Intervention de Pouria Amirshahi

Séance en hémicycle du 7 février 2017 à 15h00
Sécurité publique — Motion de rejet préalable

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPouria Amirshahi :

Ce fut le cas du Premier ministre Manuel Valls quand il déclara qu’il ne donnerait « aucune consigne de retenue » aux policiers à l’occasion des manifestations contre la loi « Travail », risquant là encore de gonfler le sentiment d’impunité qui sévit déjà dans d’autres domaines, et d’abord en matière de contrôles d’identité sur une base raciale. Quand le policier prend le pas sur le politique, la société est extrêmement fragilisée, voire en danger.

C’est d’autant plus vrai que la multiplication des loi sécuritaires, le primat, depuis si longtemps, de l’idéologie du Front national dans le débat public, une culture médiatique spectaculaire et anxiogène imprègnent de plus en plus l’opinion commune d’un imaginaire sécuritaire hégémonique. C’est là, sur ce terreau, que se développent les tentations autoritaires ; c’est cela que les partis aux bruits de bottes attendent comme on attend que le fruit mûr tombe de l’arbre.

Par ce projet de loi, enfin, vous ne rendez pas service aux policiers vertueux dont personne ne parle, hormis quelques rares sociologues tels Fabien Jobard, qui nous avertit : « les policiers qui consacrent leur temps à faire de la médiation dans des conflits conjugaux ou de voisinage, le policier réserviste qui fait un travail de délégué à la cohésion entre police et population ou l’officier qui décide d’ouvrir une permanence d’écoute au sein du commissariat ou bien de faire une réunion avec les parents d’élèves : ils et elles ne s’inscrivent pas dans ce récit sécuritaire. Ils traversent l’institution comme une ombre. »

Pour ma part, vous l’aurez compris, je propose une autre approche et je vous suggère une autre méthode, plutôt que de légiférer dans l’urgence – vous avez en effet choisi la procédure accélérée – : je demande une nouvelle fois dans cet hémicycle la tenue d’un grand débat national.

Afin d’éviter toute instrumentalisation des forces de l’ordre tout comme leur mise en cause systématique, je propose que le Défenseur des droits soit investi d’une mission d’analyse du rôle et des missions de la police, comme le permet l’ article R. 434-24 du code de déontologie de la police nationale et de la gendarmerie nationale. Celui-ci prévoit en effet que la police nationale et la gendarmerie nationale sont soumises au contrôle du Défenseur des droits conformément au rôle que lui confère l’article 71-1 de la Constitution. C’est en ce sens que nous avions, avec mon collègue Noël Mamère, saisi le président de l’Assemblée nationale.

Trois éléments pourraient être étudiés, et tout d’abord la chaîne de commandement : quel est et quel devrait être le rôle du pouvoir politique dans le commandement des actions de la police ? Pourquoi n’en débattons-nous jamais ?

Deuxième question : quels principes régissent les contacts entre les policiers et les citoyens dans le cadre des manifestations ou des interpellations ? J’ai tout à l’heure fait état du changement de doctrine intervenu en matière de gestion de foules comme dans les techniques d’interpellation sans qu’il ait été véritablement explicité. Nous sommes en effet passés de la mise à distance à la conflictualité : une telle inflexion mérite un débat.

Enfin qui contrôle la police ? Un travail commun entre l’inspection générale de la police nationale, l’IGPN, et le Défenseur des droits pourrait être envisagé : je suis persuadé qu’il s’avérerait fécond.

La méthode de la comparaison européenne est sans doute la plus adaptée pour dresser un tableau des différentes doctrines existantes dont pourraient résulter des pistes d’évolution pour notre pays.

L’intérêt d’un tel travail est sa persistance dans le temps. Le Défenseur des droits n’étant pas remis en cause à chaque nouvelle législature, il pourra aborder ce travail avec le recul nécessaire.

Il est temps de cesser de cultiver l’idée d’une police virile ou chevaleresque et de privilégier notamment le rétablissement d’une police de proximité, c’est-à-dire d’une police du lien plutôt qu’une police de l’affrontement.

Dans une période où les démocraties libérales glissent parfois vers l’ordre, le fichage et les tentatives incessantes de contrôle des libertés nouvelles et où les régimes autoritaires filtrent, contrôlent et emprisonnent, soyons, nous, élus de la Nation française, les premiers à donner par notre vote un coup d’arrêt à une dérive insensée : un coup d’arrêt pour un nouveau départ !

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