Contre les peuples et contre la démocratie, la finance a bel et bien pris le pouvoir et impose sa tyrannie au monde. Les banquiers centraux ont pris la main en lieu et place des gouvernements. Le shadow banking, la finance de l’ombre, représente à lui seul 38 % de la finance mondiale. L’arrivée à la Maison-Blanche du milliardaire Trump, conjuguée au Brexit, pourraient nous faire entrer dans une nouvelle ère de désenchantement.
M. Trump envisage de faire des États-Unis un immense paradis fiscal. Il projette de baisser l’impôt sur les sociétés de 35 % à 15 %. Par ailleurs, il offre l’amnistie aux repentis fiscaux américains. Mme Theresa May pense faire de même à nos portes. Le dumping fiscal est devenu féroce, la dette s’accumule et l’austérité s’aggrave.
En dépit des avancées accomplies ces dernières années, notamment sous l’impulsion de l’OCDE – je pense par exemple au plan d’action concernant l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices, ou BEPS –, le risque d’un grand bond en arrière est bien réel. Il nous revient d’affirmer un autre modèle de développement et de relations internationales misant sur la coopération fiscale, la régulation et une nouvelle gouvernance mondiale.
C’est la raison pour laquelle nous pensons que la France doit initier la tenue d’une conférence des parties, une COP de la finance et de la fiscalité, sur le modèle de la COP environnementale et sous l’égide de l’ONU.
Cette COP aurait vocation à avancer sur plusieurs chantiers, tels que la définition des paradis fiscaux, la régulation des conventions et des rescrits fiscaux et la lutte contre les dérives de la finance. Elle pourrait conduire à terme à la création d’une organisation mondiale de la finance débouchant sur l’ouverture régulière de négociations, l’évaluation des progrès obtenus et la définition de sanctions en cas de comportement non-coopératif.
Pourquoi placer cette COP sous l’égide des Nations unies ? Les travaux de l’OCDE, du G7, du G8 et du G20 ont incontestablement apporté des avancées, mais ces instances s’apparentent davantage à des clubs de pays riches qu’à de réelles instances de concertation globale. Or, au grand jeu de l’évitement fiscal, les pays en développement sont les principaux perdants. Dès lors, il faut garantir à tous une égale participation à la définition des politiques fiscales mondiales.
Aussi la démarche que nous proposons se veut-elle complémentaire et non concurrente des travaux menés par ailleurs. À cet égard, la nouvelle présidence du G77 n’a-t-elle pas indiqué que la lutte contre les paradis fiscaux serait l’une de ses priorités avec, pour objectif, la mise en place d’une instance fiscale aux Nations unies ?
Voilà une formidable opportunité ! La France, par sa stature internationale, par la force et la compétence de sa diplomatie, a de nombreux atouts pour initier ce mouvement. Notre pays a vocation à porter un message de paix, de justice, de démocratie. Il a vocation à favoriser les équilibres et à être le porte-voix des plus fragiles. Une large conférence permettrait d’entendre ceux qu’on n’entend jamais. Le but est de mettre tout le monde autour de la table.
Elle permettrait également d’isoler tous ceux qui seraient tentés par l’aventure solitaire en matière fiscale et financière. Voilà un outil puissant pour générer du commun, et substituer à ce vieil adage : « l’argent est le nerf de la guerre », celui d’une autre ambition, pour faire de l’argent le nerf de la paix.
« Vivre sans espoir, c’est cesser de vivre », disait Dostoïevski. Évidemment, le combat dont il est ici question est titanesque et ne sera pas gagné du jour au lendemain. C’est le travail d’une génération. Mais lancer, sans attendre, ces discussions permettra à coup sûr de sensibiliser l’opinion et de mobiliser la société civile.
Le Conseil économique, social et environnemental vient d’ailleurs, le 18 décembre, d’appeler la France à prendre l’initiative d’une telle COP en adoptant un rapport sur l’évitement fiscal. La plate-forme des associations en lutte contre les paradis fiscaux attend de nous que nous prenions la même décision.
Enfin, notre démarche se veut résolument européenne, car le défi est immense pour l’Europe : si elle n’avance pas vers la coopération et l’harmonisation fiscale, elle disparaîtra. Il nous faut d’urgence mettre un terme aux logiques folles de dumping qui font qu’aujourd’hui quatre des pires paradis fiscaux au monde sont des membres de l’Union européenne.