Permettez-moi de vous présenter mon collaborateur, M. Vincent Moreau, qui est sous-directeur de la cinquième sous-direction notamment chargée du budget de la défense. J'ai été nommée directrice du budget le 2 janvier dernier. J'ai, bien sûr, en tête tous les éléments relatifs à l'exécution de la loi de programmation militaire, notamment de la programmation 2016 qui a été l'un des objets de votre demande d'audition, mais, le cas échéant, M. Moreau pourra préciser certaines de mes réponses.
Je me propose, en introduction, de rappeler quelques éléments de contexte de finances publiques générales, relatifs à la défense et à la loi de programmation militaire. Je reviendrai ensuite sur les conditions d'exécution de la loi de programmation en 2016, avec un petit focus sur le report de charges, qui fait toujours partie des thèmes importants en matière d'exécution du budget de la défense. Je terminerai sur les enjeux à venir de la loi de programmation de la période qui s'ouvre devant nous, et de l'effort financier à consacrer à la politique de défense.
S'agissant de notre trajectoire de finances publiques, la consolidation budgétaire est à l'oeuvre. Le redressement de nos comptes est engagé depuis 2010, après la très forte dégradation consécutive à la crise économique de 2008-2009, aggravation très forte et spectaculaire tant sur nos déficits que sur la dette publique. Cette consolidation est néanmoins un peu plus lente en France que chez nos partenaires européens, et notre pays reste sous le coup de la procédure dite de déficits publics excessifs, comme la Grèce, l'Espagne et le Portugal. La prévision de déficit public pour la France s'établit à 3,3 % en 2016, et nous visons toujours un objectif de retour à l'équilibre structurel à l'horizon de la programmation, c'est-à-dire corrigé des variations du cycle. Ce sont en tout cas, à l'heure où je vous parle, les engagements qui ont été pris par la France.
S'agissant du budget de l'État, les ministres ont récemment communiqué sur les conditions de son exécution en 2016 : les objectifs fixés en matière de limitation de dépense, dite « norme de dépense », ont été respectés au regard du volume global des crédits, tout en finançant les impératifs qui sont apparus en gestion – nouveaux efforts sur l'emploi, soutien aux agriculteurs avec les crises de 2016 et autres aléas de gestion, telles les opérations extérieures (OPEX). Hors charge de la dette et hors pensions, les dépenses du budget général de l'État ont diminué de 2,8 milliards d'euros par rapport à 2015. Je tenais à rappeler ces efforts considérables réalisés sur la dépense publique pour caractériser le niveau des concours apportés à la politique de défense.
J'en viens à un premier bilan, à mi-parcours, de la loi de programmation militaire 2014-2019.
L'exécution des trois premières années de la LPM témoigne d'une mobilisation sans précédent de crédits en faveur de la politique de défense, dans un contexte sécuritaire et stratégique dramatique qui a conduit à renforcer les moyens alloués à cette politique depuis 2015. Pour mémoire, la LPM initiale votée en 2013 prévoyait un objectif de réduction d'effectifs de 34 000 équivalents temps plein (ETP). En crédits, la loi était construite sur une trajectoire, d'abord, de ressources budgétaires stables en valeur sur les deux premières années, puis augmentant de l'inflation sur les années 2016 et 2017, et de 1 % au-dessus de l'inflation sur les années 2018 et 2019. La trajectoire de la LPM, toutes ressources confondues, entre les crédits budgétaires et les ressources exceptionnelles, devait ainsi passer de 31,376 milliards d'euros en 2014 à 32,518 milliards d'euros en 2019.
Vous le savez, la loi de programmation a été actualisée. Dans un premier temps, l'objectif de réduction des effectifs a été allégé de 18 500 et les ressources ont été accrues de 600 millions en 2016, puis 700 millions en 2017, 1 milliard en 2018 et 1,5 milliard en 2019. Votre commission ayant participé à tous ces travaux, vous connaissez bien ces chiffres.
Fait important, cette actualisation a été l'occasion de substituer des crédits budgétaires aux ressources extrabudgétaires, pour un montant de 6,4 milliards sur toute la période. Cette substitution de crédits aux recettes liées aux attributions de fréquences hertziennes représente un effort substantiel ayant pour but de sécuriser la trajectoire. De fait, les ressources exceptionnelles sont exposées à deux aléas : le premier, consubstantiel à ce caractère exceptionnel, est le niveau effectif des ressources constatées ; le second tient au calendrier d'encaissement de ces recettes. En l'espèce, les recettes liées aux fréquences hertziennes se sont avérées plutôt supérieures qu'attendu, mais elles sont arrivées un peu plus tard que prévu. Désormais, le budget de l'État a bien vocation à porter l'ensemble des ressources allouées à la politique de défense, et garantit ainsi au ministère de la Défense de ne pas être tributaire de ces aléas.
En outre, le conseil de défense du mois d'avril 2016 a décidé un allégement supplémentaire du schéma d'emploi du ministère de 10 000 effectifs, entraînant en pratique l'arrêt complet des réductions d'effectifs, et traduisant les annonces faites par le président de la République le 16 novembre 2015, après les dramatiques attentats de Paris. Ce même conseil de défense, qui avait décidé d'un plan d'amélioration de la condition des militaires, a également validé de nouveaux besoins capacitaires, en supplément de ceux qui avaient été d'ores et déjà identifiés dans le cadre de l'actualisation de 2015.
Tout cela a été traduit dans les lois de finances. Un abondement de 417 millions d'euros, supérieur à ce qui avait été décidé dans l'actualisation de la LPM, fait notable, a été inscrit dans la loi de finances initiales (LFI) de 2017. Le montant de la LPM s'en est ainsi trouvé augmenté de 1,117 milliard par rapport à la loi initiale.
S'agissant des années 2018 et 2019, le conseil de défense a décidé de renvoyer leur financement aux travaux de budgétisation ultérieurs. C'est assez classique, surtout du fait du contexte électoral de l'année 2017.
Il y a une expression de besoins qui est claire, et une traduction, à ce stade de la budgétisation, qui n'est pas encore faite. Nous sommes en tout début d'année et nous n'avons pas encore eu d'échanges techniques avec le ministère de la Défense pour actualiser sa demande de crédits. Celle-ci sera appréciée au regard de l'ensemble des besoins de la politique de défense, le ministère du Budget ayant pour rôle d'inscrire cette demande dans une trajectoire globale, dans un équilibre d'ensemble propre à soutenir l'objectif qui sera assigné aux finances publiques. À ce stade, il est encore trop tôt pour réaliser cet exercice.
Des économies sont susceptibles d'être dégagées. Un travail consensuel a été engagé sur les économies dites « de désinflation » qui ont pu être intégrées à la programmation actualisée, ainsi que sur la réduction du plan d'accompagnement des restructurations, des aides au départ et autres.
Le taux de réalisation financière plus spécifique de la loi de programmation militaire s'est vraiment significativement amélioré par rapport à la loi de programmation précédente, et même par rapport aux lois précédentes. J'imagine que votre commission se penche régulièrement sur la question du respect ou du non-respect des lois de programmation. De façon tout à fait remarquable, la tendance est là très substantiellement différente, avec une exécution « en ligne » par rapport aux programmations actualisées – donc une exécution supérieure à la loi de programmation initiale –, et même des règles différentes pour le financement des surcoûts liés aux opérations extérieures, plus favorables au ministère.
En termes de chiffres, en 2016, l'annuité 2016 de la loi de programmation actualisée est quasiment exécutée, avec une priorité complète accordée à l'atteinte des objectifs assignés par la loi de programmation. On est même au-delà en termes de crédits budgétaires, puisqu'il restait encore un peu de ressources exceptionnelles en 2016. Il me semble également important de mettre en regard la progression de la dépense exécutée en 2016 de l'ensemble des ministères, d'un peu plus de 2 milliards, et la progression des crédits alloués à la défense, de 1,1 milliard. Plus de la moitié de la dynamique dégagée au sein du budget de l'État pour les crédits des ministères a ainsi été allouée au budget de la défense, ce qui est inédit dans la période récente, et même un peu plus ancienne.
En outre, si l'on tient compte du fait que les ressources allouées pour couvrir les surcoûts des OPEX et des missions intérieures (MISSINT), dont Sentinelle, ont été financées par taxation interministérielle, l'exécution globale est supérieure de 831 millions d'euros par rapport à l'annuité de la loi programmation – 686 millions pour les OPEX, 145 millions pour les MISSINT, montants globalement stables par rapport à 2015.
Le report de charges, sur lequel je vous ai annoncé un petit focus, fait toujours l'objet d'échanges « intenses » avec le ministère de la Défense. Le sujet nécessite que je prenne quelques minutes pour revenir sur certains concepts. Car si nous sommes au clair avec le ministère de la Défense sur les chiffres, reste à l'être aussi sur ce que l'on mesure. À cet égard, le concept de report de charges au plan comptable n'est pas toujours celui qu'on utilise dans les ministères.
Le concept de report de charges renvoie à celui des dépenses obligatoires, entendues au sens large – celles qu'il faudrait payer en fin d'année. Le premier périmètre, le plus évident, concerne les dépenses dont le paiement est reporté à l'exercice suivant, du simple fait de l'indisponibilité des crédits. C'est le report de charges intuitif, celui que chacun identifie spontanément. Mais lorsque le ministère de la Défense communique sur le report de charges, il retient un concept est beaucoup plus large.
Aux montants non payés du fait de l'indisponibilité des crédits, il faut ajouter des charges à payer automatiques, des dettes fournisseurs rattachées comptablement à l'exercice n, mais qui ne sont exigibles qu'en janvier de n+1, en raison tout simplement de l'application normale des délais de liquidation et des délais réglementaires de paiement. Ce qui importe, c'est de regarder la dynamique de ces dépenses. Qu'il y ait des « reports de charges » à ce titre est tout à fait normal, puisque quand bien même les crédits auraient été disponibles, ces dépenses n'auraient pas pu être couvertes en fin d'année.
Il y a aussi certaines charges, dites complémentaires et supplémentaires, qui sont également rattachées comptablement à l'exercice n mais ne sont identifiées qu'à l'occasion des travaux de fin de gestion. En fait, elles ne sont même pas connues à la fin décembre et ne pourraient donc matériellement pas être payées. Ainsi, à la date du 25 janvier, on n'a pas encore les montants de ces charges complémentaires et supplémentaires.
Enfin, le ministère de la Défense intègre parfois des montants d'avance. Ce sont des montants qui peuvent être dus mais non versés au 31 décembre, du fait des contrats qui peuvent le lier à certains fournisseurs. Ces dépenses ne peuvent pas être assimilées à du report de charges au sens de paiements en retard ; au contraire, il s'agit de paiements que l'on a prévu de faire d'avance. Et quand bien même ils interviennent en janvier, ils peuvent être toujours en avance par rapport à la livraison du matériel.
Ces précisions faites, j'en reviens aux chiffres.
Nous avons constaté, avec le ministère de la Défense, une réduction du report de charges en 2015. C'est à la fois heureux et bien logique au vu des efforts qui ont pu être faits en gestion. Fin 2015, les dépenses obligatoires entendues au sens le plus large – même si, vous l'avez compris, pour le ministère des Finances, ce n'est pas forcément le bon concept – étaient en réduction de 500 millions d'euros par rapport à fin 2014, passant d'environ 3,5 milliards à environ 3 milliards d'euros. En entrée de gestion en 2017, nous ne connaissons pas le report de charges « au sens large » qui pourrait se comparer à ces 3 milliards. Ce que nous pouvons vous dire, c'est que le report de charges « au sens étroit », que j'ai décrit tout à l'heure, s'établit à environ 1 milliard d'euros. Nous allons, bien sûr, continuer à travailler, étant entendu que l'effort viendra d'abord des services du ministère de la Défense, qui doit mener ce travail de fiabilisation des comptes et de rattachement des opérations pour bien identifier les dépenses à rattacher à l'exercice 2016.
Pour illustrer les chiffres, si l'on prend l'hypothèse d'un report de l'ordre de trois milliards d'euros « au sens large », correspondant donc à environ un milliard d'euros de « paiements en retard », correspond environ à deux semaines de retard de paiements, si on le rapporte à la totalité des sommes, hors titre 2, qui sont dépensées par le ministère de la Défense sur une année complète, et qui tournent autour de 22 milliards d'euros.
En conclusion, nous sommes d'accord avec le ministère pour dire que le report de charges est un élément très important pour apprécier la qualité de la gestion. C'est pourquoi il faut bien en vérifier la soutenabilité. Nous avons constaté en 2015 une réduction de ce report de charges, et nous serons attentifs à ce que ce dernier ne soit pas une « variable de bouclage » à l'avenir, car il faut faire en sorte que les programmations, tant en crédits qu'en réalisations physiques, soient bien effectuées de manière plus sincère.
J'en viens aux perspectives de l'effort de défense à moyen terme et au raisonnement ciblant un pourcentage du PIB – les fameux 2 %.
Permettez-moi, d'abord, un commentaire sur le périmètre des dépenses à prendre en compte lorsque l'on se réfère à cette cible au sens de l'OTAN. Nous sommes rentrés dans le détail des sommes comptabilisées. Du fait qu'il s'agit d'un régime déclaratif et que chaque pays dispose d'une marge de manoeuvre lorsqu'il fait état de ses dépenses, les statistiques OTAN manquent d'homogénéité. Ainsi, depuis 2007, la France ne comptabilise plus la gendarmerie dans ses dépenses militaires, mais d'autres pays continuent à y intégrer des forces militaires qui exercent des missions de sécurité intérieure. Côté français, l'exclusion des dépenses de recherche et développement duales, qui sont portées par un programme de la mission « Recherche », peut amener à s'interroger dans la mesure où d'autres pays peuvent comptabiliser ces dépenses. Dès lors, si l'on s'oriente vers un raisonnement plus systématique se référant à ce périmètre OTAN, il faudrait établir très clairement ce qui est compté ou pas, et tout le monde doit compter la même chose. Les derniers chiffres publiés auxquels nous nous sommes référés n'intégraient pas les données d'exécution concernant la France. Il faut évidemment prendre en compte ces données d'exécution, d'autant que nous avons respecté – et même dépassé – les trajectoires.
Le ministère des Finances n'est pas en mesure de se prononcer sur les niveaux atteints par les autres pays. En tout cas, nous ne pouvons que constater que nous ne maîtrisons pas totalement ce mode de calcul à ce jour. C'est un élément à prendre en compte dans ce débat.
Vous ne reconnaîtriez pas en moi la directrice du budget si je ne vous disais pas, par ailleurs, qu'il est important de repartir sur une analyse de pertinence de la dépense. Bien sûr, le juste niveau de financement de l'effort de défense doit d'abord découler d'une analyse des objectifs stratégiques et des capacités militaires à mettre en face, qui ne s'expriment pas nécessairement, ou pas forcément durablement, en part de la richesse nationale. Celle-ci est d'ailleurs variable et soumise à des aléas de conjoncture.
Il nous semble également important de raisonner, au-delà d'un objectif purement quantitatif, sur la manière d'améliorer l'efficacité, l'efficience de la dépense militaire. Au sein des quelque 32 milliards de la politique de défense, il y a des dépenses plus ou moins efficaces, qui répondent plus ou moins à l'objectif de capacité opérationnelle ; il y a aussi des marges de manoeuvre qui peuvent être dégagées, pas forcément pour baisser les crédits, mais pour retrouver un effort capacitaire.
Les dépenses militaires ont une dynamique intrinsèque. J'ai fait tout à l'heure allusion aux travaux que nous menons conjointement avec le ministère de la Défense pour bien mesurer les effets prix. En tant que telles, certaines dynamiques ne sont pas alignées sur celle de la croissance ou de ce que l'on appelle le « prix du PIB », qui n'est pas seulement l'inflation des prix à la consommation, mais la manière dont se fabrique le PIB en valeur, au-delà du PIB en volume.
Enfin, je précise qu'il existe d'autres référentiels au sein de l'OTAN. Outre l'effort global en faveur de la défense, qui n'intègre pas toutes les dépenses de recherche ou les efforts en faveur du monde combattant, peut également être pris en compte l'objectif de dépenses militaires d'investissement, que nous dépassons aujourd'hui : l'objectif OTAN est à 0,4 % du PIB, et nous sommes autour de 0,5 %.
En conclusion, la trajectoire des dépenses militaires a connu une inflexion très significative avec l'actualisation de la loi de programmation militaire, qui a conduit à augmenter les crédits de 3,8 milliards d'euros. Cette programmation est respectée, et même plus que respectée, sur 2016. Nous sommes dans une phase d'analyse de la dynamique future des dépenses, compte tenu de l'impact pluriannuel que peuvent avoir les engagements pris et de l'intérêt de préserver les programmes d'équipements majeurs d'une exécution heurtée. Cette dynamique est intégrée à nos échanges avec le ministère de la Défense et va contraindre la trajectoire des finances publiques. Toutefois, à ce moment de l'année, nous n'avons pas encore de cible sur l'objectif global de dépenses pour les années ultérieures.
Dans tous les cas, un budget est un choix. Si l'on souhaite augmenter les crédits en faveur de la défense, il faudra demander des efforts supplémentaires sur d'autres dépenses, sachant que l'on peut aussi en faire dans les dépenses militaires pour dégager des ressources. Cela incite plutôt à une discussion sur le besoin et la cohérence physico-financière qu'à un raisonnement exprimé en pourcentage.