Je pense, comme Éric Woerth, que lorsqu'on parle des mécanismes d'évitement fiscal et de leur impact sur la dépense publique, il faut être prudent et faire attention aux mots que l'on utilise.
Les travaux de l'OCDE sur l'érosion de la base d'imposition et le transfert de bénéfices ont montré que de nombreux contribuables pratiquaient l'optimisation fiscale et que – mais ce n'est pas du tout la même chose – la fraude fiscale, qui fut au coeur du sommet du G20 à Antalya en novembre 2015, était massive, en particulier autour de la TVA, qui est en Europe la première source de fraude. Des mesures visant à mettre un terme à cette fraude à la TVA ont été mises en place depuis le 1er janvier 2016 et commencent à porter leurs fruits, sans toutefois donner le rendement financier que l'on attendait.
Nous sommes tous d'accord, par ailleurs, pour prôner la convergence fiscale au sein de l'Union européenne, mais quelle convergence ? La France va-t-elle imposer à l'Irlande ou à l'Allemagne son modèle fiscal, mais à quel titre ? Le principe de réalité nous oblige à admettre que nous ne disposons que de notre seule force de conviction pour porter ces idées, par le biais de rapports comme celui-ci ou grâce à l'action de nos représentants au sein des organismes internationaux. Pour le reste, il n'existe aucun outil de gouvernance et, en matière de fiscalité, chaque État demeure autonome, l'OCDE n'ayant aucun pouvoir contraignant.
Je voudrais d'ailleurs m'arrêter ici sur sa convention fiscale, et plus précisément sur ses articles 5 et 7, sur laquelle j'ai eu l'occasion de me pencher lorsque j'ai travaillé à mon rapport sur l'économie numérique.
L'article 7 de la convention rappelle que les bénéfices d'une entreprise sont imposables dans l'État où elle est établie, tandis que l'article 5, définit ce qu'est un établissement stable, à savoir un établissement disposant d'une installation fixe lui servant à exercer son activité. Or cette définition ignore tout de l'économie virtuelle et numérique, a fortiori dans la mesure où l'article 5 précise que les activités comme la recherche, la publicité ou le marketing, qui sont des activités à forte valeur ajoutée, ne participent pas de la définition d'un établissement stable. Nous sommes là au coeur de notre problème.
L'Union européenne doit donc redéfinir, à partir de cet article 5, ce qu'est un établissement stable, de manière à y inclure, au-delà des activités traditionnelles de production économique, les nouvelles formes d'économie virtuelle et à empêcher les sociétés du secteur de payer leurs impôts aux îles Caïmans. Nous avons besoin d'un outil de régulation et de gouvernance – mais lequel ? –, car la France ne peut, seule, entraîner tous ses partenaires.