Nous sommes très heureux de vous présenter les résultats de cette mission d'information qui a travaillé pendant environ six mois. Nous avons organisé de nombreuses auditions, non seulement de représentants de l'industrie nucléaire, mais aussi d'experts, dont certains ont été très critiques. Nous avons notamment essayé d'établir des comparaisons internationales.
Notre premier problème a été de définir le périmètre de notre mission : qu'est-ce qu'une infrastructure nucléaire ? Qu'est-ce que le démantèlement nucléaire ? Comment appréhender l'aspect financier du démantèlement ? Au cours de nos travaux, nous sommes parvenus progressivement – Mme le rapporteur s'y est attelée avec l'énergie qui est la sienne – à sérier un certain nombre de problématiques : premièrement, la nature des provisions prévues par Areva, le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) et Électricité de France (EDF) pour le démantèlement de ces infrastructures ; deuxièmement, les éventuelles différences de coût ou de faisabilité technique en fonction de la technologie ou de la puissance, sachant que le parc nucléaire est composé non seulement de réacteurs à eau pressurisée (REP), mais aussi de réacteurs à l'uranium naturel graphite-gaz (UNGG), auxquels s'ajoutent les installations d'Areva, les laboratoires expérimentaux et les prototypes du CEA ; troisièmement, la stratégie du démantèlement.
Peut-on considérer que la France a une stratégie de démantèlement ? Lors de notre déplacement aux États-Unis, nous nous sommes rendu compte que les Américains n'avaient pas de stratégie pour le stockage des déchets ; en d'autres termes, il n'existe pas d'équivalents américains du projet de centre industriel de stockage géologique (Cigéo) ou de l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA) – je le dis pour faire plaisir à notre collègue Christophe Bouillon. Mais, dans le même temps, les Américains sont plus avancés que nous en matière de démantèlement : d'après ce qu'ils nous ont expliqué, ils ont des stratégies de démantèlement très codifiées, qui vont du stockage sur place de type « mausolée » au « retour à l'herbe » total. A contrario, la France est beaucoup plus avancée que les États-Unis pour le stockage des déchets les plus radioactifs, grâce à Cigéo, mais, en matière de démantèlement, nous faisons en quelque sorte du vélo ou, pour le dire autrement, nous sommes « en marche » sans forcément réfléchir à l'objectif ! (Sourires.)
Je tiens à souligner que la mission d'information a travaillé dans une ambiance très cordiale et constructive. Mme le rapporteur ou Mme la rapporteure – cela dépend des positions politiques (Exclamations de plusieurs commissaires de la majorité) – et moi-même avons formé un binôme efficace, avec le soutien de l'équipe administrative. Certains membres de la mission ont été très actifs, en particulier Guy Bailliart, qui a participé à de nombreuses auditions.
Je partage en grande partie les conclusions du rapport, mais il existe une divergence réelle quant à la manière dont on analyse subjectivement le problème. La filière nucléaire est à un tournant décisif de son existence ; elle est même en crise, confrontée à des problèmes industriels et financiers. Il faut donc faire attention aux termes que l'on utilise. Dans le rapport, il est question de « provisions sous-estimées », ce qui, pour le magistrat de la Cour des comptes que je suis à l'origine, a une véritable signification comptable : parler de provisions sous-évaluées revient à critiquer la sincérité des comptes et, partant, la manière dont l'entreprise est gérée.
Après avoir écouté les arguments des uns et de autres, je pense, de très bonne foi, qu'il est possible de dire que les provisions calculées par EDF sont effectivement parmi les plus basses au sein de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) – c'est un fait –, mais que les comparaisons avec les autres pays sont très difficiles à établir. Tout d'abord, il existe dans chaque pays une certaine opacité sur le sujet – on ne peut pas dire que l'information soit directement accessible. Ensuite, les périmètres sont différents, et chacun regroupe sous le thème du démantèlement des éléments parfois très hétérogènes, par exemple le coût social, ou encore le stade qu'il s'agit d'atteindre, « retour à l'herbe » ou nouvelle vocation industrielle. Toute une série de paramètres entrent en ligne de compte : l'évaluation des coûts, le taux d'actualisation des provisions, etc.
Dès lors, tous ceux qui ont tenté d'établir des comparaisons internationales, tant l'OCDE que les critiques les plus acerbes du nucléaire, s'accordent à dire que les coûts estimés par EDF sont plutôt dans la partie basse de la fourchette, voire les plus bas, notamment par rapport à l'Allemagne, au Royaume-Uni et aux États-Unis, mais que, en réalité, il est impossible de dire avec certitude que, à périmètre constant, ils sont effectivement inférieurs aux autres. Le tableau qui figure à la page 68 du rapport montre que l'évaluation par EDF du coût de démantèlement des REP n'est pas particulièrement choquante au regard des coûts de démantèlement constatés. On s'aperçoit que chaque réacteur est différent et qu'il n'y a pas de corrélation entre le coût et la technologie, ni de lien de proportionnalité entre le coût et la puissance du réacteur. Si l'on fait abstraction de ces paramètres, les coûts estimés par EDF sont plutôt dans la partie médiane de la fourchette. En tout cas, leur singularité ne saute pas aux yeux.
Certes, il existe des incertitudes sur les coûts, mais l'État actionnaire peut décider de modifier sa stratégie en ce qui concerne une partie de ces coûts. Ainsi, certaines taxes ne sont pas prises en compte dans les provisions, mais l'État pourrait très bien décider de ne pas percevoir la taxe sur les installations nucléaires de base pendant les opérations de démantèlement.
Un paramètre joue un rôle très important pour les provisions : la durée de vie des centrales. Les provisions ont été calculées par rapport à une durée de vie de quarante ans. Or, si l'on prolonge la durée de vie des centrales de vingt ans, les provisions vont fructifier pendant cette durée supplémentaire, et leur niveau actualisé sera donc, par définition, plus élevé. Nous disposons donc de leviers.
Il y a, là encore, une divergence. Je reconnais bien volontiers que, avec les provisions actuelles, nous sommes mal partis pour atteindre l'objectif d'un retour de la part de l'énergie nucléaire à 50 % en dix ans, fixé par la loi relative à la transition énergétique. Mais j'estime pour ma part que les objectifs de cette loi sont irréalisables et seront amenés à évoluer de toute manière : il n'est pas du tout certain que l'on parvienne à réduire la part du nucléaire à 50 %. C'est pourquoi nous ne faisons pas le même diagnostic sur la question des provisions.
Il n'en reste pas moins – j'essaie d'être le plus objectif possible – qu'il faut conseiller la prudence à EDF. Au coeur du débat, il y a l'affirmation par EDF que ses coûts seront moindres que ceux des exploitants des pays voisins dans la mesure où elle est l'opérateur unique d'un parc de cinquante-huit réacteurs, ce qui est source d'économies d'échelles grâce à la mutualisation de certaines dépenses, notamment de l'utilisation des machines. Tout le monde s'accorde à dire que cet effet de série existe, mais personne n'est d'accord sur sa quantification : les plus critiques estiment que cela réduira les coûts de 10 à 15 % au plus, les plus optimistes de 40 à 50 %. Notre mission a cherché un expert qui puisse nous fournir des chiffres précis, sur la base de comparaisons internationales ou d'effets de série constatés dans d'autres domaines industriels tels que la démolition des immeubles, mais personne n'a été en mesure de le faire. Sur ce point, je souscris donc à la conclusion du rapport : les hypothèses d'EDF étant plutôt optimistes et ses provisions étant basses, il faut lui donner un conseil de prudence, en l'invitant notamment à évaluer le coût du démantèlement réacteur par réacteur, alors qu'elle calcule aujourd'hui un coût global.
En définitive, je suis en désaccord avec la formulation, qui va, selon moi, trop loin, car elle met en doute la sincérité des comptes d'EDF. Je ne suis pas convaincu par cet aspect du rapport. En revanche, ce rapport a au moins deux mérites à mes yeux : il clarifie le débat et adresse un message de prudence à l'industrie nucléaire.