Intervention de Christophe Premat

Séance en hémicycle du 2 février 2017 à 15h00
Égalité professionnelle entre les femmes et les hommes — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaChristophe Premat :

…ou d’une amplitude des horaires de travail largement supérieure à la durée légale d’une journée de travail, alors qu’un grand nombre de femmes, parfois seules avec des enfants, vivent dans une grande précarité. En 2015, 1,2 million de femmes salariées étaient ainsi en situation de temps partiel subi.

Ces écarts s’expliquent en grande partie par le parcours académique et professionnel des femmes. En France, les filles représentaient, en 2015-2016, 57 % des étudiants à l’université, alors qu’elles n’étaient que 43 % en 1960-1961. Leur situation s’est donc nettement améliorée au cours des cinquante dernières années, mais les écarts persistent dans le choix des filières. En effet, les filles représentent 75 % des étudiants en lettres et en sciences humaines, mais seulement 25 % des étudiants en sciences fondamentales, qui mènent aux carrières les plus prestigieuses. Déjà, au lycée, les filles sont moins nombreuses à passer le bac en série scientifique. Les modes de vie, l’éducation ou encore le fonctionnement du système éducatif expliquent ces choix d’orientation différenciés. Il existe de ce point de vue un réel travail à effectuer sur les vocations professionnelles, afin d’éviter de projeter des représentations stéréotypées à caractère essentialiste. Alors que, dans ces derniers jours de la législature, nous sommes en train d’évaluer l’application de la loi de refondation de l’école, je pense que cette question doit être soulevée, car les conséquences sociales en sont extrêmement importantes.

À la sortie du système éducatif, les femmes et les hommes sont, comme on le voit, titulaires de diplômes différents, dans des spécialités différentes. Et, même lorsque ce n’est pas le cas, les femmes se retrouvent à exercer des métiers différents, souvent moins rémunérés. Elles peuvent, en outre, être freinées dans leur carrière – lorsqu’elles n’ont pas été discriminées à l’embauche ou licenciées du fait même de la possibilité d’une maternité. Mais cela n’explique évidemment pas tout : à caractéristiques de contrat, de diplôme, d’expérience et de responsabilités égales, une femme gagne en moyenne 13 % de moins qu’un homme. Cette différence est directement liée au sexe des salariées : c’est parce qu’elles sont femmes qu’elles sont moins payées que les hommes. Tous temps de travail confondus, les hommes gagnent 35 % de plus que les femmes, selon les données 2012 du ministère du travail. Et plus on s’élève dans l’échelle des salaires, plus les écarts sont importants.

En équivalent temps plein, les femmes cadres touchent en moyenne 26,3 % de moins que leurs homologues masculins. À l’inverse, l’écart le plus faible se trouve parmi les employés – 9,3 % –, une catégorie majoritairement féminisée. Même si les écarts de salaires ont nettement baissé depuis les années 1950, le rattrapage s’est ralenti depuis les années 1990, en partie parce que les femmes demeurent à l’écart des postes à responsabilité les mieux rémunérés, ou qu’elles sont plus souvent employées dans des secteurs où les salaires sont faibles, tels que les services, le commerce ou l’aide à la personne. Ces inégalités ont une même cause : la domination masculine et la reproduction des schémas de domination patriarcale, au travail comme dans la sphère domestique. Pas moins de sept lois spécifiques ont déjà été adoptées. Les discriminations à l’embauche, dans le déroulement de la carrière ou portant sur le montant des salaires sont formellement interdites. Les négociations entre les salariés et les employeurs sont désormais tenues de transformer les relations professionnelles en faveur de l’égalité. Mais, peu contraignante, la loi n’est pas appliquée et la France demeure au 131e rang mondial sur 134 en matière d’égalité salariale.

Rappelons simplement qu’en 2014, le taux d’activité, c’est-à-dire la part des actifs exerçant un emploi et de ceux et celles en recherche d’emploi, dans la tranche d’âge de 15 à 64 ans, était de 75,5 % chez les hommes, contre 67,5 % chez les femmes. Cette différence s’accentue au fur et à mesure que la famille s’agrandit : avec un enfant, le taux d’activité des femmes est de 82,4 % – 96,2 % chez les hommes – et seuls 43 % des femmes ayant au moins trois enfants ont une activité salariée, contre 88 % pour les hommes.

Dans ce tableau, il ne faut pas oublier des catégories parfois invisibles. Nous avons ainsi évoqué, à plusieurs reprises, au sein de la délégation aux droits des femmes, le cas des femmes isolées en zone rurale, que nous avons abordé lors de l’examen du texte précédent et qui est un angle mort des politiques publiques. Notons également que les femmes ne représentent que 28 % des créateurs d’entreprises.

Le temps est donc venu de passer des bonnes intentions à des obligations de résultat. Depuis 2012, le Gouvernement, grâce, notamment, à l’action de Najat Vallaud-Belkacem et Laurence Rossignol, s’est mobilisé pour remplir un objectif : dépasser l’égalité formelle et atteindre l’égalité réelle entre les femmes et les hommes. La loi du 4 août 2014 a mis en place des mesures concrètes, des leviers d’action pour lutter contre les inégalités, où qu’elles se trouvent : du travail à la sphère familiale, de la culture et des sports jusque dans l’espace public. Par ailleurs, 42 millions d’euros ont été consacrés au plan en faveur de l’égalité professionnelle, qui vise à l’insertion des femmes et à la mixité professionnelle dans les métiers où les femmes sont sous-représentées. Grâce au soutien à la création d’entreprises depuis 2012, le nombre de femmes créatrices d’entreprises est passé de 38 000 à 82 000. Cet objectif anime l’ensemble des politiques publiques, et tous les ministères sont engagés pour lutter contre les discriminations et les violences faites aux femmes, pour faire disparaître les stéréotypes sexistes et pour promouvoir la parité et l’égalité professionnelles.

La sphère politique n’échappe pas au constat de déséquilibre entre hommes et femmes : même si l’on y trouve de plus en plus de femmes, on est encore très loin de l’égalité. La force de la loi reste supérieure aux prétendues habitudes. Lorsque les Grecs évoquaient la notion de nomos, ils se référaient à la fois à la loi et aux moeurs. Il nous appartient à présent de favoriser une inversion des moeurs et de faire en sorte que la loi puisse corriger et contraindre davantage pour que cette parité existe. De fait, au niveau local, seules trois femmes sont à la tête d’une région – sur les treize existantes –, alors qu’elles représentent près de la moitié des conseillers de ces instances, et seuls 16 % des maires sont des femmes, alors qu’elles représentent 40 % des conseillers municipaux.

Dans ma circonscription – celle des Français établis dans dix pays d’Europe du Nord – certaines sociétés sont tendues vers l’effort paritaire. Je pense notamment à la Suède, qui a presque réalisé cette parité au Parlement – le taux de féminisation s’élevant à 45 % – et dispose d’un gouvernement qui, depuis dix ans, va au-delà de la parité – je rappelle que notre gouvernement, quant à lui, respecte la parité depuis 2012. Malgré cette visibilité de la parité et des politiques encourageant la parentalité et le partage des tâches, l’égalité professionnelle est loin d’être assurée dans cette société, puisque les conseils d’administration des grands groupes sont à majorité masculine, le taux de femmes représentées ayant baissé drastiquement. Une réflexion sur les temps de vie et sur l’équilibre des carrières est constamment en discussion, dans les pays nordiques, pour permettre l’épanouissement des individus. De fait, un meilleur partage des congés parentaux entre le père et la mère serait l’une des conditions à remplir pour permettre une plus grande égalité professionnelle, même si elle n’est pas suffisante.

Au-delà des mesures adoptées, l’égalité professionnelle pourra progresser plus rapidement si le genre devient un indicateur central des politiques publiques, et si, notamment, on recoure davantage à des budgets genrés – comme nous l’avons évoqué au sein de la délégation aux droits des femmes. Une autre étape, plus globale, devra être franchie à l’avenir. Il faudra surtout veiller à ne pas régresser et à ne pas sortir du cadre équilibré mis en place au cours de ce quinquennat.

Cette proposition de loi, qui ne prétend pas épuiser le sujet, propose autant de lutter contre le sexisme qui s’exprime directement ou indirectement dans les relations de travail que de renforcer le pouvoir des salariés face aux logiques du marché, qui s’en nourrissent. Le Forum économique mondial estimait, en octobre dernier, qu’il faudrait 170 ans pour atteindre l’égalité. Faisons en sorte de poser les jalons pour une loi future réaliste, mais veillons, au préalable, à bien évaluer l’application de la loi du 4 août 2014, les privilèges n’étant pas encore abolis dans les faits. Pour toutes ces raisons, si certaines réflexions me paraissent pertinentes, j’attends les discussions à venir pour faire évoluer mon point de vue sur cette proposition de loi, qui ne me paraît pas pouvoir être votée en l’état.

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