Je tiens à préciser que, s'agissant de l'appréciation du niveau de menace pesant sur la Turquie entre les Kurdes et Daech, nous n'avons fait que présenter la position de l'État turc. Leur appréciation de la situation, différente de la nôtre, les conduit à déployer leurs capacités selon leurs propres priorités. Dans le rapport, vous le verrez, nous avons fait un inventaire précis des menaces et des forces en présence. S'agissant de l'allégement de notre engagement en Méditerranée, je ne crois pas que cela soit possible au regard de l'intérêt stratégique de cet espace comme de la situation internationale. La stratégie du pivot envisagée par l'administration Obama, et dont on attend de voir ce qu'elle deviendra sous l'administration Trump, va également dans ce sens. Je partage par ailleurs l'avis d'Alain Marleix sur notre coopération avec les Britanniques. Elle s'exprime notamment dans l'océan Atlantique ou encore plus au nord, dans l'intérêt de nos deux pays.
Concernant la cohérence des dispositifs, évoquée par M. Rouillard. Je vous avoue qu'au début de nos travaux, je m'interrogeais également sur les raisons qui nous empêchaient de coopérer de manière plus approfondie avec l'Espagne, l'Italie, la Grèce, voire la Turquie, sur des intérêts stratégiques communs. Il y a en fait plusieurs explications. D'abord, l'état et la nature des forces ne sont pas les mêmes. Ensuite, les modalités d'engagement sont différentes. Ainsi par exemple de l'Espagne. Si les enjeux militaires sont principalement côtiers, le processus de décision repose plusieurs ministères, compétents pour le commandement des opérations selon la nature des missions menées. En France, le ministère de la Défense, par le biais du préfet maritime, est la seule autorité de commandement. De même, si l'Italie dispose de réelles capacités militaires – deux porte-aéronefs, des FREMM – elle n'est pas en mesure de les utiliser militairement car elles ne servent quasiment qu'à des fins humanitaires. Les conditions d'engagement des bâtiments sont donc différentes. C'est pourquoi je suis quelque peu réservé sur un approfondissement de la coopération vers un dispositif plus intégré.
C'est également ce constat qui m'amène à plaider pour le maintien de notre défense sur la totalité du spectre, reposant sur des moyens et des compétences garantis sur le long terme. La marine, je le rappelle, ne s'appréhende qu'à long terme. Au-delà de la croyance des uns et des autres dans la règle des 3 %, je pense d'ailleurs que nous devrions réfléchir à sortir une partie des dépenses de défense pour le calcul des règles de déficit excessif.
J'ajoute que la situation de dépendance dans laquelle se trouvent les Britanniques vis-à-vis des Américains dans certains domaines ne facilite pas toujours l'approfondissement de notre coopération suivant un mode plus « intégré » qu'aujourd'hui.
Les régimes politiques des pays riverains de la Méditerranée, au sud, et le caractère parfois relatif de leur stabilité dans la durée ‒ en Algérie, par exemple ‒ peuvent également freiner le développement de coopérations très intégrées avec les pays concernés. Au nombre des facteurs de risques de déstabilisation de ce pays et au-delà de la question de la succession du président de la République, il faut aussi compter l'évolution du prix du pétrole, dont l'effondrement a largement vidé les réserves financières sur lesquelles repose traditionnellement la stabilité du régime algérien.
Pour toutes ces raisons, je ne crois pas qu'il serait avisé pour nous de baisser la garde en Méditerranée.
J'en viens à l'opération Sophia, et à son relatif échec ‒ ou, du moins, au fait que l'opération n'ait pas répondu totalement aux ambitions de son mandat. La situation s'explique par le fait que les moyens militaires de l'opération Sophia n'ont pas la possibilité d'opérer dans les eaux territoriales libyennes. Faut-il que nous y pénétrions sans mandat ?