Intervention de Anne-Yvonne Le Dain

Séance en hémicycle du 16 février 2017 à 9h30
Modification du code des juridictions financières — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAnne-Yvonne Le Dain, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République :

Monsieur le président, monsieur le président de la commission, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le projet de loi que nous examinons ce matin vise à ratifier l’ordonnance du 13 octobre 2016 qui modifie la partie législative du code des juridictions financières, dont évidemment la Cour des comptes, les chambres régionales des comptes et la Cour de discipline budgétaire et financière, mais va bien au-delà.

Cette ordonnance a été prise par le Gouvernement en application de l’article 86 de la loi du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires. Cette loi, vous vous en souvenez, avait pour ambition de contribuer à restaurer la confiance des citoyens dans la puissance publique en créant des dispositions nouvelles tendant à consolider et développer la culture déontologique au sein de la fonction publique.

Le projet de loi initial avait été déposé en juillet 2013 à l’Assemblée nationale avant d’être modifié par le Gouvernement, le 17 juin 2015, par voie de lettre rectificative, afin de l’actualiser et d’en réduire le volume. Opérée au prix d’un renvoi à un grand nombre d’ordonnances, cette réduction visait, selon l’exposé des motifs du projet de loi, à « permettre au Parlement de débattre rapidement sur l’essentiel ».

Le II de l’article 86 de la loi a ainsi autorisé le Gouvernement à prendre par ordonnance des mesures législatives dont beaucoup étaient présentes dans le projet de loi initial, notamment celles relatives aux juridictions financières.

Il s’est donc produit un aller-retour astucieux entre le législatif et l’exécutif de notre Ve République, qui sait être souple lorsque c’est nécessaire, mais ferme et forte lorsque c’est important.

L’ordonnance comprend 53 articles. Elle poursuit un triple objectif, conforme au champ de l’habilitation : simplifier la présentation des dispositions relatives aux missions, à l’organisation et aux procédures des juridictions financières ; mettre à jour plusieurs dispositions – parfois disparates ou souffrant d’imprécision – relatives au statut des magistrats de ces juridictions ; clarifier les règles d’organisation et de procédure de la Cour de discipline budgétaire et financière.

Le chapitre Ier de l’ordonnance simplifie tout d’abord le livre Ier du code des juridictions financières, consacré à la Cour des comptes, afin de clarifier la présentation. Il comprendra donc désormais deux sections, dédiées à un type de mission : « Jugement des comptes » et « Contrôle des comptes et de la gestion ». Ce changement n’est pas anodin ; il est même très significatif.

Après l’avoir défini, il précise également le champ d’application du contrôle opéré par la Cour : les dispositions relatives au contrôle des entreprises publiques et de leurs filiales, qui résultent d’une rédaction aujourd’hui obsolète datant de 1976, sont ainsi clarifiées et simplifiées.

L’article 8 de l’ordonnance nous intéresse plus particulièrement car il concerne notamment les relations entre la Cour et le Parlement. Il prévoit ainsi que, lorsque la Cour des comptes procède aux enquêtes qui lui sont demandées par les commissions des affaires sociales du Parlement, elle peut intervenir dans ce qui était auparavant le domaine de compétence des chambres régionales et territoriales des comptes – par exemple en ce qui concerne la gestion des hôpitaux, des cliniques privées et des EHPAD. Cela instaure une sorte d’aller-retour entre le niveau national et le niveau régional qui assure une cohérence, à l’échelle de la nation, sur ces questions essentielles – car, à travers l’examen de ces établissements, un grand nombre de nos concitoyens sont concernés par l’activité de la commission des affaires sociales. Cette possibilité était jusqu’à présent réservée aux seules saisines émanant des commissions des finances ou de commissions d’enquête. C’est une évolution tout à fait significative puisque la Cour des comptes pourra désormais s’intéresser à d’autres domaines que ceux relevant de la stricte décision de la commission des finances. C’est un point essentiel.

Le chapitre II de l’ordonnance procède à une meilleure organisation du livre II du code des juridictions financières, consacré aux chambres régionales et territoriales des comptes. À cet égard, je salue la décision du Gouvernement d’installer la chambre régionale des comptes de la nouvelle région Occitanie dans les locaux de celle de l’ancienne région Languedoc-Roussillon, c’est-à-dire à Montpellier. Je salue également le travail de Didier Migaud, Premier président de la Cour, qui s’est récemment rendu à Montpellier pour installer cette nouvelle juridiction dans le cadre d’une audience plénière et qui a rencontré des difficultés pour recaser les fonctionnaires qui ne souhaitaient pas s’installer à Montpellier ou souhaitaient évoluer. Un travail important a été réalisé qui, nous le voyons, illustre la cohérence politique de notre législature.

Le chapitre II de l’ordonnance réorganise le livre par types de mission, procède à l’actualisation des dispositions procédurales et prend en compte l’extension du champ de compétence des chambres régionales des comptes au cours de ces dernières années – établissements sociaux et médico-sociaux, groupements d’intérêt public, etc.

L’ordonnance comprend ensuite un certain nombre de dispositions relatives au statut des membres des juridictions financières. Elle met par exemple à jour plusieurs dispositions pour tenir compte des évolutions des règles budgétaires ou statutaires obsolètes depuis l’entrée en vigueur de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances. Il était, là encore, temps de le faire.

L’ordonnance apporte enfin des clarifications relatives aux règles d’organisation et de procédure applicables à la Cour de discipline budgétaire et financière, plusieurs dispositions n’ayant été modifiées qu’à la marge depuis la loi du 25 septembre 1948.

Les modifications introduites ont pour objet de tenir compte d’évolutions de la jurisprudence et de mieux prendre ainsi en considération les exigences de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, ce qui illustre parfaitement l’articulation entre local, régional, national et européen. Il est important de le souligner.

Les règles d’incompatibilité et de récusation des membres de la Cour et des rapporteurs sont ainsi précisées afin de se conformer à l’exigence d’impartialité : ne pourront ainsi exercer les fonctions de rapporteur ou être membre de la formation de jugement les personnes qui, dans l’affaire qui est soumise à la Cour, auraient soit fait un acte de poursuite ou d’instruction, soit participé au délibéré de la Cour des comptes ou de la chambre régionale ou territoriale des comptes à l’origine du déféré. Le nouvel article L. 314-3 du code précise en outre : « La récusation d’un membre de la Cour ou d’un rapporteur est prononcée, à la demande d’une partie, s’il existe une raison sérieuse de mettre en doute son impartialité. » Il s’agit là d’un concept fort simple, que tout le monde connaît et comprend : on ne peut être juge et partie. Il était temps que ce proverbe s’applique et soit intégré dans la déontologie de l’État, notamment en ce qui concerne ces questions.

L’article L. 314-4 du code est également modifié afin que les personnes puissent avoir accès au dossier dès leur mise en cause et non plus après la décision de renvoi devant la Cour. Ce n’est pas anodin car cela montre notre passage dans une société de co-construction et non plus d’injonction où il n’y aurait qu’un devoir d’obéissance et non un devoir de participation.

Certaines dispositions, désormais obsolètes, relatives au suivi du déroulement l’instruction par le ministère public ou à la présentation de son rapport par le rapporteur à l’audience, sont supprimées. La voix prépondérante du président en cas de partage égal des voix est également supprimée, ce qui changera sans doute beaucoup de choses au niveau des chambres d’instruction et de décision, qui passeront de l’imperator au consensus et, d’une certaine manière, à une certaine forme de compromis. Le concept de compromis sera ainsi progressivement réhabilité, lui qui en français courant est assimilé à un accord obtenu sous le manteau, et ne sera plus associé à celui de compromission.

Tant au niveau de la Cour de discipline budgétaire, de la Cour des comptes, que des chambres régionales des comptes et des juridictions financières, le travail que nous avons accompli dans le cadre du texte relatif à la déontologie des fonctionnaires contribuera à améliorer l’image de l’administration et du monde politique.

Voilà, mes chers collègues, les principales dispositions de l’ordonnance que le présent projet de loi vise à ratifier. 1948, 1976, 1990, 2001, 2016 ; l’Europe, la légistique. Nous changeons enfin de siècle. Il était temps !

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