Intervention de Dominique Lefebvre

Séance en hémicycle du 9 février 2017 à 15h00
Calcul du potentiel fiscal agrégé des communautés d'agglomération — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDominique Lefebvre, rapporteur de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire :

Madame la présidente, monsieur le ministre de l’aménagement du territoire, de la ruralité et des collectivités territoriales, mes chers collègues, nous examinons cet après-midi une proposition de loi que j’ai déposée la semaine dernière et qui a été cosignée par le président de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire, Gilles Carrez, par le rapporteur pour avis de la mission « Relations avec les collectivités territoriales », Olivier Dussopt, ainsi que par Olivier Faure, Eduardo Rihan Cypel et Émeric Bréhier.

Nous souhaitons qu’elle soit adoptée avant la fin de la présente session, c’est-à-dire avant la fin février, dans les mêmes termes par l’Assemblée nationale et par le Sénat. Il y a en effet urgence à revenir sur une disposition adoptée dans le cadre de la loi de finances rectificative pour 2016, trop rapidement sans doute et, en tout état de cause, dans des conditions qui ne correspondent pas au bon fonctionnement d’une démocratie parlementaire – je ne m’étendrai pas davantage sur le sujet.

L’article 79 de la loi de finances rectificative pour 2016 a en effet modifié les modalités de calcul des potentiels fiscaux des communautés d’agglomération issues de la transformation de syndicats d’agglomération nouvelle – ou SAN. Je suis bien conscient que la procédure accélérée, déclenchée par le Gouvernement sur notre proposition de loi, est inhabituelle, mais j’appelle votre attention sur le fait que, si l’Assemblée nationale et sa commission des finances, le Sénat et sa commission des finances, avec lesquels nous nous sommes concertés, et le Gouvernement travaillent de concert pour atteindre rapidement cet objectif, c’est pour des raisons à la fois de méthode et de fond.

Pour ce qui est de la méthode, l’amendement qui avait conduit à la disposition incriminée a été déposé très tardivement, le jour même de la séance, à quinze heures trente. Dans la soirée, il a été voté sans débat, après un avis de sagesse du Gouvernement. En commission des finances du Sénat, il a été adopté de manière conforme, mais sur la base d’une motivation différente de celle de l’Assemblée nationale et sans davantage de débat. À l’Assemblée, il avait été expliqué que, du fait de sa rédaction, une disposition de la loi de finances pour 2016 relative aux communautés d’agglomération et issue d’un amendement gouvernemental dépassait l’intention du législateur, alors que tel n’était pas le cas. Au Sénat, la mesure a été présentée comme la suppression d’un mécanisme accordé pour le calcul des potentiels fiscaux des communautés d’agglomération issues de SAN, avantage qui n’avait pas vocation à s’appliquer éternellement – ce sur quoi, mes chers collègues, nous sommes d’ailleurs toutes et tous d’accord. Cet amendement, qui ne s’appuyait sur aucune étude d’impact présentant ses conséquences pour les collectivités concernées, a donc été adopté conforme en première lecture au Sénat, au moment du changement de gouvernement, et n’est jamais revenu devant l’Assemblée. Ce n’est que très récemment, lorsque les collectivités concernées ont fait simuler leurs dotations pour 2017, qu’elles se sont aperçues de ses conséquences brutales.

Sur le fond, les communautés d’agglomération issues de SAN bénéficient historiquement d’un dispositif dérogatoire de calcul du potentiel fiscal, avec un coefficient de pondération qui remonte à la loi du 12 juillet 1999 relative au renforcement et à la simplification de la coopération intercommunale, dite « loi Chevènement », pour le calcul de la dotation d’intercommunalité – à cette époque, je le rappelle, on avait mis en place un système unique de calcul des dotations pour l’ensemble des collectivités, alors que les SAN disposaient auparavant d’un système spécifique. Il se trouve que les SAN, à l’origine chargées d’une mission particulière de construction massive de logements et d’investissement dans les équipements d’accueil des nouvelles populations, se sont par conséquent vu appliquer des dispositions spécifiques, alors tout à fait légitimes, quoi qu’en disent celles et ceux qui contestent cette spécificité. Du fait de la charge qui leur revenait, consistant à construire des logements et des équipements, ils ont atteint des niveaux d’endettement très importants, alors même que le développement économique et les recettes fiscales n’augmentaient que très progressivement. Un certain nombre des communautés d’agglomération issues de SAN continuent d’ailleurs de produire une grande quantité de logements, plusieurs milliers chaque année en Île-de-France : ainsi, rien qu’à Cergy-Pontoise, nous construisons toujours 2 000 logements par an, à peine moins qu’à la belle époque de l’établissement public d’aménagement, puisque l’on n’en produisait alors pas plus de 2 500.

Pour vous donner un ordre de grandeur du sujet, en 2015, le montant de la dette cumulée des ex-SAN d’Île-de-France dépassait 1,4 milliard d’euros, soit un taux moyen d’endettement de plus de 240 % – avec des ratios supérieurs à 300 % dans les communautés d’agglomération de Saint-Quentin-en-Yvelines, de la Vallée de la Marne et du Grand Paris Sud –, alors qu’il n’est, en moyenne, que de 67 % pour les communautés d’agglomération d’Île-de-France et de 107 % pour les communautés urbaines.

Lorsque les SAN ont presque tous disparu, au début des années 2000 – j’avais d’ailleurs personnellement plaidé pour ce retour au droit commun, qui me semblait indispensable afin de poursuivre le développement des villes nouvelles –, les communautés d’agglomération qui les ont remplacés ont continué, logiquement et pour les mêmes raisons, à bénéficier de ce mécanisme de pondération de leur potentiel fiscal.

Ce sujet est revenu devant notre assemblée au moment où a été institué le fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales, le FPIC. Celui-ci, il est vrai, repose sur des mécanismes extrêmement sensibles – la variation d’un seul curseur peut faire bouger beaucoup de choses –, qui font que certaines collectivités sont contributrices et d’autres bénéficiaires, sur le fondement d’un indice de richesse fiscale. La pondération du potentiel fiscal des SAN n’a pas été introduite à l’origine dans ce dispositif, si bien qu’ils sont devenus des contributeurs nets au FPIC sans que leurs charges particulières ne soient prises en compte.

Voilà pourquoi Pascal Terrasse, alors rapporteur spécial pour la commission des finances de la mission « Relations avec les collectivités territoriales », avait déposé un amendement réintroduisant le coefficient de pondération dans le mode de calcul de la richesse fiscale des anciens SAN : ainsi, à partir de 2013, une majorité de ces communautés d’agglomération sont devenues bénéficiaires du FPIC, deux d’entre elles, Saint-Quentin-en-Yvelines et Val d’Europe, restant contributrices, pour d’autres raisons tout à fait logiques.

Enfin, grâce un amendement du Gouvernement adopté dans le projet la loi de finances pour 2016, il est tenu compte des fusions d’EPCI – établissements publics de coopération intergouvernementale – et des nouvelles intercommunalités dans le cadre de la loi NOTRe, portant nouvelle organisation territoriale de la République. Si cette disposition n’avait pas été prise, le mécanisme aurait disparu et les communautés qui ont fusionné auraient subi des pertes importantes. Contrairement à ce qui était affirmé dans l’amendement déposé par Christine Pires Beaune, l’amendement gouvernemental n’a pas eu pour vocation d’étendre ce mécanisme favorable à des territoires qui n’en bénéficiaient pas jusqu’alors, mais seulement de le maintenir dans les parties des communautés d’agglomération qui en profitaient déjà. Autrement dit, durant la présente législature, notre assemblée a considéré qu’il était légitime et nécessaire de maintenir ce dispositif pour soutenir l’effort très particulier d’investissement de nos collectivités et l’endettement qui s’ensuit.

Ces dispositions spécifiques pour le calcul du potentiel fiscal des ex-SAN sont-elles légitimes ? Doit-on les maintenir ? Et, si oui, jusqu’à quand ? Voilà les questions de fond qui sont posées et qui auraient mérité autre chose qu’un amendement déposé et adopté un peu à la sauvette, mes chers collègues, en première lecture du projet de loi de finances rectificative pour 2016.

À nos yeux, les réponses sont claires. Oui, ce mécanisme particulier de calcul du potentiel fiscal est et reste légitime, et c’est bien ce qui a conduit notre assemblée à voter des dispositions adaptées dans les lois de finances pour 2013 et pour 2016. Non, ce mécanisme n’a pas vocation à perdurer indéfiniment : il convient de prévoir les dispositions d’un retour progressif au droit commun. M’étant concerté avec les présidents des communautés d’agglomération concernées, je peux vous dire que tout le monde considère qu’il serait risqué de maintenir cet avantage, car il pourrait disparaître à tout moment et de manière brutale si nos collègues, élus d’autres collectivités d’Île-de-France ou de province, estimaient qu’il ne se justifiait plus. Une telle remise en cause ne peut cependant se faire brutalement, ce qui n’aurait pour effet que de déstabiliser fortement les budgets de ces collectivités et de remettre en question, à court terme, la construction de milliers de logements, notamment sociaux, en Île-de-France. Je rappelle de surcroît que la spécificité des villes nouvelle est la mixité sociale : elles comptent toutes au minimum entre 30 et 35 % de logements sociaux, et continuent d’en produire dans cette proportion.

Quand une communauté d’agglomération perd le bénéfice du FPIC, cela se fait de façon dégressive sur trois ans ; en revanche, quand elle devient contributrice, l’effet est immédiat et maximum. Ainsi, une communauté d’agglomération comme Saint-Quentin-en-Yvelines, contributrice nette au FPIC, verrait sa contribution passer de 3 millions à 15 millions d’euros entre 2016 et 2017, soit 12 millions d’euros de plus, pour une communauté d’agglomération dont les recettes réelles de fonctionnement doivent se situer entre 130 et 140 millions d’euros ; vous voyez que la perte sèche atteindrait environ 10 % de ses recettes. Pour ce qui est de la communauté d’agglomération Grand Paris Sud, l’impact serait, à l’horizon 2020, de 15 millions d’euros, dont 6 millions dès 2017. Pour les communautés d’agglomération de la Vallée de la Marne – anciennement Marne-la-Vallée – et de Cergy-Pontoise, l’impact serait de 9 millions d’euros, dont respectivement 3,8 millions et 4,5 millions d’euros dès cette année.

Lors du débat en commission des finances, nous étions tous d’accord pour estimer nécessaire d’expertiser l’opportunité de maintenir ou non tout ou partie de cet avantage, et donc de ne pas le pérenniser de nouveau sans limite. C’est pourquoi, après la réunion de la commission, j’ai déposé deux amendements visant à stabiliser pour l’année 2017 le mécanisme de pondération intégrale du potentiel fiscal de ces communautés d’agglomération, tel qu’il était appliqué jusqu’à présent. J’ai également déposé un amendement demandant au Gouvernement de rédiger, d’ici au 30 septembre prochain, un rapport portant sur le niveau d’endettement des EPCI comprenant d’anciens SAN, et sur l’opportunité de conserver, d’adapter ou de supprimer progressivement ce dispositif. J’en profite pour faire observer que le coefficient de pondération doit actuellement atteindre 55 % et que l’on pourrait très bien imaginer de l’augmenter de 5 points par an en loi de finances pour 2018, ce qui permettrait un lissage dans le temps.

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