Intervention de Laurent Marcangeli

Séance en hémicycle du 9 février 2017 à 9h30
Ratification d'ordonnances relatives à la corse — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaLaurent Marcangeli :

Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur – que je salue même s’il s’est momentanément absenté –, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui, dans cet hémicycle, le projet de loi ratifiant les ordonnances relatives à la création de la collectivité unique de Corse.

La création d’une telle collectivité n’est pas une idée nouvelle : c’est une proposition dont il est question depuis de nombreuses années dans le débat public insulaire. Les orateurs qui m’ont précédé à cette tribune l’ont rappelé. Ce texte a donc une histoire : il me semble important de la rappeler, afin que chacun puisse bien saisir les tenants et aboutissants de cette proposition de réforme.

Les ordonnances qu’il nous est proposé de ratifier ont été prises en vertu de dispositions de la loi NOTRe, mais le principe même de la collectivité unique avait fait l’objet, auparavant, de délibérations de l’Assemblée de Corse. La première d’entre elles, en 2014, consacrait le principe de cette collectivité unique regroupant les deux départements et l’actuelle région. Toutefois, il est utile de rappeler – puisque l’on convoque souvent ce vote de décembre 2014 – que cette délibération prévoyait, pour ce faire, la tenue d’un référendum. Ce principe a d’ailleurs été acté à une très large majorité.

Pour des raisons politiques, le Gouvernement a décidé, en février 2015, d’insérer dans la loi NOTRe un amendement permettant la création de cette collectivité unique, sans passer par la voie référendaire. Disons-le clairement : il s’agit d’un accroc. Certains ont rappelé, ici, la tenue du référendum de 2003 : je pense que le fait d’avoir tourné le dos à cette option laissera peut-être, chez certains, une forme d’amertume.

Les positions prises par les uns et les autres lors de l’examen de la loi NOTRe ont été rappelées au Sénat par les différents orateurs, et ici même par M. le ministre. Au risque de sembler prétentieux, je me citerai moi-même ; plus exactement, je répéterai les propos que j’ai tenus dans cet hémicycle le 20 février 2015 lors de l’examen, en première lecture, du projet de loi NOTRe.

« Pour ma part, je reste favorable à 100 % à la création d’une collectivité unique en Corse, regroupant l’ensemble des compétences des départements et de la collectivité territoriale, comme cela a été décidé par l’Assemblée de Corse, avec une répartition des votes dépassant largement les clivages politiques. Cela dit, la méthode employée aujourd’hui me paraît être un recul. »

« À chaque fois que nous avons eu un débat institutionnel concernant la Corse, en 1982, en 1991 et en 2002, il y a eu des lois spécifiques, faisant l’objet d’un examen complet. Or vous voulez renvoyer les détails à des ordonnances. Une telle procédure ne devrait pas être envisagée pour discuter de sujets aussi lourds ! »

« Surtout, vous faites l’impasse sur un certain nombre de demandes de l’Assemblée de Corse. » J’ai parlé, tout à l’heure, de l’organisation d’un référendum, mais d’autres demandes encore n’ont pas été retenues par le Gouvernement.

« Nous demeurons favorables, je le dis avec clarté, à l’inscription de la Corse dans la Constitution de notre République. C’est l’Assemblée de Corse, présidée, à l’époque, par une majorité proche de la vôtre, qui l’a demandé à la quasi-unanimité. L’assemblée territoriale a ensuite considéré qu’il fallait une loi spécifique. Une fois de plus, aujourd’hui, vous semblez balayer cette demande d’un revers de main. » Je le regrette.

« Enfin, l’Assemblée de Corse réclamait de manière unanime un référendum. En 2003, les Corses ont été convoqués pour dire si, oui ou non, ils acceptaient le principe d’une collectivité unique. Aujourd’hui, vous passez par un amendement – même pas par une loi ! C’est un recul immense. »

Voilà ce que je m’étais permis de dire, à l’époque, dans cet hémicycle, devant mes collègues. Aujourd’hui, puisque le train est en marche, je me devais de rappeler la position de mon groupe, afin de montrer que depuis le départ, elle n’a pas varié. Que les choses soient bien claires : nous ne sommes pas opposés au principe de la collectivité unique. Nous l’avons exprimé par nos positions de vote sur les amendements déposés à l’occasion de l’examen de la loi NOTRe. Je l’ai rappelé, ici, dans cet hémicycle, ainsi que chez nous, en Corse, de manière claire et distincte.

Je rappelle également que les ordonnances dont nous sommes saisis ont été présentées à la collectivité territoriale de Corse, qui s’est prononcée par un vote il y a quelques semaines : sur cinquante et un élus, trente et un ont ratifié le projet d’ordonnance, et vingt l’ont rejeté. L’unanimité, ou la très large majorité, qui s’était formée en 2014 concernant le principe même de la collectivité unique, n’existe donc plus : nous devons en tenir compte.

Je m’interroge quant à la méthode qui a été retenue. En dépit des caricatures des uns et des contrevérités des autres, j’insiste sur le fait que notre position n’a pas varié : nous étions et nous demeurons favorables à la simplification que constituerait une collectivité unique, mais pas à n’importe quel prix, et surtout pas à n’importe quelles conditions.

J’ai rappelé nos réserves quant à cette méthode. Nous avions demandé la tenue d’un véritable débat institutionnel, y compris au niveau constitutionnel, à propos de la Corse. Je réitère ces demandes aujourd’hui, de façon très claire et très libre, car chacun en Corse connaît mes positions : je suis favorable à de vraies avancées institutionnelles, auxquelles la réforme que nous examinons aujourd’hui ne fait pas la part belle. Nous n’envisageons les choses que sous leur aspect technique, administratif : il ne s’agit, en somme, que de supprimer un échelon. Je pense que la Corse mérite beaucoup mieux.

Il aurait fallu mener cette réforme par une loi spécifique, qui n’aurait pas eu pour seul objet de supprimer un échelon, mais aurait aussi concerné notre statut fiscal – puisque les questions relatives à la fiscalité en Corse se rappellent au bon souvenir des députés à chaque débat budgétaire, comme nous l’avons encore vu au mois d’octobre dernier. Cette loi aurait aussi abordé la question des compétences, et la place de la Corse – la seule région insulaire métropolitaine – dans le cadre de la République. C’est cela que j’appelais de mes voeux, c’est cela que nous appelions de nos voeux, et nous n’avons malheureusement pas été entendus.

Je pense aussi à la question des territoires. La Corse est une île-montagne : vous le savez bien, monsieur le ministre, puisque vous vous êtes battu pour que cela soit reconnu par la loi, ce dont je tiens à vous remercier, comme l’a fait Camille de Rocca Serra. Cette île-montagne est composée de territoires très divers : il y a des territoires urbains, périurbains, ruraux, littoraux, montagneux… Ces territoires craignent – je ne surprendrai personne en disant cela – d’être moins bien représentés à l’issue de la réforme en cours.

La disparition des départements ne gommera pas les aspérités de nos territoires. À nous de nous montrer dignes de les représenter, de les défendre, de leur donner le sentiment qu’ils appartiennent encore à l’espace public en Corse. Ce texte, malheureusement, n’en dit rien.

La solution qui a été retenue à cet égard, à savoir la chambre des territoires, n’est pas ce que nous souhaitions, ce que nous défendions lors de la première lecture de la loi NOTRe, devant Mme Lebranchu, votre prédécesseure, monsieur le ministre. Je le regrette d’autant plus que nous avions proposé d’autres solutions. J’ai par exemple insisté, tout comme mon collègue Camille de Rocca Serra, sur la nécessité de faire monter en puissance les intercommunalités, qui forment un échelon essentiel, consacré par la loi NOTRe au niveau national, mais sont terriblement absentes des ordonnances que vous proposez à l’Assemblée nationale de ratifier par ce texte.

Il y a donc des manques. Certes, il faut ramener le débat à de plus justes propositions : ce n’est pas un drame. Nous regrettons néanmoins ces manques.

Sur ce sujet, nous devons dire ce que nous avons sur le coeur, mais le débat public doit être digne et serein. Personne ne pourra m’accuser de contradiction, car c’est ce que je dis depuis que ce débat a été ouvert. Aucune urgence ne justifie la précipitation avec laquelle on veut créer cette nouvelle collectivité ; aucune urgence ne justifie cette réforme que j’estime bâclée. C’est donc avec l’esprit tranquille, conformément à ce que j’ai toujours défendu, que je voterai contre ce projet de loi de ratification d’ordonnances.

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