…consistant à définir par règlement très précisément ce que chacun doit faire. Ce modèle est inopérant ; il ne plaît pas au monde agricole et ne convient pas à l’agilité dont a besoin le monde de l’entreprise.
Le second est celui de la soft law, de la confiance aveugle dans le monde de l’entreprise, lequel est censé aller naturellement dans le sens du bien commun – c’est là une autre illusion. À cet égard, je trouve que les certificats d’économie de produits phytopharmaceutiques – les CEPP – inaugurent ce que pourrait être une politique moderne. L’État fixe un cap, en l’occurrence très réaliste – une diminution de 20 % en cinq ans de la consommation – et laisse les entreprises gérer cette évolution entre elles, sur le modèle du B to B, pour trouver les solutions adéquates.
Dans nos territoires, des innovations sont déjà à l’oeuvre, qui montrent à quel point l’alliance de la recherche fondamentale, de la recherche-action, de la dynamique des filières, de l’inventivité du monde paysan et de tous les opérateurs de l’agroalimentaire permet de trouver des solutions. L’État intervient seulement pour valider et certifier les solutions mises en oeuvre et, à la fin de l’expérimentation, il fait les comptes.
En dépit de nos divergences avec le Sénat, la commission mixte paritaire a abouti jeudi dernier à un accord. Nous avons ainsi admis que, si la sanction n’est pas l’objectif, elle n’en est pas moins indispensable pour donner du sérieux au dispositif. Mais, encore une fois, je fais le pari que ce n’est pas la sanction qui va motiver les entreprises concernées – du secteur de la production ou de la distribution – à inventer de nouvelles solutions ; c’est bien la perspective de conquérir de nouveaux marchés et de construire une nouvelle image qui les poussera à évoluer, car il s’agit bien là, désormais, du nouveau paradigme de l’agriculture dans lequel nous sommes durablement inscrits. La société civile, les évolutions des modes de consommation et les marchés mondiaux en témoignent.
Ce paradigme, c’est le CEPP, politique moderne, dans le cadre du plan Écophyto II qui, pour la première fois, a provoqué un frémissement en 2015. Certes, il faut rester très humbles puisque, avec une diminution de 2,7 %, nous sommes loin de l’objectif de 50 % fixé par nos prédécesseurs, en 2007, lors du Grenelle de l’environnement, mais je suis certain que le living lab, le laboratoire vivant que constituent les 2 000 – et bientôt 3 000 – fermes DEPHY, avec les 30 000 agriculteurs engagés dans la transition agro-écologique, soutenus par le CEPP, fixera définitivement le cap permettant d’atteindre l’objectif de la maîtrise de la phytopharmacie. En effet, le rapport de l’INSERM nous a révélé le danger réel de cette pollution à bas bruits – les perturbateurs endocriniens et les effets cocktail – qui a des effets sur la santé humaine qu’il nous faudra parvenir un jour à contrer par la prévention.
Cette proposition de loi fait d’abord suite au rejet par le Conseil constitutionnel, pour des raisons de forme, des amendements que nous avions intégrés, au terme d’un dialogue avec le Sénat et le Gouvernement, dans le projet de loi Sapin 2. Il s’agissait de lutter contre l’accaparement des terres, autrement dit contre le contournement des politiques de structure et l’incapacité des SAFER à intervenir dans le montage sociétaire, devenu une voie commune. L’affaire de la multinationale chinoise qui avait opéré sur 1 700 hectares dans l’Indre avait suscité une grande émotion, mais dans nos territoires, c’est chose commune avec des sociétés franco-françaises, des groupes dominants sur le plan foncier qui empêchent le renouvellement des générations et la diversité des productions. Il s’agit donc là de ce que j’appellerais une « politique-mère ».
Je relisais récemment le passage de La Terre où Émile Zola évoque « la terre, la nourrice », qui toujours « serait là, qui nourrirait ceux qui l’ensemenceraient. Elle avait l’espace et le temps ». Le foncier est effectivement une politique-mère, une politique qui structure durablement nos paysages, je dirais même notre civilisation rurale. Il est extrêmement important de maîtriser le foncier. Traditionnellement, la France le fait dans des logiques patrimoniales et aussi dans des logiques sociales-démocrates, depuis le général de Gaulle et Edgard Pisani, et tous ceux qui ont établi des lois de régulation qui, à côté de la transmission du patrimoine, donne à l’État le droit d’instruire, dans la collégialité des territoires, le contrôle des structures, les SAFER et autres instruments de régulation pour éviter la démesure et conserver une biodiversité économique et environnementale.
Il faut en effet donner leur chance à ceux qui en ont le plus besoin et pas seulement à ceux qui en ont les moyens. Il faut permettre, pour l’emploi, le renouvellement des générations d’agriculteurs, mais aussi la conquête de la valeur ajoutée ; bref, il convient d’encourager une agriculture à taille humaine, capable de relever les défis du XXIe siècle. À cet effet, il faut faire place à l’économie réelle, à l’esprit d’entreprise, et non pas à la financiarisation et à tous ceux qui font de la faim dans le monde – avec comme perspective 9 à 10 milliards d’individus en 2050 – une opportunité de spéculer sur le manque de foncier et de production alimentaire, ce qui est proprement monstrueux.
Par conséquent, il faut réguler. Avec Christian Paul, Jean-Michel Clément et d’autres, j’avais, dès 2013, rédigé une proposition de loi sur ce sujet. Vous y avez en grande partie donné suite, monsieur le ministre, dans un volet foncier introduit dans la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt. Nous avons rapidement compris que c’était insuffisant, et grâce à l’émotion suscitée par l’affaire de l’Indre, que j’ai évoquée, nous avons remobilisé les forces syndicales et la société civile, et trouvé de nouvelles solutions avec votre concours. Après l’échec de la disposition contenue de la loi Sapin 2, censurée par le Conseil constitutionnel, nous sommes revenus avec cette proposition de loi, qui défend un modèle de régulation au service de l’authentique liberté d’entreprendre, un modèle de civilisation rurale auquel nous sommes extrêmement attachés.
Je conclurai en soulignant que nos débats ont très largement fait l’unanimité dans l’ensemble de la majorité et de la gauche. Ils ont suscité également un dialogue au sein de l’opposition, où l’on a découvert des divergences de points de vue. Mais je me félicite que le monde syndical, dans sa quasi-totalité, soutienne très fortement nos propositions. Je souligne également l’accord que nous avons obtenu in fine avec Daniel Gremillet, rapporteur du Sénat – une suspension de séance de quelques dizaines de minutes a permis jeudi matin de trouver une solution de bon sens qui répond à l’attente des uns et des autres.
Je me réjouis chaque fois que, sans renoncer à nos convictions, nous trouvons des voies communes pour bâtir des réponses modernes aux défis du temps présent.
Il me reste une minute pour vous annoncer, chers collègues, deux rendez-vous pour la prochaine législature, pour laquelle je suis empli de plus en plus d’espérance, car si nous sommes intelligents, nous parviendrons à être présents pour continuer les combats que nous menons depuis cinq ans.