Intervention de Jean-Yves le Drian

Réunion du 19 janvier 2017 à 10h00
Mission d'information sur les suites du référendum britannique et le suivi des négociations

Jean-Yves le Drian, ministre de la défense :

Je vais répondre à vos questions en vous donnant mon sentiment personnel, en particulier lorsqu'il s'agit d'anticiper.

Dans mon propos liminaire, j'ai essayé de décrire la très grande étroitesse de nos relations de défense avec le Royaume-Uni.

C'est le cas dans le domaine nucléaire : nous avons des outils communs de vérification de la pérennité et de l'efficacité de nos têtes nucléaires, même si chacun dispose de sa propre « maison » sur le site de Valduc. Certes, les lanceurs sont fournis par les États-Unis. Par ailleurs, les sous-marins nucléaires britanniques sont basés en Écosse. Cela peut soulever d'autres problèmes, que je n'aborderai pas maintenant.

C'est également le cas dans le domaine opérationnel : nous avons une force de projection commune, que j'ai vue fonctionner avec succès lors de plusieurs exercices. Conformément à ce qui est prévu dans le traité, nous organisons un exercice par an et par armée ou interarmées. L'année dernière, il s'est agi d'un exercice global : une opération fictive à laquelle ont participé nos deux marines, nos deux aviations et nos deux armées de terre. Nous sommes en train d'élaborer le concept opératoire.

C'est enfin le cas dans le domaine capacitaire : nous avons mis nos industries de production de missiles en commun. C'est une activité de très haut niveau, pourvoyeuse d'emploi : MBDA et Thales UK comptent respectivement 3 000 et 6 000 salariés au Royaume-Uni.

Je ne vois donc pas quel intérêt le Royaume-Uni aurait à infléchir ces relations en quoi que ce soit. Je n'ai jamais entendu mon collègue Michael Fallon faire la moindre déclaration en ce sens. Ce n'est pas notre intérêt, mais ce n'est pas non plus celui des Britanniques. Je pense donc que ces relations vont se poursuivre.

J'en viens aux déclarations de M. Trump.

D'abord, le Royaume-Uni est profondément attaché à l'OTAN, de même que l'ensemble des pays européens, en particulier l'Allemagne, car elle serait fragilisée sans la protection de l'OTAN : elle aurait des difficultés en matière de couverture sécuritaire.

Ensuite, j'attends de disposer de déclarations officielles du Gouvernement américain. Car le futur secrétaire à la défense, le général James Mattis, insiste au contraire sur la nécessité de maintenir l'action de l'OTAN, tout en établissant sans doute un meilleur équilibre transatlantique, ce qui est une demande américaine ancienne, ainsi que l'a rappelé M. Lellouche. Sur le fond, le général Mattis annonce des objectifs qui sont globalement ceux qui ont été fixés collectivement lors du sommet de l'OTAN à Varsovie. Et le sénateur John McCain, avec qui je me suis entretenu récemment sur ces questions, ne dit pas autre chose.

Nous sommes donc dans une phase intermédiaire, où il y a des déclarations contradictoires. Il est trop tôt pour tirer des conclusions ; pour le dire rapidement, je ne vais pas anticiper sur la base de tweets ! Il faut attendre une clarification des positions des uns et des autres. De ce point de vue, j'attends avec grand intérêt la réunion des ministres de la défense de l'OTAN à Bruxelles dans une quinzaine de jours, à laquelle participera le général Mattis.

Je ne pense pas qu'il y ait lieu d'imaginer une stratégie alternative, d'autant qu'un certain nombre de pays européens, qui étaient à un moment donné très pro-américains, parfois exagérément, au point de rompre leurs engagements – je pense à la Pologne –, sont désormais très inquiets et très attentifs à ce qui va se passer. Pour notre part, nous sommes au rendez-vous. Je n'ai pas eu le moindre signe de remise en cause de l'opération à laquelle nous allons participer en Estonie sous commandement britannique.

Monsieur Myard, à un moment donné, mon collègue britannique m'a effectivement fait savoir que son armée était « fatiguée » – c'est le terme qu'il a employé – en raison de la succession des interventions en Afghanistan et en Irak. C'est en tout cas la raison qu'il donnait pour expliquer la faiblesse de l'engagement britannique dans les opérations menées à l'initiative de l'Union européenne, notamment EUTM Mali, EUTM Somalie et EUTM RCA, pour citer les trois opérations majeures de l'Union en Afrique. Cela n'empêche pas les Britanniques de participer désormais au dispositif de présence avancée rehaussée en Estonie ou aux opérations contre Daech au Levant, avec une posture à peu près identique à la nôtre tant en termes d'effectifs que de capacités, puisqu'ils ont engagé des avions de combat Tornado et Typhoon. D'une manière générale, le moral des forces britanniques semble s'être amélioré en 2016 par rapport à 2014 et 2015. Il a notamment été conforté, en 2015, par la Strategic Defense and Security Review (SDSR), équivalent de notre Livre blanc et de notre loi de programmation.

Monsieur Lequiller, je constate trois inflexions majeures dans l'attitude de l'Allemagne, depuis un an et demi, voire depuis les premiers attentats commis en France en 2015 – l'Allemagne avait alors répondu à l'appel au soutien que nous avions lancé. Ces inflexions sont donc antérieures au Brexit, même si celui-ci a pu les conforter ensuite.

Première inflexion : une volonté affichée d'augmenter le budget de défense et une augmentation réelle de celui-ci, qui est toutefois encore loin d'atteindre 2 % du PIB.

Deuxième inflexion, frappante de mon point de vue : une réactivité et un engagement beaucoup plus fort sur de nombreux théâtres, que l'on n'aurait pas pu imaginer ne serait-ce qu'il y a deux ans. Ma collègue Mme Ursula von der Leyen donne une forte impulsion en la matière, avec le soutien, manifestement, de la chancelière Mme Merkel. Cela se traduit par une série de grandes nouveautés. Dans quelques semaines, l'Allemagne va déployer des hélicoptères dans le cadre de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA). Elle est également présente dans les combats contre Daech : la frégate allemande Augsburg a été en permanence aux côtés du porte-avions Charles-de-Gaulle, dans toutes ses missions ; certes, l'Allemagne n'a pas engagé d'avions de combat, mais elle participe à l'observation, à la surveillance et à la formation. À Erbil, où je me suis rendu récemment, il y a des formateurs allemands auprès des peshmergas.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion