Intervention de Jean-François Carenco

Réunion du 7 février 2017 à 16h15
Commission des affaires économiques

Jean-François Carenco :

Si vous le permettez, je vais répondre d'abord à M. Jean-Luc Laurent car sa question touche à l'essence du sujet. Que suis-je venu faire dans cette galère ? Je me pose aussi la question… À ce stade de ma carrière, j'ai acquis une certaine liberté de ton. La CRE traite de sujets importants pour la société, l'emploi, l'industrie. Elle a, en effet, acquis la réputation de défendre la concurrence pure et parfaite. J'ai cru dire que ce n'était pas tout à fait ma vision. Si la CRE peut être le bras armé de Bruxelles, elle doit être aussi l'un des bras armés de la France à Bruxelles. C'est un jeu d'équilibre, d'aller-retour et d'itération. Si je suis désigné président de la CRE, j'entends prendre toutes les relations avec Bruxelles à mon niveau et ne pas les déléguer à un commissaire. Mon engagement est clair et simple.

Il nous faut construire cette Union de l'énergie parce que l'élargissement de la plaque énergétique est une bonne chose pour l'Europe, pour le climat, pour le consommateur. Je regrette que M. Yves Blein et d'autres aient fait semblant de croire que je ne parlais que du consommateur résidentiel car mon propos inclut évidemment le consommateur industriel. Compte tenu de mon histoire, il me semble que je pourrais être à Bruxelles la voix de cette construction énergétique que nous souhaitons tous mais qui est difficile à réaliser parce que nul ne sait actuellement ce que seront nos capacités technologiques dans dix ans.

Je suis un fanatique des évolutions des technologies, de ce qui nous arrive. Qui pouvait penser, il y a dix ans, quand je travaillais aux côtés de M. Jean-Louis Borloo, qu'on saurait stocker l'hydrogène, qu'on parlerait d'autoconsommation, qu'on ferait de la méthanisation ?

Le système évolue extraordinairement rapidement. Comme certains d'entre vous, j'ai appris à programmer en basique. On s'est cru intelligent en apprenant ce qu'étaient les exaflops et les pétaflops et voilà qu'on nous parle d'ordinateurs quantiques. C'est l'équivalent de ce qui se passe dans le monde énergétique.

Pour en revenir à ma candidature, je dirais que mon train arrivait en gare. Je l'ai pris parce que j'ai la conviction absolue que les acteurs français du monde de l'énergie, dans leur diversité, peuvent influer ensemble sur la construction de ce monde de demain qui, il est vrai, s'élabore beaucoup à Bruxelles. C'est une raison de plus de renforcer la présence de la CRE à Bruxelles. C'est aussi pourquoi je considère que c'est à moi d'y aller si je suis désigné. Il y a l'ACER et la présidence des commissions de régulation. Je pense que la France a plus que sa place dans la conférence des régulateurs. Oui, dans cette galère, je vais faire ce que je crois être l'intérêt de mon pays. C'est ce que je fais depuis quarante ans, je ne vais pas changer. J'ai encore un peu d'énergie.

Par souci de préséance, je vais maintenant répondre à la question de Mme la présidente sur le Médiateur de l'énergie. L'existence parallèle d'un médiateur et d'un régulateur entraîne-t-elle des surcoûts ? C'est le point qui me concerne et m'intéresse puisque les moyens sont limités. Il me semble que le débat a été réglé pour l'essentiel, même si on peut regarder s'il est possible d'économiser encore deux ou trois euros par-ci par-là. Une autre question se pose : le Médiateur doit-il être le réceptacle des plaintes des individus ? Pour ma part, je n'en suis pas sûr mais c'est à lui de répondre.

J'en viens à l'autoconsommation, qui représente un changement radical et pose des questions gigantesques. Certaines, très techniques, se rapportent à l'accès au réseau, tant en soutirage qu'en injection du surplus. Elles induisent des problèmes de tarification, donc de solidarité nationale. Va-t-on vers un entre soi énergétique qu'autorisent l'autoconsommation, les smart grids ? N'y a-t-il pas un danger de « communautarisme énergétique », donc de délaissement de la solidarité nationale ? Tout dépend du prix de l'injection et du soutirage, du TURPE. Les requêtes d'Enedis sont d'ailleurs un peu à front renversé car le gestionnaire du réseau n'est pas chargé de la défense de l'autoconsommation.

Je suis favorable à l'autoconsommation, aux smart grids et aux compteurs Linky dont on sait bien qu'ils n'émettent pas plus d'ondes que les grille-pain. – on peut supprimer à la fois les compteurs Linky et les grille-pain… Les réactions à ce compteur sont révélatrices de la peur de l'avenir que peut éprouver chacun de nous, ce qui m'amène au rôle pédagogique de la CRE. Les autorités dites indépendantes ont-elles plus de poids ? À mon avis, elles doivent, après concertation, s'affirmer comme la voix de tous ceux qui essaient de connaître et de tracer l'avenir. C'est ce que le public attend. La CRE doit donc faire de la pédagogie sur les compteurs Linky et l'autoconsommation.

L'adéquation entre l'offre et la demande en matière énergétique doit-elle reposer sur la territorialisation ? Je n'en suis pas sûr du tout, et cela pose des questions d'investissement. Toulouse doit-il être autonome en matière énergétique ? Quand la Commission européenne parle de régionalisation de la régulation, il s'agit du même sujet : la solidarité entre tous, qui engendre des débats sur les tarifs ou sur les bénéfices d'Enedis et d'EDF. Tout cela est du ressort du législateur. En tant que régulateur, la CRE doit avoir un regard indépendant. Comme elle a accès à des informations en permanence, elle doit aussi vous donner des éléments de réflexion, porter une parole à Bruxelles, faire de la pédagogie vis-à-vis de tout le monde.

Plusieurs questions m'ont été posées sur le TURPE. Je suis heureux que le débat ait été tranché. Imaginez qu'un nouveau régulateur arrive et prenne le contre-pied du Gouvernement, histoire de donner une belle leçon d'indépendance. Si j'étais arrivé avant que le problème soit réglé, j'aurais dû prendre la décision politique – au meilleur sens du terme – de donner tort au Gouvernement, sinon c'en était fini. Je suis donc très content que ce soit réglé…

Fallait-il donner raison ou tort au Gouvernement ? Si je suis nommé à la CRE, j'exprimerais les reproches que j'ai à faire. Je ne trouve pas normal que la CRE ait répondu en quarante-huit heures à la deuxième sollicitation de la ministre, quelle que soit la réponse au fond. Dans sa requête devant le Conseil d'État, Enedis fait d'ailleurs valoir que la commission n'a pas respecté le délai de sept jours. Autre sujet qui me fâche : Enedis est certes indépendante mais je ne crois pas qu'il revienne à une société publique de soulever des questions prioritaires de constitutionnalité. Je le dis comme je le pense. Cela ne participe pas d'une bonne gestion du système.

En matière de sécurité des approvisionnements, la CRE peut se prononcer sur le stockage de l'énergie, sur les plans d'investissement, sur les tarifs réglementés, sur le fonctionnement des marchés, sur les réseaux – rappelons que le transport représente entre 20 et 30 % du prix – et sur les appels d'offres concernant les énergies renouvelables. Elle influe sur le prix de façon considérable. Or, dans ce monde, le prix conditionne l'investissement qui est la clef du changement. Quoi qu'il en soit, la CRE doit faciliter cette transition énergétique.

Je n'oublie évidemment pas l'industrie et, je le répète, le concept de défense de l'emploi ne doit pas être interdit à la CRE. Il ne m'appartient pas d'en dire plus. Comme l'a relevé M. Lionel Tardy, tous les types de technologies recèlent des emplois : la construction de turbine des industries lourdes mais aussi les smart grids, les technologies nouvelles, les facteurs d'autoconsommation.

La France a-t-elle un problème avec la concurrence ? On pourrait dire que les Français, plus que la France, ont un problème avec la concurrence. En dehors des tarifs réglementés, la concurrence est totale. Pourtant, les acheteurs résidentiels d'électricité ne font pas appel à la concurrence. La CRE doit-elle tout faire pour que ces acheteurs changent de fournisseur ? Est-ce le rôle du président de la CRE ou du Gouvernement ? Il me semble qu'il revient à chaque producteur indépendant de persuader ses clients potentiels qu'il est le meilleur. Quant à la CRE, elle doit appliquer des tarifs qui permettent à la concurrence d'exister. Faut-il absolument que tous les consommateurs quittent les producteurs historiques ? Je n'ai pas de religion en la matière.

En ce qui concerne les concessions hydrauliques, M. Lionel Tardy a raison.

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