Merci à tous de votre intérêt pour le rapport et de vos questions, qui vont me donner l'occasion de vous parler aussi de nos recommandations.
En ce qui concerne l'idée que le démantèlement pourrait constituer une filière d'excellence en France étant donné notre expertise en matière nucléaire, il y a en effet de quoi être surpris et déçu, aujourd'hui en tout cas. Il y a bien là un créneau d'avenir pour notre pays et particulièrement pour EDF : que l'on choisisse ou non, en France et dans le reste du monde, de conserver le nucléaire, le démantèlement est inévitable et indispensable. Les opérateurs susceptibles de construire cette filière se plaignent d'ailleurs de manquer de la visibilité requise. C'est une véritable limite. Il est difficile de comprendre pourquoi le secteur ne s'est pas davantage saisi de ce dossier.
S'agissant de l'emploi, les opérateurs considèrent que les personnels nécessaires au démantèlement représentent 10 % de ceux qui oeuvrent actuellement à l'exploitation. Cette question fait l'objet d'un débat avec l'ASN, car le nombre de personnes qui resteront travailler sur les sites engage des enjeux de sécurité. Mais nous avons finalement assez peu d'éléments, en dehors du pourcentage que je viens de citer.
Sommes-nous prêts à une accélération du démantèlement ? À mon sens, non : c'est assez clair.
Concernant Areva, il y a peu à démanteler, les structures étant souvent petites et le processus ayant déjà débuté.
J'en viens à la question du seuil de libération. Étant donné nos difficultés en matière de stockage des déchets et le fait que la France est le seul pays à ne pas avoir fixé un tel seuil, ne devrait-on pas y réfléchir s'agissant des déchets très faiblement radioactifs – au point que leur radioactivité n'est pas toujours décelable ? D'autant que l'absence de seuil de libération ne nous préserve pas de l'exposition à des matériaux fabriqués avec des déchets dont l'utilisation résulte de l'application de ce seuil, par exemple lorsque nous importons des produits d'Allemagne.
Nous avons interrogé les acteurs concernés sur ce point. L'ASN juge qu'aucun problème sanitaire ou de radioprotection ne se pose, mais juge important de maintenir l'absence de seuil de libération, pour les raisons qui ont présidé jusqu'alors à ce choix : aucune discussion ni remise en cause ne doit être possible concernant ces déchets très faiblement radioactifs si l'on ne veut pas créer un brouillage qui compliquera ou empêchera le débat sur les déchets radioactifs. L'autre argument, économique, émane de l'ANDRA. Nous ne nous y attendions pas, mais il apparaît que, même du point de vue économique, la fixation d'un seuil ne serait pas la meilleure solution car nous savons maintenant bien manier ces déchets, que leur grand nombre nous a appris à gérer sur un mode industriel, alors que le coût de la détection d'une très faible radioactivité est considérable. Au total, nous y serions perdants, ce qui n'est pas nécessairement le cas d'autres pays où la quantité de déchets est bien moindre.
Nous ne remettons donc pas en cause l'absence de seuil de libération. Nous envisageons simplement, le cas échéant, une forme d'aménagement : ces déchets seraient toujours traités comme des déchets nucléaires, mais – pour le dire d'une manière un peu triviale dont j'espère qu'elle n'est pas caricaturale – pourraient n'être emballés que deux fois au lieu de trois. Ce mode de stockage, plus simple, serait peut-être un peu moins coûteux.
En ce qui concerne la marge de manoeuvre du Parlement vis-à-vis des provisions, il me semble que nous l'avons utilisée en appelant l'attention sur le problème, l'État étant l'actionnaire. Il me paraît important que nous le fassions.
J'en viens au désaccord entre le président de la mission d'information et moi-même concernant l'expression « sous-évaluation vraisemblable ». Nous en avons beaucoup discuté. Cette expression ne me paraît pas exagérée : « vraisemblable » ne signifie pas « absolument certaine », et il existe objectivement – même s'il est difficile de savoir dans quelle mesure – des coûts qui ne sont pas pris en compte par EDF. Mettons de côté les comparaisons internationales, délicates car elles mettent en relation des éléments non comparables : restent les taxes et les frais d'assurance. De même, la remise en état des sols, bien que l'on discute du fait que son ampleur peut varier selon les sites, est prévue par la loi ; en outre, c'est une exigence éthique que de rendre les sols les plus propres possibles.
On peut discuter davantage à propos des hypothèses que j'ai dites « optimistes » : ce n'est pas parce qu'elles sont optimistes qu'elles ne se vérifieront pas. Mais les évaluations restent les plus faibles de toute l'Europe. Par ailleurs, nous ne pouvons pas nous appuyer sur une expérience française de démantèlement mené jusqu'à son terme moyennant un coût comparable aux prévisions. Nous avons donc peu d'éléments pour nous rassurer.
Il convient certes de distinguer les deux parcs : le premier, le plus ancien, a été encore moins conçu pour être démantelé que le second et le caractère particulier de chaque installation complique l'extrapolation à partir de l'expérience acquise ailleurs, ainsi que l'estimation des coûts, qui, jusqu'alors, se sont toujours révélés supérieurs aux prévisions. Peut-être tout se passera-t-il donc bien concernant les 58 réacteurs à eau pressurisée toujours en fonctionnement. Mais il incombe aussi à l'opérateur de procéder au démantèlement du parc plus ancien. Or il a décidé il y a moins de six mois de revenir sur la fin du démantèlement des réacteurs graphite-gaz.
Il n'est guère rassurant de découvrir que le démantèlement est impossible plus de vingt ans après la fermeture du dernier réacteur, dix-neuf ans après la fin du démantèlement du réacteur américain qui, sans être rigoureusement identique aux nôtres, a longtemps été considéré comme celui qui leur était le plus comparable, quinze ans après le début des études conduites par EDF et après la validation de la stratégie proposée par EDF à l'ASN. Le report à 2100 de la fin du démantèlement pose aussi des problèmes éthiques.
Je souscris pleinement à la proposition d'auditionner les responsables d'EDF en commission, dont je remercie M. Stéphane Demilly. Nous les avons auditionnés à deux reprises et interrogés par écrit, mais il serait bon de leur donner l'occasion de clarifier devant vous certains points.
L'objectif, contenu dans la loi relative à la transition énergétique, consistant à ramener de 75 % à 50 % la part du nucléaire dans la production d'électricité d'ici à 2025 est-il réaliste ? A priori, au vu de ce que nous avons observé dans le cadre de cette mission, cette éventualité me paraît assez peu vraisemblable, qu'on la juge souhaitable ou non. EDF semble-t-il avoir décidé de s'en affranchir ? À mon sens, c'est assez clair ; mais EDF n'est pas le seul responsable : je rappelle que l'État est actionnaire à 85 %.
L'idée a été émise de désigner une commission indépendante qui procéderait à l'estimation des coûts. Il en existe déjà, dont la Cour des comptes. Mais il me semble également important que ce sujet ne soit pas laissé entre les seules mains des « experts », car il s'agit d'une question démocratique. Or le choix du nucléaire, quoi que l'on en pense, n'a jamais été discuté démocratiquement. Qu'on l'approuve ou non, que l'on souhaite poursuivre sur la même voie ou non, ce choix a été fait par un exécutif démocratique, certes, mais qui n'avait pas été élu pour cela ; et cela vaut de majorités de gauche comme de droite. S'il n'y a pas eu de débat démocratique, c'est parce que la plupart d'entre nous, quels que soient notre âge et l'ancienneté de notre engagement politique et démocratique, a très longtemps considéré que le sujet était extrêmement compliqué – ce qui est vrai – et qu'il revenait donc aux experts de s'en occuper. Il importe aujourd'hui que nous en parlions et qu'un débat citoyen puisse avoir lieu.
Quant à la compensation des emplois que les fermetures vont supprimer sur les sites, on y réfléchit malheureusement assez peu. Nous-mêmes, nous ne nous sommes pas penchés sur ce sujet – bien qu'il soit essentiel, car si le démantèlement n'est vécu que comme entraînant des pertes d'emplois, son acceptabilité sociale est compromise : comment réfléchir sereinement au démantèlement en se disant « je perds mon boulot, comment je nourris ma famille » et si un territoire entier qui vivait de l'activité nucléaire ne peut plus le faire ? Simplement, nous avons limité notre objet à la faisabilité technique et financière du démantèlement en raison des délais qui nous étaient impartis.
Mme Geneviève Gaillard a dit que ce rapport faisait peur. Ce n'est pas du tout notre intention, mais c'est notre rôle que de donner l'alerte. Si tout doit bien se passer, tant mieux ; mais nous n'en sommes plus à nous en remettre à ceux que l'on appelle les experts, et qui sont aussi les exploitants. Nous n'avons aucune raison de ne pas leur faire confiance, mais ce débat concerne tout le monde, et non les seuls exploitants ni même les seuls salariés du nucléaire, ne serait-ce que parce que, du point de vue financier, éthique, sanitaire et environnemental, nous sommes tous concernés. Pour se limiter à l'aspect financier, si le financement des opérations n'est pas correctement anticipé et provisionné, c'est le contribuable qui paiera – celui d'aujourd'hui, mais aussi celui de demain.
En ce qui concerne la spécificité de chaque démantèlement, je l'ai dit, les réacteurs du premier parc ont leurs particularités tandis que le second parc est homogène, ce qui laisse plutôt présager un démantèlement plus facile, plus rapide et plus maîtrisable. Certes, la réalisation des gestes techniques, même maîtrisés, en milieu radioactif ajoute une difficulté. Mais les responsables y ont déjà longuement réfléchi, il existe beaucoup de robots et la faisabilité est a priori à peu près assurée. En revanche, une autre difficulté résulte du fait que les réacteurs du second parc ont été construits au cours de la même période : même si l'on joue les prolongations pour échelonner les démantèlements, on ne pourra pas le faire indéfiniment, de sorte qu'à un moment donné, on va se retrouver avec plusieurs réacteurs à démanteler en même temps. Comme l'a dit M. Guy Bailliart, la prolongation – en elle-même débattue – ne peut donc pas être la seule stratégie.
M. Yannick Favennec, notamment, a souligné que, si les montants provisionnés ne sont pas suffisants, cela se répercutera sur le contribuable français. Je suis parfaitement d'accord, d'où notre alerte.
S'agissant des questions du président Jean-Paul Chanteguet, je ne répondrai pas à celle qui, de son propre aveu, n'appelait pas de réponse, concernant la possibilité pour EDF de relancer la construction d'un nouveau programme compte tenu de sa situation financière. Quant aux actifs dédiés, nous avons interrogé EDF qui nous a dit ne pas avoir l'intention de vendre ses actifs RTE, mais seulement de les utiliser pour garantir les emprunts. Cela pose tout de même un problème, car les actifs dédiés doivent normalement être liquides, ce qui n'est pas le cas des actifs RTE.
Dans ce rapport, le président de la mission d'information a pu exprimer ses réserves ou ses désaccords, ce qui est tout à fait normal. Je le répète, il existe objectivement des dépenses qui ne sont pas prises en compte par EDF. Les coûts sont donc bien sous-évalués, même s'ils ne le sont peut-être pas dans des proportions considérables.