Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, je regrette vivement que nous n’en soyons venus à un sujet aussi intéressant qu’en fin de session. Certes, les aléas des artifices territoriaux ne pouvaient pas nous permettre de discuter différemment, mais tout de même, en alliant problématiques locales, ambitions de bon sens et célérité notamment des élus de l’Île de Beauté, je crois que notre assemblé a pour objectif de bien travailler au bien de la Corse.
La collectivité de Corse est une oeuvre d’unification territoriale : elle rappelle que le peuple corse a le droit de présider et de faire entendre ses nuances et ses particularités au sein de la nation française. Si, trop souvent, une définition idéologique et obèse de l’État ne venait contraindre cet état de fait, nous pourrions discuter paisiblement de ces sujets. Malheureusement, l’échec de la commission mixte paritaire souligne clairement les difficultés auxquelles la représentation nationale se confronte sur ces sujets.
Malgré nombre d’arguments intéressants entendus au cours des débats, je pense qu’il est souhaitable qu’une relation s’instaure entre la nouvelle région et les communes et les collectivités de manière directe, car cela revient à supprimer la strate, devenue tout à fait artificielle aujourd’hui, qu’est le département. Ce fut d’ailleurs l’immense erreur de la loi NOTRe que de soutenir toujours plus avant les conseils départementaux et de faire du centralisme délocalisé, plutôt que d’accroître partout en France l’influence des provinces et de multiplier les libertés communales.
Je pense à ces mots écrits en 1895 : « Cependant, mille choses simples s’agitent là-dessous. Des haines, des amours, des chocs de personnages très ordinaires, c’est, j’en ai peur, tout ce que pourrait fournir la psychologie, même teintée de sociologie, de la vieille ville endormie devant moi. Mais l’extraordinaire n’est peut-être que la splendeur du normal et du familier. » C’est à la splendeur du normal et du familier que nos compatriotes rendent hommage au quotidien et qu’ils voudraient que leurs assemblées rendissent hommage en retour. Ils voient le beau dans la proximité, presque dans l’incarnation de leur civilisation, et certainement pas dans des arcanes insensibles.
Que recouvrent les articles cités ? A l’article 1er, il s’agit d’adapter la loi aux nouvelles dispositions du conseil territorial de Corse. Celui-ci avait fait polémique parce qu’il osait être fier de sa langue et de son indépendance. Il est vrai qu’en comparaison avec les minimes avancées de notre chambre au sujet de la promotion des langues régionales, il y aurait de quoi envier Bastia et Ajaccio. Mais l’envie n’est pas une politique. L’envie est même un bien mauvais guide.
L’article 2 acte la nécessaire fusion de services afin de rendre l’assemblée de Corse cohérente. On ne peut que s’en réjouir. Certes, en Corse comme ailleurs, les syndicats d’initiative, les bureaux locaux, les services mixtes et autres constructions administratives forment une sorte de vie parallèle à celle du pays réel, une vie imperceptible pour nos concitoyens mais où argent, pouvoirs et prébendes s’échangent allègrement sans aucune transparence réelle pour le public. Je suis ravi que les Corses puissent bénéficier de ces avancées.
J’imagine que l’article 3 fait débat : les partis politiques font souvent faire primer les immédiatetés électorales sur le service du bien commun. Le gouvernement socialiste aussi. Toutefois, la tenue de ces élections semble nécessaire. Enfin l’article 4 procède à une répartition financière tout à fait évidente. Je ne comprends absolument pas comment un pareil texte peut soulever autant d’opposition, encore que certains discours me l’aient fait mieux comprendre.
C’est bien l’occasion de faire quelques pas en direction du localisme et d’acter quelques libertés dans la puissance de nos territoires à forte identité ! Il est enfin très bien de voir des singularités insulaires précéder la mise en oeuvre de plus de subsidiarité sur notre territoire.
Je me souviens des articles accablants de la presse étatiste et jacobine à la suite de l’émancipation d’une partie de la représentation politique corse. Comme pour le Brexit et Donal Trump, des éditorialistes d’État, dans le sens où leur salaire est issu majoritairement de subventions publiques, ont évoqué des fantasmes de réveils racistes et autres. Quelles ne furent pas d’ailleurs les élucubrations après les événements de Sisco ou les assemblées spontanées de solidarité avec les pompiers après que ces derniers avaient été agressés !
Le jacobinisme provoque toujours ces effets de rétrécissement des possibilités d’intelligence des situations. Pourtant, les rapports des diverses commissions nous permettent d’espérer d’autre possibilités : économies réelles lors des fusions, vraie mise en commun et non édification de services parallèles, les pistes à travailler sont nombreuses.
Dans une lettre de 1871, Frédéric Mistral écrivait : « J’ai une foi profonde en la régénération de la France. Étant de ceux qui n’avaient pas le fanatisme de la Révolution, étant de ceux qui croient en Dieu et au châtiment du mal, j’entrevois dans le ciel de l’avenir, et d’un avenir prochain, la rédemption, la renaissance ; et j’y crois d’autant plus que je me sens en liberté plus que jamais ; et je vois qu’un grand nombre d’hommes – autant dans les lettrés comme dans les incultes – reconnaissent et confessent qu’il faut revenir aux vieilles moeurs, à l’autorité de la famille antique, à l’amour du sol natal, au culte de la patrie. Et je vois avec bonheur que la province veut revivre, et que le despotisme jacobin se sent mourir […] » Il a tout de même survécu ! « Courage, cher ami. La liberté, la liberté pour tout le monde, pour les individus, pour les communes, pour les provinces, pour la pensée comme pour la religion nous sauvera. »
Je ne peux qu’espérer dans le même programme pour que les libertés revivent.