S’il s’agit seulement d’évoquer une nouvelle fois le problème des retraites agricoles, fort bien, mais s’il s’agit d’agir véritablement, alors ce débat doit être repris par les candidats à l’élection présidentielle. Je ne doute pas, cher collègue, que vous saurez imposer ce thème de campagne au candidat de votre choix et que vous saurez interpeller tous les autres candidats sur ce sujet.
Cette proposition de loi est généreuse et répond à un problème réel. Nul ne peut dire que le niveau des retraites agricoles est satisfaisant. Nous devons beaucoup de respect à tous ceux qui cultivent nos terres, qui nous nourrissent et font un travail dur. Nous en sommes tous parfaitement conscients et nous sommes solidaires de leur combat.
D’autres catégories professionnelles sont dans la même situation en ce qui concerne le niveau de leurs retraites – je pense notamment aux artisans et aux commerçants et à tous ceux et toutes celles qui ont connu une carrière heurtée, hachée et incomplète, même si la loi de 2014 tend à en atténuer les effets.
Pour toutes ces personnes, comme pour les agriculteurs, il existe l’allocation de solidarité aux personnes âgées, évoquée par la collègue qui m’a précédé à cette tribune, dont le montant est à ce jour de 800,60 euros. Cette allocation, plus communément appelée minimum vieillesse, n’est pas suffisamment sollicitée par les agriculteurs, pour au moins trois raisons. La première touche à la dignité et je comprends qu’il soit difficile pour un agriculteur de demander à la société de lui venir en aide. Le deuxième facteur dissuasif est la crainte d’un recours sur succession. La troisième raison tient à la méconnaissance d’un dispositif qui nécessite l’exécution de quelques formalités.
Peut-être faut-il s’interroger sur ce dernier point. On sait aujourd’hui que l’ASPA n’est pas demandée, loin de là, par tous ses bénéficiaires potentiels, qu’ils soient agriculteurs ou non. S’agissant du recours sur succession, il faut rappeler que l’outil de production, à savoir la ferme dans l’acception la plus large de ce terme, échappe au champ de ce recours.
Je ne prétends pas que les 800 euros de l’ASPA sont un revenu suffisant mais tous nos concitoyens de plus de 65 ans peuvent disposer de ce montant et je regrette que les agriculteurs en grande difficulté n’y recourent pas davantage.
Je voudrais aussi rappeler la raison de la modicité des retraites agricoles. Notre système de retraite est un système contributif. Cela signifie que le niveau de la retraite est fonction des cotisations versées au cours de la carrière professionnelle. La pension de retraite n’est finalement qu’un salaire différé. Dans notre pays, 80 % des retraites versées, soit près de 270 milliards d’euros, le sont selon ces critères, les 20 % restants relevant de la solidarité nationale, donc des impôts et taxes.
Faute de revenus suffisants et parfois victime de mauvais conseils, le monde agricole a souvent peu cotisé et se retrouve donc avec de petites pensions au moment de la liquidation de la retraite.
Ni les retraités ni les actifs n’y sont pour rien, bien sûr, mais il faut savoir que le ratio démographique entre actifs et retraités est aujourd’hui très défavorable. Plus de 80 % des retraites agricoles sont financées par la solidarité nationale ou la solidarité entre régimes via des systèmes de compensation – il en est de même pour les mineurs – et une telle situation s’explique par la diminution du nombre d’agriculteurs en activité. Hélas, dans un système contributif, de petites cotisations ne peuvent aboutir qu’à de petites retraites. Je vous prie de pardonner ce rappel qui peut paraître un peu technique mais tout notre système de retraite par répartition est construit sur cette architecture.
En proposant ce texte, vous nous permettez de rappeler l’action des gouvernements de gauche en faveur des retraités agricoles. Entre 1997 et 2002, le Gouvernement Jospin a permis des avancées très importantes : revalorisation globale du montant des pensions, création du statut de conjoint collaborateur par la loi du 9 juillet 1999, mise en place d’un régime de retraite complémentaire par la loi Peiro – je salue à mon tour votre remarquable travail, cher collègue – visant à garantir un niveau de pension égal à 75 % du SMIC pour une retraite complète.
Hélas, pendant dix ans, entre 2002 et 2012, la droite a ignoré cette question et l’objectif de 75 % n’a pas été atteint : on est retombé à 70 % faute d’indexation à l’inflation. Dans un courrier du 17 avril 2012, le candidat Hollande s’est engagé sur six points destinés à revaloriser les retraites agricoles. Ces engagements ont tous été tenus et concrétisés par la loi du 20 janvier 2014 réformant les retraites.
Le premier engagement visait à garantir un montant minimal des pensions égal à 75 % du SMIC. Ce rattrapage, programmé sur trois ans, sera achevé dès cette année. L’engagement est tenu.
Le deuxième portait sur l’extension de la retraite complémentaire obligatoire – RCO – aux conjoints et aux aides familiaux pour les périodes antérieures à leur affiliation obligatoire, en 2011. La solidarité nationale, au travers de l’attribution de points gratuits et non contributifs, a compensé ce qui constituait une véritable injustice.
Le troisième était celui de l’amélioration des droits à la retraite complémentaire obligatoire du conjoint survivant en étendant le dispositif de réversion. Le quatrième était celui de l’extension du dispositif de « droits combinés » au régime complémentaire, qui permet au conjoint survivant de cumuler le bénéfice des droits du défunt et des siens propres. Le cinquième visait l’assouplissement des conditions d’accès à la prestation minimale de référence garantie par le régime de base. Le sixième avait pour objet l’attribution de points gratuits de retraite proportionnelle aux personnes invalides ayant cessé leur activité.
Au cours de ce quinquennat, toutes ces mesures ont permis de redistribuer aux retraités agricoles neuf cents millions à un milliard environ de pouvoir d’achat et de revaloriser de trois cents millions annuels leur pension de 2015 à 2017 pour parvenir aux 75 %. Ce sont 659 000 retraités agricoles qui sont concernés, soit près de la moitié des retraites de droit direct.
Ce plan de revalorisation des petites retraites agricoles s’applique à l’outre-mer dans les mêmes conditions qu’en métropole. Le nombre moindre de bénéficiaires en outre-mer s’explique par le fait que les conditions de durée d’assurance ne sont pas remplies par les non-salariés agricoles ultramarins, leurs carrières étant plus courtes.
Je tiens toutefois à rappeler qu’à l’initiative de notre collègue Monique Orphé, le seuil de recours sur succession pour les bénéficiaires de l’allocation de solidarité aux personnes âgées a été porté de 39 000 à 100 000 euros, ce qui constitue une avancée significative pour tous les bénéficiaires ultramarins.
Votre proposition de loi, monsieur le rapporteur, ne manque pas de générosité et, à ce titre, ne peut pas être rejetée. D’ailleurs tout le monde l’adoptera, vous l’avez compris.
Elle soulève néanmoins un autre problème : celui du financement. Vous aviez initialement prévu un financement par des revenus provenant de ressources à destination de la caisse centrale de la mutualité sociale agricole, la MSA, sous la forme d’une contribution solidarité vieillesse complémentaire assise sur les revenus financiers des sociétés de la grande distribution alimentaire et des banques notamment. Mais sentant le risque d’inconstitutionnalité d’une disposition qui ne s’appliquerait qu’à une catégorie, vous l’avez remplacée, via un amendement voté en commission, par une disposition relevant de 0,2 à 0,3 le taux de la taxe sur les transactions financières. Dont acte.
Votre réflexion sur les petites retraites agricoles, aussi intéressante soit-elle, est loin, hélas, de prendre en compte l’ensemble de la problématique agricole, à la différence de la politique de ce gouvernement, en particulier du ministre ici présent, qui a été un interlocuteur attentif et efficace du monde agricole, dont personne ne conteste la souffrance, parfois la détresse, qui s’est manifestée ces dernières années.
Si les retraites agricole sont un élément de cette problématique et si leur revalorisation est une priorité, d’autres mesures s’imposent. Ce sera l’objet de la mission confiée à l’inspection générale des affaires sociales et au conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux – CGAAER – qui rendra ses conclusions au mois de mai prochain. Son expertise permettra de déterminer comment améliorer encore le montant des retraites agricoles.