité totale de solliciter les marchés – soit la réponse est négative, soit les taux d'intérêt sont prohibitifs. C'est la raison d'être du plan qui a été mis en place : nous prêtons à la Grèce à nos propres taux. Mais cette solution ne peut pas durer aussi longtemps qu'une tragédie grecque… Pour retourner sur les marchés, la Grèce doit certes retrouver de la crédibilité budgétaire, mais aussi de la croissance. À cet égard, la situation s'améliore substantiellement en ce moment : la croissance est plus forte que prévu, en particulier grâce au tourisme : le malheur des uns pouvant faire le bonheur des autres, la Grèce profite des incertitudes de la situation turque. Une partie de la côte sud de la Turquie, très prisée et très belle, est aujourd'hui désertée, et les touristes à la recherche d'un soleil de même qualité se replient sur la Grèce. Du coup, le taux de croissance est plus élevé en 2016, le résultat budgétaire est également meilleur que prévu, ce qui a incité le Gouvernement à atténuer certains programmes qui lui paraissaient trop durs à la fin de l'année 2016.
Reste que la Grèce ne regagnera de la crédibilité – c'est le coeur du sujet – que si le poids de sa dette est allégé. Les marchés veulent être sûrs que la Grèce est capable de rembourser globalement la dette, considérant que si elle n'est pas capable de rembourser les autres, elle ne pourra pas les rembourser. C'est ce qu'on appelle la soutenabilité de la dette. C'est sur ce point que des négociations ont commencé. Afin de convaincre un certain nombre de pays d'y participer – je pense à l'Allemagne, aux Pays-Bas, mais aussi la Slovaquie, la Slovénie, les pays baltes, la Finlande, très réticents sur le traitement de la dette grecque –, il a fallu faire trois morceaux, et distinguer les mesures de court, moyen et long terme.
Pour le court terme, il s'agit de mesures internes au MES – je n'entre pas dans la technique, ce sont des échanges de prêts contre des prêts à des taux un peu plus faibles. Ces mesures ont été actées. Toutefois, certains ont été choqués par ce qu'ils ont appelé un accroc à l'accord – là où d'autres, comme nous, considéraient que cela faisait partie du cours normal des choses – lorsque le gouvernement grec a décidé notamment d'attribuer des primes de Noël pour les petites pensions. Ces décisions ont donné lieu à une sur-réaction des Allemands en particulier, qui ont bloqué le dispositif. J'avais alors protesté vigoureusement contre cette décision parfaitement unilatérale. Finalement, ces mesures vont être mises en oeuvre.
Reste le coeur du sujet : le traitement de la dette de moyen terme. Des décisions s'imposent pour étaler la dette dans le temps, repousser autant que faire se peut le versement des intérêts, bref, lisser dans le temps le poids de cette dette pour la rendre compatible avec un développement harmonieux et une reprise de la croissance économique en Grèce. Sur ce sujet, le moment crucial interviendra en février prochain. Je ne veux pas dramatiser, mais la campagne électorale qui commence aux Pays-Bas sera très dure – cette question nourrit le populisme ; le pays le plus européen est un des pays les plus soumis à la pression populiste antieuropéenne ; la France aborde aussi des échéances électorales même si la question de la Grèce ne fait guère débat ; toutefois, si une difficulté se présente fin mai ou début juin, le gouvernement, quel qu'il soit, doit être en mesure d'être actif dans la négociation ou dans la résolution d'une crise ; en Allemagne, ce sera le début de la campagne électorale. Or, la question grecque est extrêmement prégnante dans le débat outre-Rhin. C'est l'une des raisons pour lesquelles le gouvernement actuel est précautionneux, afin de ne pas prêter le flanc à une critique que vous connaissez selon laquelle l'Allemagne paie toujours pour tout le monde, en particulier pour la Grèce. Ce discours est évidemment faux. Mais il est vrai que l'Allemagne s'acquitte de la contribution la plus importante.
Si nous ne parvenons pas à un accord de qualité en février, nous risquons de graves difficultés au mois de juin ou juillet prochain ; ce ne sera pas le meilleur moment pour les affronter. C'est pourquoi la France sera extrêmement présente et pressante pour essayer de trouver le bon accord, qui consiste à dessiner les contours du traitement de la dette à moyen terme ainsi que, sans doute, des réformes structurelles que la Grèce devra mettre en place.
Sur les questions fiscales, vous avez mentionné une réforme décisive : l'ACCIS. Nous sommes favorables à la convergence fiscale. Le Parlement a voté le taux de 28 % qui correspond à la moyenne du taux d'imposition sur les sociétés de la zone euro. Mais, sans convergence sur la base imposable, les disparités considérables d'un pays à l'autre demeureront. Le projet ACCIS doit permettre d'harmoniser les bases de l'impôt sur les sociétés. Si le taux et la base sont harmonisés, vous obtenez exactement l'inverse du dumping fiscal que certains voudraient prôner aujourd'hui, à savoir une convergence fiscale, harmonieuse et nécessaire dans des pays aussi proches les uns des autres que ceux de la zone euro.
Quant à la taxe sur les transactions financières (TTF), roman à épisodes qui vous passionne tous dont on aimerait voir disparaître la mention « à suivre » à l'issue de chacun d'eux, des avancées très importantes ont été réalisées à la fin de l'année dernière : les pays concernés par cette coopération renforcée se sont mis d'accord sur la base imposable. Le choix a été fait de retenir une base large – les actions, les dérivés, y compris les opérations intraday, autrement dit intrajournalières. La France défend l'idée d'une base large associée à un taux faible. Un taux trop élevé sur une base trop étroite pourrait avoir des conséquences en termes de délocalisations préjudiciables à tous points de vue.
Nous avons fait part de cet accord à la Commission, qui a donc élaboré un projet de texte. Nous travaillons sur le projet, de qualité, qu'elle a présenté en nous focalisant sur la question des taux que nous n'avions pas évoquée jusqu'à présent et sur les modalités d'affectation des recettes. Une réunion doit se tenir en marge du Conseil sur ce point, ce sera peut-être le moment le plus intéressant. Le mois de février sera important aussi pour la taxe sur les transactions financières.
Ce sujet est compliqué car le nombre d'États impliqués dans la coopération renforcée est relativement faible. Parmi les dix pays concernés, certains sont très fragiles – la Slovaquie, mais aussi la Belgique qui est très hésitante en raison de problèmes internes à la coalition gouvernementale. Si l'un et l'autre venaient à flancher, nous serions en dessous du seuil nécessaire pour mettre en place une coopération renforcée. Quant à l'Allemagne, si est favorable à la TTF, mais elle est également agitée de quelques contradictions internes : cette mesure figure dans l'accord de coalition entre les sociaux-démocrates et la CDU, donc le ministre Wolfgang Schäuble la soutient, mais ce n'est pas sa conviction profonde. L'une de ses dernières astuces est de considérer qu'une telle taxe devrait être mise en place au niveau mondial – c'est certain – et de demander à l'OCDE de faire des propositions en ce sens. Ce serait évidemment préférable, mais nous avons choisi de la mettre en place dans un nombre de pays suffisant. Autant je suis défavorable, en France, à une extension du champ d'application de la TTF à d'autres produits que les actions, autant je suis résolument favorable à sa mise en place dans les dix pays concernés. Les quatre principaux pays de l'Union en font partie, Royaume-Uni mis à part : Allemagne, France, Italie et Espagne. Nous avons une base importante pour les transactions financières de toute nature.
Autant de sujets qu'il faut suivre attentivement, car ils feront l'actualité de février à juin prochain.