Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, ayant déjà eu l’occasion d’intervenir assez longuement un peu plus tôt, je tâcherai d’être bref et surtout plus opérationnel. J’aborderai donc les différents points sur lesquels j’aimerais que nous discutions et que j’approfondirai lors de la défense de mes amendements.
Pour ma part, j’aurais aimé que la dernière grande loi de cette législature soit consacrée à la défense des libertés, à la lutte contre les discriminations – je pense notamment aux contrôles au faciès – et à bien d’autres aspects, qui concernent tout autant la police que les citoyens.
J’aurais également préféré une autre loi, dans la mesure où celle-ci est fondée sur l’émotion. Vous-même, monsieur le ministre, avez évoqué un texte issu d’une colère. Comme beaucoup, je pense que la colère n’est pas bonne conseillère. Je regrette que nous ayons, à notre tour, cédé à cette dérive consistant à légiférer sous le coup de l’émotion.
Vous avez par ailleurs qualifié cette loi d’« utile pour la reconnaissance du travail des policiers ». Je veux bien, avec vous, reconnaître que ce travail, chaque jour, sur le terrain, est difficile et complexe, mais je ne crois pas que la loi ait pour objet de se substituer à la gestion des ressources humaines de la police nationale. Ce n’est pas l’objet d’une loi.
Cela étant, ce projet de loi existe : nous devons donc l’enrichir puisqu’il est désormais soumis à notre souveraine délibération. Sur certains de ses aspects, je m’évertuerai soit à proposer la suppression de certaines dispositions, soit à les enrichir par des amendements.
Premier point : l’usage étendu des armes à feu. Cet axe important, déjà évoqué, comporte des risques. Il est demandé aux policiers d’intervenir avec discernement dans des circonstances exceptionnelles – il s’agit de tirs –, en ayant rapidement des informations sur le profil du suspect, tant sur ses antécédents, qui prouveraient sa dangerosité, que sur ses intentions. Les contestations risquent d’être nombreuses, tout comme les contentieux. Cela peut faire craindre une multiplication des contentieux et une augmentation de l’insécurité juridique pour les policiers. Le Défenseur des droits en personne craint que ce projet de loi ne « complexifie le régime juridique de l’usage des armes, en donnant le sentiment d’une plus grande liberté des forces de l’ordre, au risque d’augmenter leur utilisation ».
Deuxième point : la légitime défense, que vous avez voulu aligner, dans son principe, sur le régime applicable aux gendarmes. Il eût été plus facile d’aligner le régime des gendarmes comme des policiers sur le droit commun, c’est-à-dire sur le code pénal et son article 122-5, qui permet déjà à toute personne menacée, qu’elle soit dépositaire de l’autorité publique ou non, de se défendre lorsque son intégrité physique et sa vie sont mises en danger.
Cette loi, qui se justifie, ainsi que vous l’avez vous-même reconnu, par les incidents graves qui se sont produits à Viry-Châtillon, a pour but de corriger un fait ; or ce fait n’a pas besoin de cette loi. Le directeur général de la police nationale lui-même explique que les dispositions actuelles relatives à la légitime défense étaient parfaitement applicables aux policiers menacés dans leur véhicule. Là encore, c’est un excès de législation : il vaudrait mieux, pour les raisons de contexte que j’ai évoquées tout à l’heure, apaiser les esprits et renforcer les dispositions de droit commun existantes, lesquelles seraient très utiles aux policiers lorsqu’ils ont besoin de se défendre.
Je le dis d’autant plus volontiers que la légitime défense est souvent invoquée et reconnue aux policiers en cas de dépôt de plainte : ils ont souvent raison d’un point de vue procédural, au terme de la plupart des contentieux, au grand dam parfois de certaines familles.
Troisième point : l’anonymat. Ce n’est pas, selon moi, une garantie de protection car rien ne peut empêcher, malheureusement, les filatures mal intentionnées de policiers sortant de leur lieu de travail destinées à les menacer.
Enfin, il y a une contradiction importante, monsieur le ministre, avec le souhait de recréer une police de proximité.
On ne peut d’un côté vouloir une police de proximité qui créé un lien avec les habitants et leur permet donc d’identifier les policiers présents dans un quartier ou un territoire et, de l’autre, mettre en place et systématiser l’anonymat qui, certes, peut être réservé à des circonstances exceptionnelles mais qui me semble inutile lorsque l’on cherche à pacifier les relations entre la police et les habitants d’un quartier ou d’un territoire.
C’est sur l’ensemble de ces questions, entre autres – je ne voulais pas être trop long – que je présenterai des amendements afin d’enrichir ce texte.
Je me permets de conclure par un point très rapide.
Le droit que nous écrivons suppose un soubassement philosophique. Comme nous discutons de la dernière loi sécuritaire de la législature, je vous invite à réfléchir sur un point. J’ai trop souvent entendu dire que la sécurité est la première des libertés. Or, mesdames et messieurs les parlementaires, je ne crois pas que cela soit le cas – et telle n’est pas ma philosophie quoi qu’il en soit. La liberté, c’est d’aller, de venir, de penser, de voter, de croire, de ne pas croire mais la sécurité n’est pas une liberté en soi : c’est la condition de toutes les libertés. Je rappelle qu’entre le camp du progrès et le camp de la réaction, la divergence est fondamentale depuis 1789 : la sécurité est-elle la première des libertés – pendant longtemps, ce fut la version de l’extrême droite et du Front national – ou, au contraire, est-ce la liberté qui permet la sécurité de chaque citoyen ? Chacun comprendra, chacun sait par expérience que ce n’est pas dans les régimes autoritaires que l’on est le plus libre et le plus en sécurité.
J’insiste vraiment : ayons à coeur, alors que nous commençons cette dernière délibération d’une loi portant sur la sécurité, de ne pas inverser dans la hiérarchie philosophique les principes fondamentaux qui fondent nos institutions. Je tenais à le dire en ces termes-là car ce dévoiement principiel a malheureusement suscité de nombreux dérapages.