Autant nous pouvons unanimement partager le soutien aux forces de l'ordre, en particulier en cette période, autant ce texte soulève plusieurs questions sur lesquelles je voudrais revenir.
Je me félicite tout d'abord de la prise de position du ministre de l'Intérieur quant au cadre légal sur l'ouverture du feu. En effet, je crois l'avoir entendu dire sur un média public que personne n'avait intérêt à un mélange des genres et des missions, ni à une confusion des cadres et des responsabilités entre la police nationale et la police municipale, et que la doctrine d'emploi de la police et de la gendarmerie nationales était homogène en tous lieux du territoire national, ce qui n'est pas le cas des polices municipales. Cette position, que vous venez de confirmer dans votre intervention, monsieur le ministre, est bienvenue.
J'aurai néanmoins quelques questions et remarques à formuler.
En ce qui concerne l'anonymisation des procédures, le rapporteur a rappelé la modification qui a été apportée par le Sénat. Il s'agissait initialement de crimes et de délits punis d'au moins trois ans d'emprisonnement. Mais le texte issu de la commission des Lois du Sénat permet le recours à l'anonymisation dans toutes les procédures en cas de crime ou de délit. C'est un glissement que je trouve pour le moins contestable. L'article soulève par ailleurs une autre question. L'extension de l'anonymat à un grand nombre de procédures est d'autant plus problématique que l'autorisation est délivrée par le responsable hiérarchique défini par décret. C'est un changement majeur puisque l'autorisation actuellement délivrée en matière de terrorisme relève du procureur général près la cour d'appel de Paris. Quelles sont les garanties particulières visant à assurer le respect effectif des droits de la défense de la personne mise en cause alors que l'identité des auteurs des procès-verbaux serait cachée ? Ce point est très important pour moi et je crois que le Syndicat de la magistrature partage cette préoccupation.
Eu égard à l'alignement des peines encourues en cas d'outrage à policier sur celles prévues pour outrage à magistrat, je rappelle que pendant la dernière campagne présidentielle, le Président de la République, alors candidat, avait pris l'engagement d'imposer l'établissement d'un récépissé pour chaque contrôle d'identité. Or cette promesse n'a pas été tenue – vous êtes bien placé pour le savoir, monsieur le ministre, la Seine-Saint-Denis ayant souvent été en pointe s'agissant de cette demande – et les relations sont parfois conflictuelles entre les forces de police et une partie de notre jeunesse. Ce n'est pas un fantasme ni une accusation gratuite visant à jeter l'opprobre sur les forces de police mais une réalité. Il me paraît donc disproportionné, lorsqu'il n'y a pas d'atteinte à l'intégrité physique, de sanctionner cet outrage par une peine d'emprisonnement, a fortiori d'une année, dans un contexte caractérisé à la fois par des relations parfois conflictuelles entre les forces de l'ordre et une partie de notre jeunesse, et par une surpopulation carcérale.
Enfin, ma dernière question intéresse l'ensemble de notre Commission, et a été d'ores et déjà largement évoquée lors de l'examen du rapport d'évaluation de l'état d'urgence. Elle concerne l'assignation à résidence des personnes faisant l'objet d'une enquête judiciaire, notamment en matière de terrorisme. Le projet de loi autorise un nouveau contournement de l'autorité judiciaire : il prévoit ainsi qu'une assignation à résidence puisse être maintenue si la personne est mise en examen mais reste libre. Autrement dit, l'appréciation faite par un magistrat sur la base d'éléments procéduraux résultant d'une enquête judiciaire et soumis à la contradiction cède devant l'appréciation du ministère de l'intérieur sur des bases non contradictoires et non sourcées. Cela soulève des interrogations. Nous avions eu à ce sujet un débat assez nourri et plutôt consensuel lors de la présentation du rapport d'évaluation de l'état d'urgence : je crois que les préoccupations que j'exprime ici avaient été assez largement partagées dans cette Commission. Qu'en est-il, monsieur le ministre, de ce nouveau contournement de l'autorité judiciaire ?