Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, en déposant cette proposition de résolution européenne pour une COP de la finance mondiale, l’harmonisation et la justice fiscales, notre groupe de la Gauche démocrate et républicaine entend progresser sur le sujet mondial de l’évitement fiscal par le biais de la fraude et de l’évasion fiscales ou de l’optimisation agressive. Depuis trente ans, en raison de l’essor du numérique, de l’abolition des frontières en la matière et de la victoire idéologique des chantres de la dérégulation, le monde de la finance a pris le pouvoir, et avec lui tous ses excès.
Les scandales révélés fort justement par de courageux lanceurs d’alerte, par des journalistes persévérants, par des organisations non gouvernementales combatives mais aussi par des parlementaires comme notre rapporteur de ce jour ou par le CESE – Conseil économique social et environnemental – font état de cette dérive du système financier. D’aucuns, y compris au sein de cet hémicycle, expliquent, sans toutefois nier les excès et les malversations révélés par les affaires Swissleaks et Luxleaks ou par les Panama papers, qu’il s’agit de scories et de déviances dans un monde plutôt transparent et sain. Nous, députés du front de gauche, pensons qu’il ne s’agit pas de transgressions à la marge mais bien de pratiques consubstantielles au capitalisme financier lui-même !
Nul ne peut ignorer la simultanéité du développement de l’ingénierie financière, du caractère exceptionnel du volume des transactions financières déconnecté de l’économie réelle, de la sophistication croissante des schémas d’optimisation fiscale, d’une tendance à la baisse de l’imposition des bénéfices et de la montée en puissance des paradis fiscaux. Nul ne peut ignorer non plus les corollaires de ces dérives du système financier, notamment l’hyperconcentration des richesses – huit milliardaires possèdent autant que la moitié de l’humanité –, l’accroissement des inégalités et son coût social, économique et écologique ainsi que la montée des conflits et des guerres.
En vue de faire progresser la paix comme les conditions de l’égalité et le respect de notre planète et de ses peuples, la proposition de COP fiscale et financière que nous soumettons au débat ce jour est donc indispensable, comme la COP21 l’est aux avancées en matière de maîtrise du réchauffement climatique. Je ne reviendrai pas sur les points exposés avec talent par notre rapporteur et insisterai sur le contexte qui justifie la volonté dont elle procède de faire cesser la captation par l’oligarchie financière d’une part grandissante des richesses produites collectivement, sans nier que des avancées aient eu lieu au cours des dernières années.
Le coeur du système réside dans les dérives du système bancaire. Initialement, celui-ci avait pour objet de financer les projets d’investissement des entreprises et des ménages. Cette réalité n’a plus cours. Le système bancaire est devenu une industrie qui nourrit la spéculation et s’en nourrit, faite de transactions très rapides profitant de places offshore dont elle encourage le développement et de distributions extravagantes de dividendes, qui s’élevaient en 2016 à 57 milliards d’euros parmi les entreprises du CAC 40 ! Selon une étude du cabinet Alpha Value publiée en décembre 2013, la valeur notionnelle des produits dérivés s’élevait au premier semestre 2013 à 693 000 milliards de dollars, soit dix fois la richesse mondiale !
Le poids de la finance de l’ombre, le fameux shadow banking qui échappe pour l’essentiel au régulateur, représentait en 2013 80 000 milliards de dollars, soit la moitié du secteur bancaire traditionnel ! Ces chiffres montrent la persistance d’un risque systémique majeur et la très grande force de résistance du lobby bancaire à la régulation et au contrôle, comme l’a malheureusement démontré la faible portée de la loi bancaire votée en 2013. La bulle continue donc à gonfler, alimentée par les liquidités des banques centrales insuffisamment tournées vers l’économie réelle, les investissements et la transition écologique.
Un autre aspect de ces transactions financières mortifères mérite d’être souligné. Selon le FMI, dont chacun conviendra qu’il n’est pas le dernier des organismes gauchistes, 50 % des transactions internationales transitent par des paradis fiscaux. Comment accepter le laisser-faire en la matière, en France et ailleurs ? Les cinq principaux groupes bancaires français ont considérablement recours aux paradis fiscaux. On estimait en 2015 qu’un quart de leur activité internationale y est réalisé, un tiers de leurs filiales étrangères y est situé et un tiers de leurs bénéfices y est déclaré, ce qui n’a rien d’une surprise, car tout l’argent transitant par les paradis fiscaux passe d’abord par les banques !
Il est donc clair que celles-ci sont le maillon fort de cette chaîne de fraude et d’évasion fiscales mais aussi de blanchiment de l’argent sale, car on ne trouve pas seulement dans les places financières offshore des bénéfices dissimulés mais aussi l’argent du crime, de la drogue, de la prostitution ou du trafic d’organes. Une COP fiscale et financière constitue aussi et peut-être surtout l’engagement citoyen de lutter contre ces fléaux. Cette COP que nous appelons de nos voeux constitue également le moyen de poser devant tous les pays du monde la question de l’impôt juste et payé au bon endroit.
Les scandales mettant en cause des multinationales très profitables qui échappent à l’impôt ont fait florès depuis quelques années. Ils porteraient sur 80 milliards d’euros pour la France et 1 000 milliards pour l’Europe ! Il est en effet insupportable d’exiger de nos concitoyens des efforts supplémentaires auxquels s’ajoute souvent une diminution des services rendus tout en laissant les plus puissants s’exonérer de leur devoir au mépris de notre principe constitutionnel du juste impôt basé sur la faculté contributive de chacun !
Tel est le cas des géants du numérique, les fameux Gafa dont le recours aux sociétés écrans, aux produits hybrides, aux paradis fiscaux et aux schémas d’optimisation fiscale confinant à la fraude leur permet de mettre à l’abri des regards et des contributions les milliards d’euros qu’ils ont accumulés. L’Irlande et le Luxembourg sont les pays hôtes de ces bénéfices qui demeurent presque complètement exemptés de l’effort collectif par le biais des prix de transfert et des conventions particulières.
Le cas d’Apple en Irlande est emblématique : la Commission européenne a infligé une amende à Apple mais l’Irlande refuse de recouvrer les 13 milliards d’euros dus, ce qui montre que nous sommes très loin d’agir suffisamment en Europe pour faire cesser ces pratiques illégales ! Je rappelle que les députés du front de gauche ont dénoncé et dénoncent l’absence d’action réelle menée par le gouvernement français pour mettre un terme à ce vol organisé et identifié commis par Apple avec la complicité de l’Irlande et en fin de compte de l’Europe. En la matière, on ne se paie pas de mots : 13 milliards d’euros, ce sont des services publics et du soutien à l’emploi qui manquent aux peuples européens !