Intervention de Jean-Marc Ayrault

Réunion du 26 janvier 2017 à 9h15
Mission d'information sur les suites du référendum britannique et le suivi des négociations

Jean-Marc Ayrault, ministre des affaires étrangères et du développement international :

Vous évoquez les conséquences politiques du Brexit. Le changement de pied entre le vote de la résolution condamnant la colonisation israélienne le 23 décembre et la décision de ne venir qu'en simple observateur à la Conférence de Paris le 15 janvier en est une. J'ai entendu des explications très embarrassées de Boris Johnson avec qui je me suis entretenu à plusieurs reprises pour le convaincre de venir à la Conférence.

Rappelons que le Royaume-Uni, avec lequel les convergences étaient nombreuses jusqu'à présent, a participé à la rédaction de la résolution à New York qui correspond à sa position constante sur le Proche-Orient. Ce changement subit a suscité des interrogations très fortes dans le monde arabe ainsi qu'à la table du Conseil des affaires étrangères de l'Union européenne L'explication se trouve dans la volonté britannique d'aller au bout du Brexit, de s'inscrire dans un partenariat renouvelé avec les États-Unis et d'engager des négociations en vue d'un accord de libre-échange avec ce pays.

Doit-on s'attendre à d'autres conséquences politiques ? C'est possible, mais nous le verrons au fur et à mesure. À ce jour, nous ignorons la position de la nouvelle administration américaine et du nouveau président sur bien des sujets : la lutte contre le terrorisme, les relations avec la Russie, l'accord sur le nucléaire iranien, le dossier syrien ou encore la conception des échanges commerciaux à l'échelle mondiale. Rien ne dit qu'à un moment donné, les positions britanniques traditionnelles ne seront pas mises en difficulté. Pour l'heure, je ne suis pas en mesure de répondre.

Cette tactique britannique est-elle motivée par des considérations de politique intérieure ? C'est possible. Le gouvernement peut ainsi faire valoir, pour justifier la sortie de l'Union européenne, qu'il dispose d'une alternative, que le partenariat avec les États-Unis est une bien meilleure solution et que d'autres accords de libre-échange seront signés avec des pays tels que l'Inde, je m'y suis rendu récemment ; ce ne sera pas aussi facile que Mme May le dit. La Cour suprême du Royaume-Uni a considéré que le Gouvernement devait recueillir l'avis du Parlement avant de notifier sa décision d'enclencher la procédure prévue par l'article 50. Le projet de loi demandant au Parlement l'autorisation de recourir à l'article 50 doit être déposé à la Chambre des Communes aujourd'hui. Ce ne sera pas simple pour autant car de nombreux parlementaires espéraient saisir l'occasion de ce projet de loi pour mener un débat sur le fond, ce que justement la Première ministre veut éviter, mais elle a annoncé un livre blanc qui fera sans doute l'objet d'un débat distinct du vote.

Vous avez raison de souligner nos relations bilatérales avec le Royaume-Uni, que nous entendons préserver : l'accord du Touquet – dont nous ne souhaitons pas la remise en cause car elle serait lourde de conséquences –, ou encore le traité de Lancaster House relatif à la coopération en matière de défense que les Britanniques n'envisagent pas non plus, semble-t-il, de remettre en cause. Il reste donc des sujets sur lesquels nous pouvons encore nous retrouver : la sécurité, la défense, la lutte contre le terrorisme. C'est possible et en tout cas souhaitable. Mais dans le domaine de la politique étrangère et de la diplomatie, on voit le doute et la confusion s'installer. Dans ce domaine, le Brexit donne à la France des responsabilités particulières, mais aussi une capacité d'action non négligeable, puisqu'elle sera le seul pays de l'Union européenne, également membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies.

La France n'a pas à donner un mandat de négociation : c'est au Conseil européen et au Conseil qu'il appartient d'en donner un à la Commission. Évidemment, nous veillerons à ce que, dans la définition de ce mandat, nos intérêts soient totalement préservés. Je pense notamment à nos intérêts économiques : le Royaume-Uni est pour nous un grand partenaire, notre cinquième marché à l'export – il représente 8 % de nos exportations, avec un excédent de 12,2 milliards d'euros en 2015. Mais ce n'est pas parce que nous avons des intérêts à défendre – le travail du SGAE peut nous aider à préciser le contenu du mandat que nous souhaitons – que nous allons déroger au principe de la solidarité européenne et nous mettre à négocier dans le dos des autres pays. Il ne faut surtout pas entrer dans le jeu de la négociation sectorielle.

S'agissant de l'information du Parlement, le Gouvernement est en permanence à sa disposition – de cette mission ou des commissions compétentes. Nous souhaitons que l'exécutif vienne rendre compte en temps réel des négociations. Nous le devons aux parlementaires français.

Pour ce qui est du vote, le traité prévoit que la négociation ne peut pas durer plus de deux ans. L'accord fixant les modalités du retrait est conclu par le Conseil à la majorité qualifiée ; la France peut toujours s'y opposer. Le Gouvernement britannique peut également rejeter l'accord, au risque toutefois de voir tomber le couperet : à l'issue des deux années de négociation, la sortie de l'Union est automatique et les relations économiques avec le Royaume-Uni ramenées au droit commun de l'OMC ; je ne suis pas sûr que ce soit l'intérêt des Britanniques. La ratification par les parlements nationaux de l'accord de retrait n'est pas prévue par l'article 50. Il ne s'agit pas d'un accord mixte. En revanche, chaque parlement national sera amené à ratifier, comme pour tout traité de libre-échange avec un pays tiers, l'accord qui fixera le cadre des relations futures avec le Royaume-Uni.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion