Intervention de Bruno le Roux

Réunion du 31 janvier 2017 à 16h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Bruno le Roux, ministre de l'intérieur :

Je vous remercie tous pour vos interventions et vos propos constructifs. Je m'engage à apporter, sur chaque amendement qui sera examiné en séance publique, des explications très claires et exemptes de toute caricature des positions des uns et des autres. Telle sera l'attitude du Gouvernement, s'agissant d'un texte, l'un des derniers de ce quinquennat, qui vient clore une série d'évolutions législatives rendues nécessaires par la situation de notre pays.

Je répondrai tout d'abord à M. le rapporteur.

Comme je l'ai indiqué dans mon propos introductif, des améliorations rédactionnelles devaient être apportées aux 3° et 4° de l'article 1er, la notion d'imminence ayant soulevé des difficultés. La notion de probabilité issue du texte du Sénat en soulève d'autres mais nous allons parvenir, j'en suis sûr, à une rédaction entièrement satisfaisante. Une nouvelle écriture intéressante a d'ailleurs été proposée par M. Guillaume Larrivé ; mais il me semble que celle du rapporteur dans son amendement peut constituer un point d'équilibre.

S'agissant de l'article 4, je comprends parfaitement vos interrogations quant au caractère obligatoire ou facultatif du licenciement du salarié occupant un emploi pour lequel un avis d'incompatibilité aurait été émis. Le Conseil d'État a été très clair : il a estimé qu'en raison de considérations de sécurité publique, le licenciement devait être automatique. Si le Gouvernement n'a pas fait ce choix dans le projet de loi, c'est pour laisser ce débat prospérer au Parlement s'agissant d'une loi très récente dans le cadre de laquelle il n'a pas été décidé de créer de nouvelles catégories de professions réglementées ou quasi-réglementées. Si une telle décision était prise, je m'en remettrais à la sagesse du Parlement, étant précisé qu'il est par contre indispensable de conserver l'obligation de reclassement.

En ce qui concerne les tâches indues, plusieurs chantiers ont été engagés. Pour les gardes statiques, tout d'abord. À ce jour, seules seize préfectures conservent un dispositif de garde statique et nous souhaitons aller vers leur quasi-suppression dès lors qu'il n'y a pas de circonstances particulières justifiant, non pas un besoin de garde statique mais un besoin potentiel d'une véritable activité de police. Je pense, par exemple, à des troubles potentiels. Ce passage en revue des gardes statiques a également été réalisé pour les palais de justice. Je donnerai en séance publique des éléments sur les visites médicales en garde à vue et sur les procurations.

La rédaction de l'article 2 vise bien sûr à intégrer les agents de la police technique et scientifique. Le terme « agents » englobe tous les acteurs de la procédure. En revanche, il n'inclut pas les experts, et donc pas les agents désignés en qualité d'experts. Ce choix découle du régime applicable aux experts qui prévoit pour eux des dispositions spécifiques : une inscription sur des listes pour les experts près les cours d'appels ; une compétence scientifique reconnue et une prestation de serment avec signature lorsque l'expert n'est pas sur une liste ; une désignation nominative de l'expert ; enfin, des règles spécifiques du contradictoire dans la conduite des expertises. Compte tenu de toutes ces règles, il paraissait délicat d'instaurer un dispositif spécifique qui garantisse le respect des droits de la défense et du contradictoire. Je précise que la notion d'anonymisation est apparue pour la première fois, notamment au profit des témoins, dans la loi sur la sécurité quotidienne de 2001 que j'ai eu l'honneur de rapporter à l'Assemblée nationale.

En ce qui concerne les équipes de sécurité pénitentiaire, je ne puis m'exprimer pour le garde des Sceaux mais je note que l'activité de celles-ci s'inscrira en parfaite complémentarité avec celle de la police et de la gendarmerie. S'agissant de la formation renforcée, la doctrine est en cours de finalisation. Nous vous fournirons donc plus d'éléments lors de l'examen du texte en séance publique. Les équipes de sécurité pénitentiaire ont des missions d'extraction ainsi que médicales, judiciaires et administratives. Il va y avoir une harmonisation des structures existantes. Ces équipes de sécurité pénitentiaire seront déclinées en équipes locales de sécurité pénitentiaire et bénéficieront d'un renforcement de leur formation au sein de l'École nationale d'administration pénitentiaire (ENAP) et d'une doctrine qui est en cours d'écriture.

J'indique au passage à M. Pueyo qu'un décret précisera les conditions de définition de l'emprise : on est dans une logique non pas de substitution mais de complémentarité. Le garde des Sceaux aura l'occasion de revenir sur ce point.

Je remercie M. Pascal Popelin, avec qui nous travaillons en étroite collaboration depuis plusieurs semaines, du soutien qu'il a apporté à ce texte au nom du groupe majoritaire.

Monsieur Fenech, l'approche constructive qu'a adoptée le Gouvernement l'a conduit à soutenir l'amendement relatif au partage d'informations entre le judiciaire et l'administratif. C'est un point que vous évoquez dans le rapport que vous avez remis avec M. Pietrasanta. Je me félicite donc que nous puissions en tenir compte. Nous aurons l'occasion d'examiner la question de l'usage des armes dans les lieux privés. Une personne d'ores et déjà autorisée à avoir son arme sur elle hors service peut rentrer dans un lieu privé sous réserve qu'autorisation lui en soit donnée. Mais peut-on obliger les propriétaires de ces lieux privés à accorder une telle autorisation ? Nous aurons l'occasion, en séance, de préciser ce point.

Monsieur Verchère, il y a une diminution tendancielle de l'usage des armes à feu par les forces de l'ordre. S'agissant des gendarmes, il y a eu 152 usages d'armes à feu en 1997, 90 en 2012, 71 en 2013, 67 en 2014 et 68 en 2015. Ce chiffre augmente de 20,6 % en 2016, pour atteindre 82 usages. Je précise qu'au cours de cette même période, un gendarme a été tué par arme à feu lors d'une intervention et que le nombre de gendarmes blessés par arme à feu accuse une nette augmentation, de +100 %, ce qui nous conduit à réfléchir à l'élévation du niveau de violence auquel nous avons à faire face. S'agissant des policiers, il y a eu 227 usages en 2012, 196 en 2013, 203 en 2014, 241 en 2015 et 232 en 2016. Le niveau reste donc à peu près constant. Il y a systématiquement, à chaque usage d'une arme à feu, une enquête administrative ou judiciaire.

En ce qui concerne le Bataclan, l'article 1er, tel qu'il est rédigé, permet, soit dans le cadre de la légitime défense, soit dans celui du périple meurtrier, aux militaires de l'opération Sentinelle de faire usage de leur arme à feu.

Eu égard au renseignement pénitentiaire, le soutien du ministère de l'intérieur a été souligné par le garde des Sceaux lors de son audition récente par la Commission. Là encore, la question avait fait l'objet de propositions dans le rapport de MM. Fenech et Pietrasanta visant notamment à l'affectation de personnels du ministère de l'intérieur au sein du bureau du renseignement pénitentiaire.

J'en viens à ce qui a été fait depuis mai 2012 pour prévenir des contrôles marginaux susceptibles d'être discriminatoires, monsieur Coronado. Je rappelle tout d'abord que les contrôles d'identité sont strictement encadrés par l'article 78-2 du code de procédure pénale et placés sous le contrôle de l'autorité judiciaire. Le code de déontologie de la police et de la gendarmerie nationales entré en vigueur le 1er janvier 2014 renforce la protection des droits des citoyens et conditionne la légitimité de l'action des forces de l'ordre. J'ajoute que dans le cadre de la formation, les cours de déontologie et d'éthique abordent des cas concrets de discrimination.

De plus, l'article R. 434-15 du code de la sécurité intérieure pose le principe d'une identification individuelle des policiers et des gendarmes par le port d'un numéro d'immatriculation, qualifié de matricule, qui assure aujourd'hui une totale transparence de leurs interventions et de leurs actions individuelles dans leurs relations avec la population. Ce numéro est visible sur l'uniforme – ou sur le brassard pour ceux qui interviennent en civil.

Le dispositif des caméras-piétons expérimenté depuis 2013, tant par les services de police que de gendarmerie nationale, s'inscrit là encore dans le cadre d'une volonté de rapprochement et d'apaisement entre les forces de l'ordre et notre population. Le Gouvernement pense en effet que le fait de filmer les interventions et contrôles d'identité est de nature à en apaiser le déroulement. Il est en cela conforté par les retours d'expérience qu'il reçoit des forces de sécurité. Ce dispositif a été généralisé par la loi du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, dont les décrets d'application ont été publiés.

Enfin, l'article 211 de la loi relative à l'égalité et à la citoyenneté prévoit à titre expérimental, pour une durée d'un an et dans des conditions définies par décret en Conseil d'État, que lors de chaque contrôle d'identité réalisé en application de l'article 78-2 du code de procédure pénale, il soit systématiquement procédé à l'enregistrement par les agents équipés d'une caméra mobile. Ce dispositif entrera en vigueur à la date de publication du décret en Conseil d'État et, au plus tard, le 1er mars 2017.

Je défendrai, au nom du Gouvernement, que ce dispositif complet est plus efficace que le récépissé qui n'écarte pas de nouveaux contrôles pour s'assurer de la correspondance entre le récépissé et l'identité réelle, qui constitue une lourdeur supplémentaire dans un contexte déjà très difficile pour les forces de l'ordre et qui supposerait, pour être véritablement efficace, la mise en place d'un traitement électronique, avec un traitement de données et l'élaboration d'un fichier des personnes contrôlées.

Je reviendrai en séance, monsieur Benoit, sur les concepts d'absolue nécessité et de stricte proportionnalité – et notamment sur la question de savoir comment les conjuguer et les interpréter. Ces deux critères sont, en vertu d'une jurisprudence ancienne et constante, ceux de la CEDH et ont été repris par la chambre criminelle de la Cour de cassation.

S'agissant des sommations, il n'est pas envisageable, bien entendu, de tirer sur un individu sans sommation préalable lui permettant d'infléchir son comportement et laissant au policier ou au gendarme la possibilité d'évaluer la menace et les modes de preuves qui doivent être apportés.

Vous avez raison de dire que la formation est essentielle. Dès que nous aurons adopté ce nouveau cadre d'usage des armes à feu, tant la gendarmerie que la police nationales, les douaniers et les militaires de l'opération Sentinelle seront précisément soumis à de nouvelles formations, ce qui permettra à chacune de nos forces de sécurité de repartir d'un point unique.

En ce qui concerne la prise en charge psychologique, le Gouvernement a largement oeuvré, dans le cadre de la prévention des risques, en faveur de l'augmentation du nombre de psychologues et de l'offre de prise en charge des policiers ayant eu à connaître des situations opérationnelles marquantes. Cet enjeu, qui doit faire l'objet de toutes les attentions, est donc pris en compte.

Soyez rassuré, monsieur Larrivé : comme cela a été souligné en commission de la Défense au Sénat, le nom de SMV ne changera pas.

Enfin, s'agissant, monsieur Coronado, du risque de contournement de l'autorité judiciaire pour les assignations à résidence, une question prioritaire de constitutionnalité a été posée par le Conseil d'État par arrêt du 16 janvier 2017 sur l'article 2 de la loi du 19 décembre 2016. Le Conseil constitutionnel aura donc l'occasion de trancher.

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