Intervention de Françoise Descamps-Crosnier

Séance en hémicycle du 16 février 2017 à 9h30
Modification du code des juridictions financières — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrançoise Descamps-Crosnier :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteure, chers collègues, nous sommes amenés aujourd’hui à examiner un projet de loi qui vise à ratifier une ordonnance découlant de la loi du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires. J’avais eu l’honneur d’être rapporteure pour ce texte. Aussi ai-je eu une attention particulière pour l’ordonnance que nous sommes invités à valider.

Je rappelle qu’un champ d’habilitation relativement restreint avait été laissé au Gouvernement à l’issue de nos travaux sur ce qui était à l’époque le projet de loi relatif à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires, parce que l’Assemblée nationale avait déjà pris de nombreuses dispositions intéressant les membres des juridictions financières, qu’il s’agisse des magistrats de la Cour des comptes ou de ceux des chambres régionales et territoriales des comptes.

En effet, après avoir proposé dans son projet initial de prendre par la loi de nombreuses dispositions, notamment en matière de déontologie et dans le domaine statutaire, le Gouvernement avait, par lettre rectificative, réintégré ces sujets dans le champ d’une future ordonnance à prendre.

Les députés, dès la première lecture et sur ma recommandation, avaient réintégré dans le véhicule législatif ces dispositions que la lettre rectificative entendait soustraire à notre arbitrage.

Nous avions donc restreint le champ initial de l’habilitation. C’est sur cette base que nous examinons aujourd’hui cette ordonnance. Nous avions cependant laissé la porte ouverte. Une série de réformes étaient à l’époque en cours de discussion et leurs conclusions devaient pouvoir être intégrées à l’issue du dialogue social interne à l’institution.

Sur la forme, j’observe, comme je l’avais déjà dit en commission la semaine dernière, que le Gouvernement a respecté ses obligations aussi bien en termes de délais que de périmètre.

L’article 86 de la loi du 20 avril 2016 autorisait l’exécutif à prendre des dispositions sur un certain nombre de points spécifiques, y compris dans le domaine statutaire. Le Gouvernement n’a pas été au-delà, bien que la possibilité de prendre des dispositions visant à moderniser le code des juridictions financières, afin d’en supprimer les dispositions devenues obsolètes, redondantes ou de les clarifier, laissait tout de même un champ des possibles assez large.

Je précise également que le dialogue social a été mené sur les sujets figurant dans l’ordonnance, comme j’ai eu l’occasion de le vérifier auprès du syndicat des juridictions financières.

Je ne reviendrai pas sur l’ensemble des dispositions contenues dans l’ordonnance : Mme la rapporteure l’a très bien fait et, dans sa présentation, M. le secrétaire d’État a évoqué les principales réformes intégrées dans l’ordonnance. Je souhaite seulement en souligner certaines, à l’aune des débats et interrogations qui avaient été les nôtres lors de nos travaux préparatoires à la loi du 20 avril 2016.

Nous avions pointé en effet à l’époque trois sujets en particulier qui devaient être couverts par l’ordonnance. Je veux prendre un instant pour revenir dessus, même si certains peuvent paraître un peu techniques.

Il s’agissait d’abord d’aligner les dispositions applicables aux magistrats des chambres régionales des comptes en matière de suspension de fonctions sur celles applicables aux magistrats de la Cour des comptes.

L’idée était alors de supprimer la disposition imposant de verser l’intégralité du traitement au magistrat suspendu de ses fonctions, lorsque la procédure disciplinaire engagée à son encontre était elle-même suspendue jusqu’à l’intervention de la décision du tribunal, une telle situation pouvant durer plusieurs années. Un mécanisme de retenue était privilégié à l’époque.

L’article 19 de l’ordonnance instaure un nouveau régime pour les cas de suspension d’un magistrat de chambre régionale des comptes en prévoyant que sa situation doit être réglée dans les quatre mois suivant sa suspension.

À l’issue de ce délai, un magistrat qui, en raison de poursuites pénales, n’est pas rétabli dans ses fonctions, affecté provisoirement ou détaché provisoirement dans un autre emploi, pourra bel et bien subir une retenue, fixée par le premier président ou par le procureur général s’il s’agit d’un magistrat délégué dans les fonctions du ministère public, dans la limite de la moitié de la rémunération totale, supplément familial compris.

Ce régime est similaire à celui qui est prévu pour les magistrats de la Cour des comptes tel qu’il figure au chapitre III du titre II du livre Ier du code des juridictions financières.

Un deuxième sujet portait sur la correction d’erreurs de renvoi relatives aux propositions de nominations sur lesquelles le Conseil supérieur des chambres régionales des comptes donne un avis. C’est chose faite à l’article 16, qui s’inscrit dans les nombreuses dispositions réagençant l’architecture d’ensemble du code.

Un troisième et dernier sujet portait sur l’amélioration de l’articulation des contrôles facultatifs conduits respectivement par la Cour et les chambres régionales des comptes.

Ce chantier est couvert par plusieurs articles de l’ordonnance qui clarifient les missions à la fois de la Cour des comptes, d’un côté, et des chambres régionales et territoriales des comptes, de l’autre.

Je pense également à l’article 28, qui prend en compte – comme l’explique le rapport – l’extension du champ de compétence des chambres régionales et territoriales des comptes au cours de ces dernières années : établissements sociaux et médico-sociaux, ou encore groupements d’intérêt public.

L’article L. 243-1 est ainsi modifié pour que l’entretien préalable au délibéré débouchant sur l’envoi des observations provisoires, aujourd’hui seulement prévu dans le cadre du contrôle des collectivités locales et de leurs établissements publics, soit également effectué dans le cadre du contrôle de ces organismes récemment ajoutés à la compétence des chambres régionales des comptes.

Ces différents sujets n’ayant pas été laissés de côté et, puisque les éléments aussi bien de forme que de fond présents dans cette ordonnance sont conformes à l’esprit et à la lettre de l’habilitation, le groupe socialiste, écologiste et républicain votera naturellement le projet de loi de ratification.

Pour finir, j’appelle l’attention de mes collègues, comme je l’ai fait en commission des lois, ainsi que vous-même, monsieur le secrétaire d’État, sur un sujet intéressant de très près les juridictions financières, et qui devra être inscrit au nombre des travaux de la prochaine législature. Une difficulté est en effet apparue, dans la foulée de la décision du Conseil constitutionnel du 28 juillet 2016, en ce qui concerne les obligations de déclaration de patrimoine par les magistrats des juridictions financières.

Pour une raison de forme, le Conseil a censuré l’obligation faite à ses membres de déclarer leur situation patrimoniale, qui avait été insérée dans la loi organique relative aux garanties statutaires, aux obligations déontologiques et au recrutement des magistrats. Nous avons rédigé une proposition de loi afin de pouvoir légiférer sur le sujet.

Cette décision a aussi invalidé une partie de l’article 50 de la même loi organique – qui déterminait les catégories de magistrats judiciaires soumises à l’obligation de déclarer leur situation patrimoniale – au motif qu’il n’était pas légitime d’instaurer une différence de traitement entre les magistrats. Pour résumer, soit tous les magistrats doivent établir une déclaration, soit aucun ne le peut.

La loi du 20 avril 2016, qui étend l’obligation de déclarer leur situation patrimoniale à certains magistrats des juridictions administratives et financières en raison de l’importance des fonctions qu’ils exercent, n’a pas été soumise au Conseil constitutionnel, mais le même raisonnement pourrait s’appliquer.

Le décret en Conseil d’État, qui est nécessaire pour que s’appliquent les obligations en matière de déclarations de situation patrimoniale, pourrait dès lors ne jamais voir le jour, ce qui irait clairement à l’encontre de la volonté du législateur.

Je tenais à souligner cet état de fait, qui invalide une partie du dispositif construit depuis 2013 en matière de transparence de la vie publique.

Voltaire a écrit : « Pour avoir quelque autorité sur les hommes, il faut être distingué d’eux. » Si l’illustre auteur parlait des bonnets carrés des magistrats, je veux m’inspirer de son propos pour redire l’importance de l’exemplarité. Entendons-nous bien : il n’y a pas lieu de faire peser quelque soupçon que ce soit sur la magistrature, qu’elle soit judiciaire, administrative ou financière, mais parce qu’ils ont à rendre des décisions qui s’imposent à l’ensemble des pouvoirs publics, les magistrats doivent être placés au-dessus de tout soupçon possible.

Le dispositif de déclaration de situation patrimoniale, en raison de sa logique préventive, vise à répondre à cet objectif. Il est donc essentiel qu’il puisse être mis en place, dans le respect, naturellement, des remarques du Conseil constitutionnel.

Il appartiendra aux députés de la prochaine législature d’accomplir ce travail. J’espère qu’ils légiféreront dans ce sens.

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