La question de l'exclusivité cinématographique semble résolue : quand on pose la question, tout le monde vous dit qu'il n'y a pas de problème, que chacun sait que l'exclusivité est nécessaire pour la production cinématographique. On a besoin, dans le cinéma, de financer une exploitation qui intervient cinq ou six ans après le lancement de la préproduction d'un film. Il existe trois moyens de financer un film : soit des fonds propres énormes – c'est le cas des studios américains –, soit des subventions, soit des pré-recettes. Quand nous avons rencontré la DG Concurrence dans le cadre du dossier Sky, on nous a dit que les producteurs français indépendants n'avaient pas de problème car ils perçoivent des subventions. Or, sur l'ensemble de la production, les aides en France représentent 9 % des budgets de film et les préachats par les chaînes de télévision 35 %. Pour le film « Intouchables », les préachats ont même représenté 60 % du budget. On sait donc que l'on ne peut produire en France sans préfinancement par les distributeurs ou les chaînes de télé.
La suppression de l'exclusivité territoriale porte par conséquent atteinte à la valeur du film dans son territoire d'origine, et donc réduit son financement, mais aussi à cette valeur dans les autres territoires en raison de la chronologie des médias. Là encore, la Commission européenne prétend que ce n'est pas un problème, que les films sortent en même temps partout en Europe. C'est vrai pour un film de Disney ou de Fox mais un film comme « Intouchables » est sorti au Danemark treize mois après sa sortie en France. Il a fait 600 000 entrées au Danemark. Si le film avait été disponible en VOD au Danemark à partir de la France ou de l'Angleterre, pense-t-on qu'il aurait fait 600 000 entrées dans ce pays ou même qu'il serait sorti en salles ? On sait que ce n'est pas le cas, et il est donc absolument nécessaire de garder cette exclusivité pour permettre une valorisation dans les autres territoires.
Il est déjà question d'étendre le soutien aux services étrangers lorsqu'ils s'adressent à un service français, mais nous restons quand même sur une mutualisation de l'obligation d'investissement et des taxes acquittées par ceux qui s'adressent au public français. Or, si l'on supprime l'exclusivité territoriale, Sky ne s'adressant pas au public français, elle ne paiera pas la taxe sur les services de télévision (TST), la taxe spéciale sur le chiffre d'affaires (TCA), elle ne paiera rien du tout. On aboutira à la même situation que celle que vous êtes en train de régler avec les services de SVOD à l'étranger.
Nous faisons face aujourd'hui à deux grandes tentatives de remise en cause de l'exclusivité territoriale. Un premier dossier a été, je pense, réglé hier par le règlement « portabilité », qui présente des solutions à peu près consensuelles dans l'ensemble de l'industrie, mais il reste deux problèmes. Le premier est le dossier « Sky » qui est une approche déguisée de la Commission européenne. Mme Vestager nous dit que les exclusivités territoriales ne sont pas du tout remises en cause et qu'il s'agit seulement d'affirmer que les studios américains ne devraient pas pouvoir interdire à Sky de distribuer leurs programmes dans le reste de l'Europe. Mais cela signifie que le programme de Sky sera demain disponible dans l'ensemble de l'Europe sans avoir à respecter les exclusivités.
C'est dans ce cadre qu'un ensemble de producteurs européens, dont l'UPC, qui représente des producteurs français indépendants, sont intervenus dans la procédure en défense de l'exclusivité territoriale. Nous faisons valoir que celle-ci n'a pas d'effet anti-concurrentiel, tout en protégeant les droits de propriété intellectuelle, et qu'elle a au contraire des effets positifs sur l'offre et la demande car elle permet d'augmenter l'offre de programmes à un prix répondant aux besoins du consommateur.
Je pense que nous avons été entendus. L'audience a eu lieu en janvier 2016 et nous attendions une décision en juin. La décision n'a toujours pas été prise. Paramount a pris des engagements, que nous contestons, mais nous pensons que la DG Concurrence réfléchit et se dit que, si l'ensemble des producteurs européens – il y a aussi des Allemands, des Espagnols, des Italiens… – sont contre, c'est qu'il y a une raison et que l'exclusivité territoriale est nécessaire pour le maintien de la production européenne.
La seconde grande attaque, c'est le projet de règlement « câble et satellite ». L'extension des règles du pays d'origine est pour nous une violation des principes du droit d'auteur. Le projet de règlement veut que, dès lors que l'exploitation est autorisée dans un pays, celui-ci devient pays d'origine et l'exploitation est donc permise dans les vingt-huit pays, pour les services accessoires aux services du télédiffuseur. Ce qu'a dit Mme Comby, c'est effectivement la solution. Le producteur exerce ses droits, négocie avec le diffuseur ou détermine le territoire dans lequel il est permis d'exploiter, ce qui se fait aujourd'hui avec les télédiffuseurs français. C'est le respect des principes posés par les directives de 2001 et de 1993, qui prévoient que les droits doivent être exercés dans un contrat. Le projet de règlement « câble et satellite » est pour nous une atteinte très grave au principe d'exclusivité territoriale et nous pensons qu'il faut lutter contre cette orientation de la Commission européenne.
La territorialité est essentielle mais cela ne signifie pas qu'il n'y a pas de nouveaux services. Un ensemble d'acteurs sont susceptibles d'acquérir certains droits dans le cadre de fenêtres, les pratiques contractuelles évoluent, les services de VOD se développent et l'offre répond de plus en plus en France à l'ensemble des besoins des consommateurs. Il serait souhaitable d'avoir dans toute l'Europe l'aide au développement des services de VOD qui permettent aux consommateurs d'accéder à l'ensemble des programmes produits par l'industrie européenne.