Cette question mérite d’être posée, puisque les infractions qui sont susceptibles de lui être reprochées remontent à plus de trois ans. Voilà une illustration de l’importance de ce sujet. Je sais fort bien qu’en réalité, M. Fillon ne peut pas invoquer la prescription mais je laisse les avocats se casser les dents avant d’arriver à cette conclusion.
Par ailleurs, dans l’affaire de Karachi, où sont en cause un ancien Premier ministre, deux ministres et d’autres personnalités particulièrement importantes, peut-on, ou non, invoquer la prescription ? Quelle est l’incidence de la dissimulation, de l’occultation des infractions sur la prescription ? Voilà quelques questions, parmi d’autres, auxquelles nous avons dû apporter des réponses.
Lorsque cette loi sera adoptée, je voudrais qu’on la laisse vivre un certain temps, qu’on laisse travailler une commission de contrôle, mais que l’on ne rédige pas de nouvelle loi au cours des dix prochaines années. On me parle des spécificités des infractions sexuelles ou de telle ou telle autre infraction : je ne suis naturellement pas opposé à ce qu’on les prenne en compte, mais laissons vivre la loi et, dans une dizaine d’années, reposons, au vu des événements passés, les termes mêmes de ce que nous avons décidé pour identifier ce qui correspond à la réalité de notre temps.
Peut-on invoquer, encore, la prescription en matière de crimes ? C’est une question fondamentale. Autant le peuple français admet la prescription en matière de délits, autant il la rejette en fait de crimes. Je pense, néanmoins, qu’il est nécessaire d’appliquer la prescription tant aux délits qu’aux crimes. Pour autant, la prescription ne doit jamais être un moyen normal d’effacement des poursuites, mais relever de l’exception. On ne doit pas échapper à sa responsabilité – c’est le principe même du droit pénal et de la responsabilité pénale – et on doit d’abord, bien évidemment, penser aux victimes. Ce sont tous ces éléments qu’il était nécessaire de repenser et sur lesquels nous avons essayé de trouver des solutions.
Nous sommes parvenus à un accord global, hormis sur la loi du 29 juillet 1881, relative à la liberté de la presse, qui prévoit une prescription très abrégée – trois mois – dès lors qu’un texte est constitutif d’un délit d’injure ou de diffamation. Or, ces textes ont des incidences pénales. Monsieur le garde des sceaux, le délit de presse doit-il être constitutif d’une infraction pénale ? C’est incontestablement une question très importante. Je pense que, sous une autre législature, il conviendra de repenser globalement la loi de 1881. On me dit de ne pas y toucher, ce que je peux comprendre mais, d’un autre côté, peut-on considérer de la même façon ce qui est imprimé et ce qui est diffusé par internet, intranet ou, plus généralement, ce qui apparaît en ligne ? Ce sont toutes ces questions qu’il faut se poser. Est-on encore dans notre temps lorsque l’on applique une loi de 1881 à la presse, alors même que le support papier est supplanté par internet ?
Ces questions ont été soulevées par le Sénat. Dans un premier temps, nous avions refusé d’analyser les infractions relatives à la presse. Nous estimions, de manière unanime, qu’il ne fallait pas toucher à la loi de 1881. Le Sénat a voulu amender le texte sur cette question, et instituer deux prescriptions, l’une de trois mois, l’autre d’un an. Je considérais que l’accord qui avait été passé par-devant M. le garde des sceaux devait être respecté. C’est pourquoi je me suis opposé avec force à l’amendement déposé par notre collègue président de la commission des affaires culturelles. Il n’en reste pas moins, je tiens à le dire, que le Gouvernement a rempli l’engagement qu’il avait pris. De fait, monsieur le garde des sceaux, vous aviez pris un engagement de moyens et non de résultat : jusqu’ici, il a été tenu. La semaine dernière, le Sénat a été saisi du texte que nous avions voté. Hier, s’est tenue la commission mixte paritaire ; ce matin, la commission des lois s’est à nouveau réunie ; cet après-midi, se tient la séance publique ; le texte repartira ce soir ou demain au Sénat, pour revenir jeudi devant notre assemblée. Je tiens à remercier le Gouvernement, après avoir eu des mots très durs à son égard, parce qu’il a tenu parole : c’est suffisamment rare pour être souligné.
Le Sénat, pour sa part, a voté un amendement, auquel j’aurais aimé qu’il renonce. Il aurait pu ainsi porter avec nous cette loi ; il lui aurait donnée plus de force s’il avait fait le choix du consensus, mais il ne l’a pas voulu. Il a voté en sens inverse de l’Assemblée, en rétablissant les deux prescriptions de trois mois et d’un an. Nous avons décidé le contraire, ce matin, à l’unanimité – je tiens à le dire et à rendre hommage à mon ami Georges Fenech, aux députés Les Républicains et à tous les membres des groupes qui étaient présents. C’est en effet, je le répète, à l’unanimité que, ce matin, devant la commission des lois, nous avons décidé de revenir au texte de l’Assemblée nationale.