Vos questions ne sont pas simples, car certaines déclarations sont extrêmement récentes, telles que celles de mon homologue britannique.
Je ne sais pas s'il faut parler de paradis fiscal. Un paradis fiscal est un pays où il n'y a pas de fiscalité – cela arrive dans certaines parties du territoire de la Couronne – et où l'on peut dissimuler des choses. La position du ministre britannique est de diminuer tous les impôts, il s'agit plutôt d'une fiscalité extrêmement accommodante, à la manière irlandaise, que d'une volonté de dissimulation. Il faut reconnaître que la Grande Bretagne a été un des partenaires importants de la lutte contre l'optimisation fiscale agressive et un certain nombre de mécanismes de dissimulation, même si dans quelques îles qui gravitent dans l'orbite de la couronne britannique, l'effort de transparence a été douloureux. Aujourd'hui, nous ne pouvons pas faire de reproche au Royaume-Uni de ce point de vue.
En revanche, baisser toutes les charges et les impôts pour anticiper les difficultés à venir de la Grande Bretagne et maintenir la « compétitivité » du pays dans ce domaine aurait des conséquences très sérieuses. Les impôts sont une recette pour l'État, qui a des politiques à mener. Ainsi, dans le domaine militaire, la Grande Bretagne a, selon le mode de calcul, le deuxième ou le premier budget dans l'Union, ce qui n'est pas possible sans ressources importantes. Et il faut évidemment y ajouter les dépenses sociales et les programmes de relance.
Il est trop tôt pour donner la réaction des ministres des finances de l'Union européenne ; tout ce que je sais, c'est que nous n'aimons pas cela. Entre ministres des finances, nous cherchons les convergences. Que l'un d'entre nous annonce qu'il ne cherche pas la convergence, mais une divergence franche et massive, est très choquant. Néanmoins, cela semble plus faire partie des approximations et des indécisions du Gouvernement britannique et des contradictions de sa majorité conservatrice sur ce sujet. Ce qui transparaît, même après le discours de Mme May qui a remis les choses au clair en fin de matinée, c'est une très grande improvisation face à une situation que ni les partisans ni les opposants au Brexit n'avaient prévue – en l'occurrence le Brexit…
De plus, c'est un processus très compliqué. On parle toujours de ce que sera la situation après, mais il ne faudrait pas oublier la situation en cours : le divorce est d'une complexité absolument considérable, rien de tel n'a jamais été fait. Ces déclarations traduisent toutes les contradictions au sein du Gouvernement britannique et de sa majorité. Pour l'instant, aucun vote n'a eu pour effet de réduire les impôts en Grande-Bretagne. On entend des menaces, des positions d'entrée en négociation, mais tenter d'instaurer des rapports de force quand on est très faible est rarement profitable.
La première conséquence de tout cela – sans parler des récents commentaires de M. Donald Trump – de renforcer la solidarité entre les autres pays. Souvenez-vous lors de l'annonce des résultats du référendum, la surprise et la désolation ont dominé pendant quelques jours. Les mouvements sur les marchés ont été très rapidement maîtrisés, car nous savons beaucoup mieux le faire qu'autrefois grâce à l'implication des banques centrales et des gouvernements. Ensuite, nous avons senti que les partenaires cherchaient des solutions de manière dispersée. Mais au fur et à mesure que la Grande-Bretagne durcissait son discours, les membres de l'Union européenne se sont rapprochés, une position commune a été décidée à Bratislava, et elle est tenue. Aucun des vingt-sept n'agit dans son coin. Face à une telle attitude de la Grande-Bretagne, tout le monde se serre les coudes.
Je ressens la même chose dans les premières réactions aux déclarations de M. Donald Trump, qui sont insensées. Elles n'ont aucune rationalité autre que celle du commentaire populiste par tweet interposé. Quel qu'ait été le parti au pouvoir, les États-Unis ont toujours été favorables à la construction européenne, peut-être pas dans toutes ses modalités, mais au moins dans le principe. Je veux rendre hommage aux États-Unis, qui ont été notre meilleur allié dans la question grecque. Nous avons toujours été très allants pour trouver des solutions, et ils ont été un allié très ferme, pesant de tout leur poids sur l'Allemagne et le Fonds monétaire international pour arriver à des accords.
Que le Président des États-Unis dise tout à coup des choses pareilles sur l'Europe n'a aucun sens au regard des intérêts du peuple américain et de l'économie américaine. Ils bénéficient d'une zone économique large, à la monnaie stable, qui facilite beaucoup le commerce, les transactions et les investissements. Ces déclarations n'ont aucun sens, et c'est ce que les principaux dirigeants européens ont traduit lorsqu'ils se sont exprimés. Je pense que ces déclarations feront l'objet de nombreuses discussions de couloir à Bruxelles jeudi 26 et vendredi 27, et nous aurons une parole cohérente et unifiée sur le sujet.
S'agissant des ressources propres, nous sommes extrêmement favorables à la démarche, et la manière dont travaille M. Monti est bonne. Le rapport final et les recommandations seront présentés lors du Conseil, et un premier débat s'engagera.
Pour autant, je ne pense pas que les ressources propres doivent remplacer la TTF. Ce n'est pas seulement une ressource, elle a la vertu de renchérir certains mouvements qui sont néfastes pour l'économie. Il ne faut jamais oublier que la TTF joue aussi un rôle de grain de sable dans les mécanismes financiers. À trop se concentrer sur la recette, on oublie son objectif, réguler et rendre plus rationnels les mouvements financiers, car on les rend plus coûteux.
La TTF fait l'objet de débats, portant notamment sur l'identité de son percepteur. La participation de petits pays est indispensable afin d'atteindre le nombre d'États suffisant pour mettre en place une coopération renforcée. Or, pour ces petits pays, comme la Slovaquie ou la Slovénie, la collecte de cette taxe coûtera plus que la recette. Ils demandent donc à raison une prise en compte globale de ces coûts, pour donner une cohérence globale au dispositif et éviter qu'il y ait trop de trous dans la raquette.
La question de l'affectation de cette recette est donc importante. Doit-elle passer par les États, qui peuvent s'engager par ailleurs à en consacrer une grande partie au financement de l'aide au développement, comme c'est notre cas ? Ou doit-elle remonter au niveau européen pour financer un certain nombre de grandes politiques ? Ce débat n'est pas tranché.
Quoi qu'il en soit, je pourrais vous parler plus largement du rapport Monti lorsque nous l'aurons examiné plus attentivement. Mais c'est une démarche que la France soutient.
S'agissant du rapprochement entre Deutsche Börse et le London Stock Exchange, nous avons fait connaître avec vigueur notre opposition et la Commission a fait part de ses interrogations, très sérieuses. Elle a notifié un certain nombre de griefs qui obligeraient à prendre des décisions lourdes pour l'opération. Du coup, il est permis d'émettre de gros doutes sur la réussite d'un tel rapprochement. Et l'attitude britannique, et le Brexit, intervenu postérieurement au lancement de l'opération, ne jouent pas en sa faveur.
Si néanmoins un tel rapprochement devait avoir lieu, des contreparties seraient nécessaires. On ne peut pas accepter qu'il n'y ait pas de chambre de compensation sur le territoire de la zone euro : si tout ce qui concerne les échanges en euros se trouve à Londres, c'est la souveraineté de l'euro qui sera mise en cause. C'est la sécurité même de l'euro qui est en jeu : en cas de défaillance technique dans les chambres de compensation à Londres, c'est le système euro qui serait lui-même mis en danger. C'est d'ailleurs la position de la Banque centrale européenne. Nous ne sommes donc pas au terme de cette affaire, et la France a fait connaître son opposition à cette opération, j'ai rencontré plusieurs fois la Commissaire à la concurrence à ce propos et elle avait tout à fait pris conscience du problème.
En Italie, certaines banques n'ont pas fait le ménage suite à la crise de 2008 ; et lorsqu'il s'est fait, nombre d'Italiens modestes, auxquels les banques avaient revendu une partie de leurs créances douteuses, en ont gardé un mauvais souvenir. C'est tout le problème : comment mener ce genre d'opération et quel doit être le degré nécessaire d'implication de l'État pour éviter qu'elle ait des conséquences sociales et politiques ? Les mésaventures précédentes ont été exploitées très efficacement par le mouvement cinq étoiles, et du coup nourri le populisme.
Je comprends que le Gouvernement italien soit précautionneux. Il a pris des décisions dans ce domaine, je pense qu'elles sont appropriées et permettront aux banques de surmonter leurs difficultés. Comme vous le savez, c'est maintenant à la Commission de se prononcer sur l'absence d'aide d'État illégale. Sur le fond, les mesures prises sont bonnes et je n'ai pas d'inquiétude sur la stabilité financière et bancaire italienne.