Intervention de Yves Goasdoue

Réunion du 31 janvier 2017 à 16h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaYves Goasdoue, rapporteur :

Le ministre ayant déjà présenté le contexte de l'élaboration du texte que nous examinons, je me contenterai de vous faire part de quelques réflexions.

Nous avons mené au cours du mois de janvier presque trente auditions qui ont permis de recevoir aussi bien les administrations concernées que les organisations syndicales, le Conseil de la fonction militaire de la gendarmerie, Mme Hélène Cazaux-Charles, auteure du rapport sur le cadre légal de l'usage des armes par les forces de sécurité qui a largement inspiré nos travaux sur l'article 1er du projet de loi, les conférences représentant les juridictions, le Défenseur des droits, des représentants de la société civile…

Ces auditions ont montré le sérieux de la préparation du Gouvernement dans l'élaboration de ce texte, en particulier s'agissant de son article 1er.

Sur un sujet aussi sensible que l'usage des armes, je n'ai entendu qu'un nombre très limité de réserves, alors que le rapport remis par Mme Cazaux-Charles s'attire des louanges de toute part. Sans user de la présomption de légalité d'usage des armes, sans calquer totalement le régime qui prévalait dans le code de la défense pour la gendarmerie mais en s'en inspirant fortement, nous sommes parvenus à un point d'équilibre salué par la quasi-totalité des intéressés.

À l'exception de l'article 2 – article essentiel qui permet d'assurer l'anonymat des enquêteurs dans certaines conditions –, il me semble que ce projet de loi fait l'unanimité.

Le Sénat a effectué un travail de grande qualité. Son rapporteur, M. François Grosdidier, et moi-même avons d'ailleurs quasiment mené nos auditions de façon concomitante eu égard aux contraintes du calendrier parlementaire. Je ne reviendrai que très ponctuellement sur les amendements adoptés par le Sénat en première lecture – pour l'application de l'article 2, je proposerai par exemple un retour au champ initialement prévu par le texte du Gouvernement.

À l'article 1er, le Sénat a adopté, sur proposition de son rapporteur, un amendement visant à reformuler les conditions d'usage des armes pour arrêter un fugitif ou un véhicule. La rédaction initiale plaçait en effet les forces de l'ordre dans une situation d'insécurité juridique en cas d'usage de leurs armes, car il leur était en pratique impossible de démontrer le caractère « imminent » de la perpétration d'une atteinte à leur vie ou leur intégrité physique, aussi je salue la modification adoptée par le Sénat.

Cette rédaction semble toutefois perfectible car elle ouvre trop largement le champ d'application des cas définis aux 3° et 4° du nouvel article L. 435-1 du code de la sécurité intérieure en permettant de recourir à la force armée pour arrêter la fuite d'une personne qui serait « probablement » dangereuse. Une telle modification ne paraît pas conforme au principe de nécessité exigé par la jurisprudence, européenne ou nationale, selon lequel l'usage de la force n'est légitime que si l'individu visé constitue une véritable menace au moment du tir.

Il ne faut donc pas que la menace soit seulement probable, ni même que la personne visée soit jugée intrinsèquement dangereuse ; il est impératif que le comportement de la personne dans sa fuite soit dangereux et rende absolument nécessaire l'usage de la force armée pour écarter ce danger. Je vous proposerai donc un amendement pour modifier le texte du Sénat en ce sens.

Le Sénat a complété cet article par une modernisation tout à fait bienvenue du régime juridique d'usage des armes par les agents de surveillance de l'administration pénitentiaire. Il s'agit de les assujettir aux principes d'absolue nécessité et de stricte proportionnalité, et de leur appliquer explicitement les cas prévus aux 1° et 2° du nouvel article L. 435-1 du code de la sécurité intérieure. Je présenterai seulement sur ce point un amendement permettant d'éviter la restriction du champ d'action de ces personnels s'agissant de l'usage d'armes non létales.

À l'article 4, le Sénat a adopté un amendement utile, présenté par son rapporteur, visant à limiter la durée de la période transitoire pendant laquelle le salarié dont le comportement a été jugé incompatible avec l'exercice de ses missions peut être retiré de son emploi avec maintien de son salaire, sans que son employeur puisse engager une procédure de licenciement.

Après mûre réflexion, à raison des enseignements dégagés des auditions et de l'avis du Conseil d'État, je vous proposerai de donner un caractère obligatoire au reclassement du salarié ou, en cas d'impossibilité avérée de reclassement, au licenciement d'une personne qui ferait l'objet d'un avis administratif constatant que son comportement est incompatible avec le poste qu'elle occupe. En effet, la responsabilité de la rupture, s'agissant d'enjeux de sécurité publique, incombe davantage à l'administration qu'à l'employeur. Il ne serait pas équitable de laisser au seul employeur la responsabilité d'agir.

Le criblage est un sujet sensible. Évidemment, le salarié aura tout loisir d'assumer sa défense devant les tribunaux administratifs s'agissant de la légalité de l'avis émis par le ministre de l'intérieur, et devant les tribunaux de prud'hommes s'agissant de la réalité et de l'étendue des recherches aux fins de reclassement diligentées par son employeur.

À l'article 7, par cohérence avec l'alignement des peines prévues en cas d'outrage contre une personne dépositaire de l'autorité publique sur celles applicables en cas d'outrage à magistrat, la commission des Lois du Sénat a adopté un amendement de son rapporteur réprimant plus sévèrement la rébellion afin que cette infraction ne soit pas punie des mêmes peines que l'outrage.

Enfin, à l'article 8, la commission des Lois a suivi son rapporteur en aménageant les règles applicables en cas de refus de la personne de se soumettre au contrôle ou d'impossibilité de justifier son identité lorsqu'elle est contrôlée par un membre de l'équipe de sécurité pénitentiaire sur le domaine affecté à l'établissement pénitentiaire. Elle a adopté un dispositif cohérent avec les règles qui régissent les contrôles opérés par les agents de sécurité de la RATP ou de la SNCF, dispositif voté en séance.

Par ailleurs le Sénat a adopté un certain nombre d'articles additionnels.

Il propose ainsi de renforcer les prérogatives dont disposent certains agents de police judiciaire adjoints, en particulier les agents de police municipale.

Il crée une nouvelle filière d'activité privée de sécurité, avec l'ensemble des garanties qui s'y attachent.

Il met en place un dispositif visant à lutter contre le terrorisme en permettant en particulier l'accès des services spécialisés de renseignement, pour « l'exercice de leurs missions en matière de prévention du terrorisme », sur décision du procureur de la République ou du juge d'instruction, à des éléments de procédure qui concernent une ou plusieurs infractions terroristes.

Enfin, en matière de renseignement pénitentiaire, il clarifie le régime actuel et renforce les garanties applicables aux activités de renseignement à visée judiciaire. Il étend également la mise en oeuvre de techniques de renseignement à vocation administrative par l'administration pénitentiaire à une nouvelle finalité : la prévention des évasions ainsi que la garantie de la sécurité et du bon ordre des établissements pénitentiaires.

Quelques points de désaccords existent toutefois avec le Sénat.

À l'article 1er, il a adopté deux amendements visant à étendre aux policiers municipaux le bénéfice des dispositions des 1° et 5° du nouvel article L. 435-1 du code de la sécurité intérieure.

Il convient de rappeler que la création d'un cadre légal commun d'usage des armes entre la police et la gendarmerie nationales par l'article 1er découle en grande partie des conclusions du rapport de Mme Hélène Cazaux-Charles, qui a montré que le statu quo consistant à conserver un régime distinct entre les deux forces n'était plus justifié, en particulier au regard de leur rattachement organique, de leurs missions et des risques encourus.

La police municipale se trouve, en revanche, dans une situation très différente, puisqu'elle n'est pas placée sous la même autorité que les policiers et les gendarmes, qu'elle n'exerce pas les mêmes missions et qu'elle ne dispose pas des mêmes prérogatives. Par ailleurs, elle ne comporte pas de corps d'inspection. Selon moi, l'extension du champ d'application du 5° de l'article L. 435-1 du code de la sécurité intérieure aux agents de la police municipale serait particulièrement inopportune. Elle mettrait ces derniers en grande difficulté, et ils évolueraient dans la plus parfaite insécurité juridique à raison des conditions mêmes de la mise en oeuvre de l'autorisation qui leur serait accordée.

Par ailleurs, à l'initiative de son rapporteur, la commission des Lois du Sénat a substantiellement assoupli la procédure prévue à l'article 2 relative à l'anonymat de certains agents intervenant dans le cadre des procédures judiciaires et douanières lorsqu'il existe un risque de mise en danger de leur vie ou de leur intégrité. Nous devrons être particulièrement clairs et prudents sur un sujet qui suscite une attente immense de la part de la police, de la gendarmerie et de la douane.

D'une part, le Sénat a supprimé la précision selon laquelle l'autorisation donnée à l'agent de remplacer son identité par un numéro d'immatriculation devrait être délivrée par un responsable hiérarchique « d'un niveau suffisant ». Pour ma part, j'estime qu'il faut rétablir cette mention afin d'éviter que le supérieur hiérarchique direct soit en première ligne face à son subordonné, ce qui n'est pas satisfaisant.

D'autre part, le Sénat a étendu la possibilité de recourir à ce numéro à toutes les procédures relatives à un crime ou un délit, quel que soit le quantum de la peine encourue, alors que le projet de loi initial la réservait aux actes de procédure portant sur un crime ou un délit puni d'au moins trois ans d'emprisonnement. Je ne voudrais pas que ce projet de loi, qui doit constituer une avancée pour la police et la gendarmerie, se transforme en un véritable leurre destiné à tomber dès la première question prioritaire de constitutionnalité soulevée contre lui. Ce ne serait vraiment pas correct à l'égard des gendarmes et des policiers. Après avoir réfléchi avec les syndicats de policiers, j'ai déposé un amendement qui n'utilise plus un quantum de peine pour permettre la mise en oeuvre de l'anonymat, mais la dangerosité de la personne mise en cause qu'il faudra objectiver.

À l'article 8, la commission des Lois du Sénat a élargi aux « abords immédiats » des établissements pénitentiaires les nouvelles prérogatives reconnues aux agents des équipes de sécurité pénitentiaire. Là encore, je vous proposerai de revenir au texte initial, c'est-à-dire à la seule emprise foncière. Ce n'est pas anecdotique : à juste titre, le garde des Sceaux ne souhaite pas que des personnels dont ce n'est pas le métier interviennent sur la voie publique.

Monsieur le ministre, ce projet constitue l'un des volets du plan pour la sécurité publique annoncé par le Gouvernement le 26 octobre 2016, qui s'est par ailleurs traduit sur le plan budgétaire par de nouveaux crédits. Ce plan comportait également la suppression de nombreuses tâches indues. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce point ? Différents amendements reviendront d'ailleurs sur ce sujet.

Au cours de mes auditions, j'ai été interpellé sur la nécessité de faire bénéficier les agents de la police technique et scientifique des dispositions de l'article 2. Pouvez-vous me confirmer que la rédaction actuelle du texte satisfait cette demande, y compris lorsqu'ils agissent en qualité d'expert dans une procédure ou en cas d'ordonnance de commission d'expert ?

Enfin, s'agissant de la sécurité pénitentiaire, le Gouvernement peut-il nous indiquer comment il envisage de définir précisément le périmètre d'intervention des équipes de sécurité pénitentiaire ? Quelle formation les personnels concernés recevront-ils ?

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