Madame la présidente, monsieur le président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, monsieur le rapporteur, cher François Pupponi, mesdames et messieurs les députés, me voici aujourd’hui devant vous pour présenter le projet de loi de ratification de trois ordonnances, qui permettront la création de la collectivité unique de Corse au 1er janvier 2018.
Ces ordonnances sont prises sur le fondement de l’article 30 de la loi no 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République, dite loi NOTRe. Elles déterminent les modalités pratiques, sur le plan électoral, institutionnel et financier, de la création de la collectivité de Corse, collectivité à statut particulier au sens de l’article 72 de la Constitution, qui se substituera à la collectivité territoriale de Corse et aux deux départements de Haute-Corse et de Corse-du-Sud.
Le 26 janvier dernier, le Sénat a malheureusement rejeté le projet de loi de ratification, dans une séance qui, je tiens à le dire, me laisse un goût amer et au cours de laquelle nous avons assisté à des votes inverses de ce qui avait été annoncé par l’orateur d’un groupe dans la discussion générale ; à des propos contraires, chez certains, à ceux tenus lors des débats sur la loi NOTRe, lorsqu’ils étaient favorables à la création de la collectivité de Corse ; et à diverses manoeuvres dilatoires que je préfère ne pas qualifier, ni évoquer, y compris des manquements à la parole donnée. De telles manoeuvres politiciennes, à ce point éloignées de l’intérêt collectif, qui s’expliquent probablement par le contexte politique préélectoral, ne me semblent pas dignes d’intérêt. Toutefois, je ne m’attarderai pas sur ces incohérences : je ferai tout simplement mon travail et j’irai donc jusqu’au bout du chemin législatif, permettant à la collectivité unique de voir le jour à la date prévue.
Je veux tout d’abord rappeler, mesdames et messieurs les députés, les raisons qui ont amené à cette création. Il ne s’agit aucunement d’une lubie du Gouvernement mais d’une volonté forte des élus et des populations, parce que la simplification de l’action publique, dans une île de 300 000 habitants, est toujours le gage de meilleurs services et de moindres coûts. Les élus en ont d’ailleurs voté le principe à l’Assemblée de Corse le 12 décembre 2014, à une large majorité, toutes tendances confondues – je le rappelle à certains qui aujourd’hui auraient changé d’avis –, avec quarante-deux voix pour et huit voix contre.
Tout d’abord, quelques mots sur le calendrier : je tiens à rappeler que, conformément à l’article 38 de la Constitution, les ordonnances entrent en vigueur dès leur publication mais doivent être ratifiées avant la date fixée par la loi d’habilitation, faute de quoi elles deviendraient caduques. L’habilitation législative a été accordée pour une période de dix-huit mois suivant la promulgation de la loi NOTRe, soit jusqu’au 7 février 2017. Les trois ordonnances relatives à la création de la collectivité de Corse ont été publiées au Journal officiel du 22 novembre 2016, soit largement dans les délais fixés par la loi. Le projet de ratification, qui est l’objet de notre débat d’aujourd’hui, a été déposé sur le bureau du Sénat le 21 décembre dernier, soit dans les trois mois suivant la publication des ordonnances, selon les termes de la loi. Le calendrier législatif a donc été strictement respecté par le Gouvernement.
Venons-en au contenu. Lors du débat sur la loi NOTRe, les parlementaires corses se sont bien évidemment exprimés sur l’article créant la collectivité territoriale unique, dont ils acceptaient le principe, mais ont aussi déposé un certain nombre d’amendements tendant à l’amélioration du fonctionnement de la collectivité territoriale. Le Gouvernement avait alors, par la voix de ma prédécesseure, donné un accord de principe pour examiner ultérieurement ces amendements, tout en demandant aux parlementaires de bien vouloir les retirer afin de préserver un accord en commission mixte paritaire ; ainsi fut fait.
J’ai donc repris à mon compte – c’est bien normal – cette promesse gouvernementale, que les parlementaires corses m’ont d’ailleurs aimablement rappelée dès notre première réunion de travail sur les ordonnances, quelques jours à peine après ma nomination. J’ai alors entrepris un travail exhaustif de recensement et d’analyse des amendements que les députés avaient déposés à l’époque : seize amendements portaient sur le fonctionnement de la collectivité territoriale, six sur l’institution que nous avons appelée plus tard la « chambre des territoires ».
Vous le savez, je ne suis pas un vil flatteur. J’ai l’habitude, comme vous venez de le constater à l’instant, de dire les choses telles que je les pense. Je vous dirai simplement – et principalement à vous, monsieur le député Camille de Rocca Serra, qui étiez l’auteur de la quasi-totalité de ces amendements – que c’étaient de bons amendements, allant dans le sens d’un meilleur fonctionnement de la collectivité territoriale.
Nous savions que la plupart d’entre eux n’entraient pas strictement dans le champ de l’habilitation. J’ai donc pris mes responsabilités, ainsi que je l’ai répété à plusieurs reprises, à Paris comme à Ajaccio, en les intégrant dans l’ordonnance institutionnelle. Je citerai notamment l’augmentation des effectifs du conseil exécutif et de la commission permanente ; les modalités de retour à l’Assemblée des conseillers exécutifs ; la réduction du délai d’option pour choisir le statut de conseiller de l’Assemblée ou du conseil exécutif ; la création d’un régime indemnitaire spécifique.
Le Conseil d’État, nous le savions par avance, ne pouvait que souligner qu’ils étaient hors champ d’habilitation mais il ne les a pas pour autant rejetés sur le fond. Le sénateur Portelli a adopté, lors du passage au Sénat, la même position et vous avez vous-même, monsieur le député Pupponi, suivi cette orientation. Je vous en remercie et je salue à ce propos le travail que vous avez accompli sur ces textes en particulier et votre engagement personnel pour le mener à bonne fin : au-delà des parlementaires représentant la Corse, vous montrez, vous qui êtes un parlementaire continental, votre attachement à cette île à chaque fois qu’elle est concernée.
À titre d’anecdote, j’ai élargi le champ d’habilitation des ordonnances de la future collectivité unique parisienne – on ne sait jamais ! – au nom justement de cette jurisprudence corse, qui fera date.
Je souhaitais, devant vous, mesdames et messieurs les députés, rappeler cet exercice de coconstruction des ordonnances, qui a duré plus d’un an et nous a souvent réunis, à Paris comme à Ajaccio, occasionnant de multiples rencontres entre mes services et ceux des collectivités territoriales concernées. Ce fut une collaboration entre l’État et l’ensemble des élus que je considère comme exemplaire et dont nous pouvons, chacun, être fiers, au bénéfice d’un territoire et au bénéfice de la Corse. J’en profite pour saluer les présidents Gilles Simeoni et Jean-Guy Talamoni, avec lesquels nous avons oeuvré efficacement afin de trouver le point d’équilibre, dans l’intérêt de la Corse et de ses habitants.
Quelques mots maintenant sur chacune de ces trois ordonnances. Sur le plan institutionnel, la substitution de la collectivité unique aux actuels départements et à la collectivité territoriale de Corse a pour conséquence d’intégrer les compétences des deux départements et de la collectivité territoriale de Corse au sein de la nouvelle entité. Celle-ci exercera de plein droit les compétences de droit commun des départements et des régions et reprendra aussi celles de la collectivité territoriale de Corse. Les effectifs de l’Assemblée de Corse seront augmentés de douze membres, afin de tenir compte de l’élargissement de son champ d’action.
J’ai aussi accepté – après bien des débats, mais la coconstruction nécessite des échanges et une bonne volonté mutuelle – la création d’une chambre des territoires, instance qui permettra de mieux coordonner l’action publique et la solidarité financière entre la collectivité de Corse, les communes et leurs intercommunalités. Elle siégera à Bastia et participera donc à l’équilibre des pouvoirs entre les deux villes préfectures de Corse.
Par ailleurs, des dispositions transitoires importantes, notamment en matière de garantie de maintien des conditions de statut et d’emploi des personnels, sont prévues. En effet, il était très important que les personnels soient rassurés et se voient garantir leur avenir. Cette préoccupation a été au coeur même de la déclaration d’intention de travail en commun signée publiquement par les présidents de la collectivité territoriale et des conseils départementaux – je les en félicite –, le 18 novembre dernier.
En ce qui concerne l’ordonnance financière, la fusion des trois collectivités s’opérera à droit constant pour l’ensemble de leurs biens, droits et obligations respectifs.
L’ordonnance financière définit donc les règles de fusion des trois budgets actuels – ceux des départements et de la collectivité territoriale – en un seul, qui constituera le budget de la collectivité de Corse.
Enfin, l’ordonnance électorale précise les modifications nécessaires à chaque scrutin, eu égard à la création de la collectivité de Corse.
Mesdames et messieurs les députés, je tiens à affirmer ici que cette ordonnance n’entraîne pas de conséquence pour l’élection des députés. S’agissant des élections sénatoriales, le mode de scrutin restera aussi strictement identique au mode actuel et l’élection continuera à être organisée au sein de deux collèges électoraux, en Haute-Corse et en Corse-du-Sud.
L’Assemblée de Corse, appelée à siéger à compter du 1er janvier prochain, sera quant à elle élue en décembre 2017. A l’exception de l’augmentation du nombre de conseillers de l’Assemblée – qui passe de cinquante et un à soixante-trois – et de celle, strictement proportionnelle, de la prime majoritaire – qui passe mécaniquement de neuf à onze sièges –, le régime électoral reste le même que précédemment. Je note d’ailleurs que nul, pendant nos discussions, ne m’a demandé sa modification.
Mesdames et messieurs les députés, le projet de loi de ratification comporte donc trois articles.
L’article 1er ratifie l’ordonnance no 2016-1561 du 21 novembre 2016 complétant et précisant les règles budgétaires, financières et comptables applicables à la collectivité de Corse. L’article 2 ratifie l’ordonnance no 2016-1562 du 21 novembre 2016 toujours, portant diverses mesures institutionnelles relatives à la collectivité de Corse. L’article 3 ratifie l’ordonnance no 2016-1563 du 21 novembre 2016 portant diverses mesures électorales applicables en Corse.
Par ailleurs, le rapporteur a déposé quatre amendements rédactionnels ou corrigeant des erreurs matérielles correspondant à des modifications déjà effectuées par la commission du Sénat, l’un portant sur l’ordonnance financière, les trois autres sur l’ordonnance institutionnelle. Ces amendements de rectification améliorant le texte, le Gouvernement y sera donc favorable, monsieur le rapporteur.
De son côté, le Gouvernement a déposé un amendement de correction d’erreur matérielle portant sur l’ordonnance financière. Il a également décidé de déposer un amendement concernant l’affectation des reliquats de la dotation de continuité territoriale afin de préciser un amendement de la loi de finances pour 2017 qui présentait une incohérence entre l’écriture législative et l’exposé des motifs.
Voilà, mesdames et messieurs les députés, les grandes lignes de ces ordonnances, que je vous présente au nom du Gouvernement. Leur ratification, à laquelle je vous demande, comme votre rapporteur, de bien vouloir procéder, permettra l’installation de la collectivité territoriale de Corse.
Je le répète : nous avons oeuvré collectivement, dans la concertation et le respect mutuel, pour l’avenir d’un territoire de la République. Nous pouvons être fiers de ce travail accompli ensemble. Bien sûr, beaucoup reste encore à faire : l’année 2017 doit être celle de la construction opérationnelle de la collectivité de Corse. Si les élus le souhaitent, ils savent que l’État, comme toujours, sera à leur côté et je ne doute pas un seul instant, connaissant bien les Corses et leurs élus, de leur réussite.
À la Corse et aux Corses désormais de faire de cette collectivité une institution de développement solidaire de leur territoire et d’oeuvrer main dans la main afin de préparer un avenir radieux à cette île-montagne, qui le mérite, ô combien !