Intervention de Jean-François Carenco

Réunion du 7 février 2017 à 16h15
Commission des affaires économiques

Jean-François Carenco :

Je vous remercie de votre accueil.Je commencerai par me présenter pour ensuite vous décrire mes motivations ainsi que ma vision du secteur et du rôle de la CRE.

Bien que je soispréfet depuis vingt-trois ans, et actuellement préfet de la région Île-de-France et de Paris, il ne me semble pas forcément incongru que je sois nommé à la tête d'une autorité administrative indépendante. Ce n'est pas chose commune que de nommer un préfet à la tête de la CRE mais cela a déjà été fait à deux reprises. Je pourrai vous dire que c'est le Président de la République qui m'a choisi, mais je préfère être sincère et vous dire que je l'ai sollicité et qu'il m'a donné son accord.

Je n'évoquerai que brièvement ma carrière car beaucoup d'entre vous m'ont croisé dans le passé. De mes études à HEC, j'ai gardé la conviction de l'importance de l'industrie et de la nécessité d'une industrie forte pour ce pays. Je suis, du fait de mes études et de mon parcours, plutôt un industrialiste. Mon passage au service d'une grande collectivité locale, à Montpellier, m'a donné à connaître de l'intérieur les regroupements de communes et les communes qui, demain, seront appelés à jouer un rôle important dans les smart grids, les ajustements entre production et consommation ainsi qu'en faveur des nouvelles consommations et des nouvelles méthodes de production d'électricité. Aux trois postes que j'ai occupés outremer, j'ai pu découvrir les contraintes des zones non interconnectées (ZNI), l'importance de l'ensoleillement pour le photovoltaïque, et ainsi le caractère intermittent des énergies renouvelables, mais aussi l'importance de la péréquation tarifaire et de la solidarité nationale. Mes longues expériences de préfet de département puis de préfet de région m'ont évidemment confronté aux enjeux territoriaux du développement des énergies renouvelables, à ses incidences économiques et sociales et à l'évolution des systèmes de production énergétique. Les fonctions de préfet du Rhône m'ont aussi amené à connaître les concessions hydrauliques. Bref, l'énergie, secteur majeur en France, est au coeur des fonctions que j'ai exercées en tant que préfet. Tout au long de ma carrière, j'ai eu à favoriser l'adaptation des réseaux à la croissance rapide des métropoles et à accompagner la mise en place d'infrastructures à l'égard desquelles nos concitoyens sont de plus en plus réservés.

J'ai eu à traiter des questions énergétiques auprès de M. Jean-Louis Borloo en qualité de directeur de son cabinet alors qu'il était notamment chargé de l'énergie et des négociations sur le climat. J'y ai découvert l'extrême complexité du secteur de l'énergie. Au coeur des négociations européennes – puisque nous négociions alors le troisième paquet énergie –, j'en ai mesuré l'importance et la difficulté. J'ai pu mesurer l'importance et l'âpreté des combats interministériels. À la tête des administrations du ministère, j'ai pu apprécier leur très grande compétence technique mais aussi m'apercevoir de leur goût immodéré pour la complexité…

Deux raisons m'amènent à solliciter votre aval, sur proposition du Président de la République. D'une part, je suis convaincu que mon expérience peut être mise au service des enjeux énergétiques. D'autre part, je suis animé encore et toujours par le devoir et l'envie de faire avancer les dossiers, en rassemblant et en faisant émerger le consensus entre des acteurs qu'initialement tout oppose sur des sujets très complexes.

Il serait vain de prétendre que je suis un technicien mais j'ai la volonté d'apprendre – j'ai commencé à le faire ces deux dernières semaines. Surtout, l'important n'est sans doute pas là aujourd'hui. Ce qui compte, c'est que la CRE et son président puissent être, avec le Parlement, pleinement au coeur des enjeux stratégiques en assurant la fluidité du marché, la sécurité du consommateur, la sécurité des approvisionnements, le respect des règles européennes, le développement de notre industrie et le rayonnement de la France. Voilà le défi que je souhaite relever.

J'en viens aux enjeux de notre système énergétique.

Nous sommes dans un monde incertain qui change à la fois rapidement et du tout au tout. Le paysage que je découvre dix ans après avoir exercé mes fonctions de directeur de cabinet a profondément évolué en termes de puissance de calcul et du fait de la numérisation, de l'internationalisation, des nouvelles technologies, de l'aspiration à une nouvelle gouvernance et du changement climatique. Il faut donner au système énergétique les moyens d'être agile et de se réinventer. Ce mouvement de réinvention est en marche depuis plusieurs années : il s'opère sous l'impulsion de l'Union européenne avec les premier, deuxième et troisième paquets énergie qui dessinent l'Europe de l'énergie, déjà évoquée par Jacques Delors, et maintenant l'Union de l'énergie avec le quatrième paquet « énergie propre », que la Commission européenne souhaite en rupture avec les trois paquets précédents.

Les enjeux me semblent être globalement les mêmes pour le gaz et l'électricité, avec certes des différences, mais pas quant aux principes fondamentaux que sont la sécurité des approvisionnements, la défense des consommateurs finals, la défense de l'outil industriel, la transition énergétique et la construction de l'Union de l'énergie.

La sécurité des approvisionnements est dans mon esprit, avant même la défense des consommateurs, l'objectif premier. Pour l'électricité comme pour le gaz, elle est synonyme d'équilibre entre l'offre et la demande.

S'agissant de l'électricité, au-delà de la nécessité de favoriser le développement des énergies renouvelables, de la question du stockage et du débat entre offre et gestion de la demande, l'enjeu pour notre pays est d'avoir une vision claire de l'évolution de notre industrie nucléaire. Cela ne relève pas directement de la compétence de la CRE – encore qu'elle intervienne dans la fixation des tarifs, qu'elle ait une influence sur les investissements et qu'elle régule la concurrence.

Pour le gaz, l'enjeu est plutôt macroéconomique car la sécurisation des approvisionnements suppose des investissements considérables qui tiennent compte de nos liaisons européennes, de nos terminaux gaziers, de nos relations avec les pays fournisseurs, du stockage, de son financement et surtout de la perspective du verdissement de cette source d'énergie.

Dans les deux secteurs, la sécurité des approvisionnements est l'enjeu majeur des marchés et des interconnexions européennes : l'Europe est, en soi, une plaque énergétique. Les règles y sont claires. L'Union de l'énergie, aujourd'hui en construction, doit permettre d'améliorer la sécurité des consommateurs en élargissant le champ des possibles grâce à une optimisation des contraintes, à la disponibilité de moyens de production diversifiés à tout moment et à l'échange en base ou pour la satisfaction de la pointe. La France, du fait de sa position géographique et de sa fonction exportatrice, peut être le moteur de cette construction européenne – elle doit l'être au moment où les incertitudes internationales renforcent la nécessité de cette union.

Marché de gros, marché de détail, marché de l'effacement et marché des certificats de capacité : tous doivent être transparents et reliés pour assurer le meilleur ajustement possible entre offre et demande d'énergie. Des progrès gigantesques ont été réalisés mais l'intégration européenne renforcée comme les progrès de la numérisation permettent encore des avancées. C'est là une tâche importante pour la CRE que d'être à l'écoute des exigences de sécurité et de veiller au bon fonctionnement de ces marchés.

Rendre le secteur de l'énergie efficient est un enjeu complexe, technique, parfois peu compréhensible, mais cette optimisation de l'offre et de la demande permet des économies considérables, des économies de production, donc une moindre empreinte écologique. Cela suppose d'avoir des opérateurs énergétiques professionnels, performants et indépendants.

Enfin la sécurité des approvisionnements passe par la robustesse des gestionnaires de réseau de transport et de distribution. L'indépendance des opérateurs français est reconnue, qu'il s'agisse du Réseau de transport d'électricité (RTE), du Gestionnaire de réseau de transport de gaz (GRT Gaz), de Transport et Infrastructures Gaz France (TIGF), d'Enédis, de Gaz Réseau Distribution de France (GRDF) ou d'autres. L'enjeu de la solidité, de l'indépendance, de la capacité d'innovation et de la capacité de financement de ces entreprises est majeur. Pour avoir déjà eu à les rencontrer et à les connaître, je sais qu'elles sont à la hauteur. Votre commission a l'habitude de les auditionner aussi. Si l'enjeu est évidemment celui du développement de l'investissement que le secteur est capable de proposer face aux enjeux mondiaux, c'est à la CRE d'assurer un dialogue permanent pour trouver le juste équilibre entre des objectifs parfois contradictoires et ne pas entraver le développement de notre industrie tout en favorisant la concurrence, entre baisse des prix et financement des investissements. Les mésaventures du tarif d'utilisation des réseaux publics d'électricité (TURPE) montrent bien qu'on est là au coeur de contradictions qu'il vous appartient de résoudre et qu'il m'appartient de vous aider à résoudre.

Le deuxième enjeu est celui de la défense du consommateur final. Celle-ci passe d'abord, nous l'avons vu, par la sécurité des approvisionnements à court et à long termes. Mais d'autres considérations sont également importantes pour le consommateur : non pas uniquement le prix, mais aussi la liberté de choisir, la possibilité de prendre part aux décisions qui sont prises, son rôle éventuel en tant que producteur et la défense de l'environnement. Ces considérations nouvelles, aujourd'hui rendues possibles par la digitalisation et l'absolue victoire de l'information et de la communication, modèlent l'avenir du système sur un fond de tassement de la croissance de la demande, voire d'une certaine décroissance depuis deux ans. Le marché de l'électricité a en effet considérablement évolué au cours de ces dix dernières années, la demande d'électricité étant stable voire déclinante alors que le secteur avait fondé son modèle sur l'hypothèse d'une demande en hausse et que les gros producteurs perdent aujourd'hui souvent de l'argent.

S'agissant du prix, nous passons peu à peu d'un système où les coûts étaient variables à 80 % et fixes à 20 % à un système inverse. L'ancien système électrique était ainsi déterminé par des coûts variables ; le nouveau me semble déterminé par des coûts fixes. Pour le consommateur final, c'est un problème considérable car le prix de l'énergie brute s'efface devant le prix des transports, du raccordement et des énergies nouvelles et devant le montant des taxes et le coût de la solidarité.

Concrètement, ces sujets sont tous difficiles pour la CRE car, au-delà des propositions du Gouvernement et des choix du Parlement qui fixent la feuille de route dans un cadre européen, les problèmes soulevés ont tous des solutions contradictoires, qu'il s'agisse de la suppression des tarifs réglementés pour le gaz et, peut-être demain, pour l'électricité, de la concurrence entre les producteurs avec le libre accès aux réseaux et la liberté de la fourniture d'énergie, du poids relatif de la puissance ou de l'énergie dans le tarif de transport, de l'évolution de l'ex-contribution au service public de l'électricité (CSPE), du coût des énergies renouvelables et de leur financement, des enjeux territoriaux – notamment ceux des ZNI – ou encore du coût de la solidarité.

En toute indépendance d'analyse, dans le respect de la déontologie et sans doute avec un certain « devoir d'ingratitude » – c'est-à-dire avec la capacité d'oser remettre en question certains acquis –, la qualité du dialogue avec le Parlement, les industriels et le Gouvernement est essentielle pour permettre à la CRE de rendre ses avis et de fixer les prix.

La liberté de choix est autant une revendication du consommateur résidentiel que du consommateur industriel. S'agissant de la consommation ordinaire, cette liberté de choix est, en droit, à peu près totale. Les prochaines étapes sont connues : la décision attendue du Conseil d'État sur le gaz, la fin, demandée par l'Union européenne, du dernier tarif réglementé sur l'électricité et la redéfinition, à terme, de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (ARENH).

À mon sens, l'enjeu réside aujourd'hui dans les contrôles sur les marchés, le rôle de la concurrence et les possibilités que nous offre la technologie. Le contrôle du fonctionnement des marchés, y compris de celui du CO2 – même si le prix de ce dernier est inférieur à dix euros – est très important. L'extension des marchés et leur unification peuvent permettre des manipulations qu'il s'agit de surveiller, de contrôler voire de repousser. La réglementation européenne avec le règlement européen relatif à l'intégrité et à la transparence des marchés de gros de l'énergie (REMIT) doit s'appliquer.

La libre concurrence est un enjeu essentiel pour l'avenir et le développement de l'industrie européenne mais nous connaissons tous les tenants et aboutissants du débat en la matière : monopole contre baisse des prix, consommateurs contre producteurs, idéologie contre pragmatisme, construction européenne contre décisions nationales – voire replis nationaux. À l'évidence, avec les propositions sur le quatrième paquet, les débats sur l'avenir du nucléaire et la montée des énergies décentralisées de même que les débats sur la concurrence ne sont pas près de s'éteindre. La concurrence au service d'une politique du meilleur prix semble une bonne chose. Encore faut-il qu'elle permette d'assurer l'investissement à long terme, la sécurité des approvisionnements, la préservation de l'environnement et l'équilibre de l'Union européenne. C'est bien là l'optimisation à rechercher.

La défense du consommateur et l'irruption du citoyen-consommateur dans les processus de décision sont une nouveauté. La transition énergétique et sa prise en compte dans le débat sur les tarifs dans toutes ses composantes sont les caractéristiques du monde nouveau qui est en train de se construire. Nous y reviendrons lorsque nous évoquerons les énergies renouvelables.

Les smart grids, le rôle des collectivités locales, les agrégateurs d'effacement et le cloud storage des réseaux face au stockage par les producteurs sont autant d'éléments qui me conduisent à penser qu'il ne faut pas regretter l'ancien monde, celui des citoyens consommateurs silencieux et des contribuables résignés. Mais prenons garde : sous couvert de questions très techniques, ce sont des sujets de société qui se dessinent, qu'il s'agisse du stockage autorisé ou non pour les gestionnaires de réseaux de transport (GRT), de la tarification du soutirage ou de l'injection pour les auto-consommateurs. Sur l'ensemble de ces sujets, la CRE a vocation à aider le Parlement à tracer le chemin à suivre.

Certes, se posent aussi, sur ces points, les questions de la bande de sécurité de production et de son financement et du rôle respectif des gestionnaires de réseaux de distribution (GRD) et des GRT pour les niveaux de raccordement mais il s'agit bien là aussi de questions de société et si la capacité désormais absolue de la technique autorise tous les possibles, le législateur doit jouer un rôle majeur pour éviter le danger de l'entre soi énergétique dans ce paysage chamboulé.

La CRE, par ses avis et ses propositions, me semble devoir être un animateur objectif et impartial du débat, permettant au législateur comme au Gouvernement de prendre ses décisions, et choisir ses orientations de façon éclairée et de façon à garantir la solidarité entre tous les territoires.

Le troisième enjeu est celui de la défense de l'intérêt industriel.

Le secteur énergétique se caractérise avant tout par un faible prix du mégawattheure. Cette semaine, il tourne autour de 35 euros sur les marchés de gros alors qu'il y a dix ans, nous nous attendions à ce qu'il soit de 100, voire de 200 euros. La deuxième caractéristique de ce secteur réside dans le tassement de la consommation électrique et gazière autour de 450 térawattheures. Le développement des véhicules électriques changera la donne en termes de consommation mais ne devrait pas avoir d'effet sur la puissance nécessaire si l'on sait étaler les périodes de charge.

Il appartient au Gouvernement, à la Représentation nationale et aux industriels de tout faire pour préserver l'appareil industriel de la filière énergétique française – vous êtes ici plusieurs à savoir à quel point j'y suis attaché –, en France comme à l'exportation, notamment grâce aux techniques de production renouvelable, de stockage, de production de base et d'ingénierie. Cela se fait à une vitesse inégalée à ce jour.

Sommes-nous loin du rôle de la CRE ? Je ne le crois pas. S'il revient au Parlement et au Gouvernement de le trancher, le débat sur la défense de l'outil industriel doit s'appuyer sur une analyse objective et équilibrée, présentée avec impartialité et indépendance par la CRE, puis sur l'action concertée de tous les acteurs du monde de l'énergie. En tout cas, je souhaite que la CRE soit un lieu où la défense de l'emploi ne soit pas hors sujet.

J'en viens à l'environnement et à la transition énergétique.

Le mot « transition » évoque un passage, une réinvention. Cette nouvelle exigence d'un modèle plus durable, soucieux des enjeux environnementaux et d'une efficacité énergétique passe par la promotion des énergies renouvelables, la diversification des sources d'énergie et la réduction de nos besoins énergétiques. Nous nous appuyons en la matière sur la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte du 17 août 2015 et sur l'accord adopté au terme de la Conférence de Paris sur le climat (COP21).

Le développement des énergies renouvelables est un objectif ambitieux mais difficile à concrétiser. Cette dynamique collective avait été enclenchée par M. Jean-Louis Borloo – j'en tire aussi une certaine fierté – alors qu'on pensait que le prix de l'énergie allait s'envoler. Aujourd'hui, l'enjeu du prix demeure pour les producteurs. Il reste donc nécessaire de soutenir le développement et la production d'énergies renouvelables, même si les prix de revient ont considérablement baissé et même si cela a un impact sur le montant de la CSPE. L'une des questions qui se posent à la CRE est celle de la forme que doit prendre ce soutien – instauration d'un prix de marché avec prime après appel d'offres ou obligation d'achat assortie de prix fixes. Mais à terme, les énergies renouvelables triompheront du charbon et des énergies fossiles, comme elles le font déjà dans de nombreux pays du monde.

Toujours en ce qui concerne les énergies renouvelables, doivent être traitées les questions des zones non interconnectées (ZNI), des niveaux de raccordement, entre GRT et GRD, et du power to gas, ce système qui force mon admiration et qui permet de faire de l'hydrogène avec de l'eau et de l'électricité – l'hydrogène pouvant être utilisé comme pile, comme complément de gaz à injecter ou pour la fabrication de méthane à injecter dans les réseaux grâce au CO2 produit par nos industries. Ce modèle est en passe de voir le jour à Fos-Cavaou. Les énergies nouvelles sont devant nous ; elles représentent un enjeu gigantesque.

La moindre consommation d'énergie fossile me paraît un objectif accessible. C'est l'un des enjeux de la transition énergétique mais aussi celui des certificats de capacité de production et de la mise sous cocon des centrales combinées à gaz. L'évolution des capacités de production de ces dernières doit nous permettre de faire face aux crises, sachant que le niveau d'acceptabilité du risque de défaillance reste très faible – de trois heures par an. Enfin, reste posée la question de la pérennisation du nucléaire et du coût du grand carénage.

La consommation globale d'énergie a baissé de 9 % entre 2005 et 2012 et devrait encore diminuer, l'objectif étant d'atteindre moins 34 % en 2020 pour les énergies fossiles. Comme tous les autres pays, nous sommes confrontés à la fois à une baisse de la consommation, à un déclin – souhaitable – des combustibles fossiles, à une dépendance accrue envers les importations de gaz et au problème de l'intermittence de la production d'énergies renouvelables, que l'évolution des techniques devrait nous permettre de résoudre. Nous sommes aussi confrontés à une concurrence internationale pour l'accès aux matières premières énergétiques. Mais la réduction de nos besoins est vraisemblablement une des réponses aux défis de demain.

Permettez-moi de vous livrer quelques-unes de mes interrogations sur le sujet de la moindre consommation. Elles concernent notamment le véhicule électrique et son influence sur l'énergie à produire et sa distribution, l'influence de la baisse tendancielle de la consommation sur le parc nucléaire mais aussi sur la tarification des réseaux et la substitution de la fourniture de services énergétiques à la fourniture d'énergie. Je pense ici aux compteurs intelligents qui permettent aux consommateurs de recevoir des informations mais qui sont parfois rejetés par certains. Ces chantiers sont devant nous et la CRE devra prendre toute sa part pour accompagner ces changements structurels absolument nécessaires tout en garantissant le respect des règles démocratiques comme le bon fonctionnement de notre système énergétique.

Je répondrai à présent aux quelques questions que vous m'avez posées concernant la construction de l'Union de l'énergie, Madame la présidente. Le quatrième paquet, récemment dévoilé par la Commission européenne, est le chemin nouveau qu'elle propose vers une Union de l'énergie. L'optimisation de l'utilisation de la production sur la plaque européenne est évidemment une bonne chose, tout comme le renforcement des interconnexions européennes des réseaux de gaz et d'électricité, mais il faut analyser en détail les coûts et les avantages de toute nouvelle interconnexion avec le Royaume-Uni, l'Italie, l'Espagne et le Portugal avant d'investir lourdement. Les marchés de régulation fonctionnent bien entre pays européens. Saluons enfin l'initiative de RTE sur le système en flux.

L'Union de l'énergie qui vous est proposée dans ce quatrième paquet est indispensable mais elle soulève quand même des interrogations, notamment quant à la rigidité législative : pourquoi faire remonter au niveau central des directives qui pourraient rester au niveau de la pratique ? On s'interroge aussi quant à la tendance centralisatrice et uniformisatrice de cette Union de l'énergie, dans un temps où la mise en place des énergies renouvelables appelle au contraire finesse et décentralisation, et quant au niveau de régulation retenu, qui semble politiquement inexplicable – comment déciderait-on à Ljubljana s'il faut couper l'approvisionnement d'une partie de la Bretagne ? À ce stade, l'énergie n'est pas une compétence propre de la Commission européenne mais le texte que cette dernière met aujourd'hui en discussion entre les États membres pourrait faire évoluer cet aspect. L'énergie relevant des compétences partagées entre l'Union européenne et les États membres, une extension des compétences de l'Union nécessiterait une modification des traités. La volonté d'une plus grande intégration des compétences actuelles peut expliquer les postures de la Commission, au regard notamment des négociations internationales sur le gaz. Mais le temps du débat et des décisions du Gouvernement et du Parlement viendra. Il reviendra à la CRE de les éclairer dans cette construction de l'Europe énergétique.

Qu'il me soit permis de souligner le caractère éminemment technocratique du système des codes réseaux dans leur méthode de construction, d'approbation et d'application ; le rôle central que doit jouer le marché de l'énergie dans la solidarité entre pays européens – nous, qui sommes bien dotés, ne devons pas nous désintéresser de ceux qui le sont moins ; enfin, le rôle que doit jouer la CRE, au sein de l'ACER et de la conférence des régulateurs pour défendre les positions et le modèle français.

Encore faut-il que la CRE en ait les moyens humains et budgétaires. La question reste posée. La ministre chargée de l'énergie a bien voulu accorder vingt postes supplémentaires à notre régulateur de l'énergie : je ne puis dire aujourd'hui si cela suffira. La France doit peser le plus possible dans la mise en place du quatrième paquet et la CRE doit y participer en première ligne. L'appui de la CRE est nécessaire pour élaborer, au profit du Parlement, un corpus de réflexion sur ce sujet très technique mais non moins sociétal. L'Europe doit également accepter de prendre en compte la question de la précarité énergétique.

Voilà, Madame la présidente, Mesdames, Messieurs, le regard que je porte sur notre système énergétique. J'en viens enfin au rôle de la CRE.

Je voudrais tout d'abord remercier M. Philippe de Ladoucette qui, ayant passé onze ans à la tête de l'institution après Jean Syrotta, y a indéniablement laissé sa marque. Pour accompagner les évolutions nationales et européennes du secteur de l'énergie, la CRE doit d'abord remplir – strictement, complètement et en temps voulu – les missions qui lui sont confiées : concourir au bon fonctionnement des marchés de l'électricité et du gaz naturel au bénéfice des consommateurs finals. Cela doit être fait en cohérence avec les objectifs que vous avez fixés à la politique énergétique : réduction des émissions des gaz à effet de serre, maîtrise de la demande d'énergie et développement de la production d'énergie renouvelable.

Les travaux de la CRE sont centrés sur les prix et le marché, les réseaux, les ZNI, le lancement d'appels d'offres dans le domaine des énergies renouvelables, la participation aux instances européennes de régulation et enfin, les avis qu'elle émet à la demande du Gouvernement et du Parlement. Au-delà, je crois que la CRE doit être un organe de réflexion, d'information équilibrée et complète et de proposition au service du Parlement et du Gouvernement – soit à leur demande, soit à sa propre initiative mais avec prudence, dans le second cas. La CRE ne doit, en aucune manière, se substituer à ceux à qui incombent les choix politiques ; elle ne doit pas être un État dans l'État mais être au service et sous l'autorité du Parlement à qui elle rend compte, en toute indépendance vis-à-vis du Gouvernement – fait encore récemment confirmé. Elle est au service de la Nation. Elle peut être aussi un think tank permanent et discret permettant aux partenaires nationaux de la construction de l'Europe de l'énergie de tracer des chemins de convergence. Elle peut être, si vous le souhaitez, l'intervenant majeur des autorités françaises auprès des diverses instances européennes pour que l'Union de l'énergie, si désirable qu'elle soit, préserve les intérêts de notre pays. Elle devra aussi devenir un vecteur de pédagogie et accomplir sa mission en toute indépendance, de manière éthique et collégiale, valeurs qui me paraissent toutes trois essentielles. La CRE n'a de comptes à rendre qu'au Parlement : cela demande du courage car il lui faut savoir se confronter à des intérêts divergents qui, quelquefois, se dissimulent derrière l'intérêt général pour s'exprimer. La CRE et son président sont là pour faire le tri entre toutes ces opinions, pour que se construise une société où l'énergie ne sera plus un enjeu de luttes.

Voilà, Madame la présidente, Mesdames et Messieurs, le regard que je porte sur ce poste.

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