Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés,c'est un grand plaisir pour moi de retrouver cette Commission à laquelle, comme la présidente a eu la gentillesse de le rappeler, j'ai appartenu au cours de cette législature.
Avant de répondre à ces interpellations très précises, je veux dire combien le département ministériel dont j'ai la charge est fascinant dans la période que nous vivons ; on y observe de très près la réalité de notre monde.
Vous avez en 2014 voté une loi d'orientation, et votre Commission a beaucoup fait pour augmenter les moyens de l'aide au développement ; vous avez accompagné la réforme de la politique de développement et des structures. Sur tous ces points, mon action se situe évidemment dans la continuité de celle de mes prédécesseurs. Notre effort s'accroît, notamment en direction de l'Afrique : nous serons très actifs, je vous le confirme ici, jusqu'au terme du quinquennat, pour accompagner le nouvel essor pris par notre politique de développement, grâce aux réformes de ses structures et à l'augmentation de son budget. J'essaierai aussi d'apporter ma propre pierre à l'édifice.
Je commencerai par parler de la francophonie, dont nul ne saurait surestimer l'importance non seulement affective mais aussi stratégique. Aujourd'hui, 280 millions de personnes ont la langue française en partage ; nous serons 750 millions d'ici trente ans.
Le seizième sommet de la francophonie s'est tenu, au mois de novembre dernier, à Madagascar – et il faut saluer l'effort tout à fait remarquable de ce pays qui a su organiser un sommet pleinement réussi. Un accent particulier a été mis sur la jeunesse et la prévention de la radicalisation : la francophonie est porteuse de culture et de valeurs, naturellement, mais aussi d'une réflexion plus politique. La famille francophone se regroupe pour peser dans le monde aujourd'hui.
Tout au long de l'année 2017 aura lieu le « Grand Tour » de la francophonie, dont mon prédécesseur André Vallini avait engagé l'organisation. Il s'agira d'une série de grandes manifestations culturelles, artistiques, sportives… La francophonie sera ainsi célébrée par plusieurs dizaines de millions de personnes.
Il est également important de favoriser – Michaëlle Jean, secrétaire générale de l'Organisation internationale de la francophonie, y tient particulièrement – l'apprentissage du français et surtout la formation d'enseignants de français mais aussi en français, notamment africains. C'est un défi considérable que nous devons relever, et j'y serai très attentif.
J'en viens maintenant à la politique de développement et de solidarité internationale. Nous avons rénové la politique française de développement grâce à la loi du 7 juillet 2014 d'orientation et de programmation relative à la politique de développement et de solidarité internationale (LOPDSI). Elle fixe nos priorités sectorielles : la promotion des droits de l'Homme, le développement économique durable, le développement humain, la préservation de l'environnement, l'État de droit et le travail décent. Ce faisant, elle propose, comme le fait traditionnellement la France, une vision globale de ces enjeux, à l'image d'ailleurs des Objectifs de développement durable que nous nous sommes fixés pour 2030.
Il faut aussi insister sur la part croissante prise par la société civile, de plus en plus systématiquement associée à nos actions. Le LOPDSI a ainsi fixé un cadre de travail permanent avec les représentants de la société civile dans toute leur diversité : le Conseil national pour le développement et la solidarité internationale. La grande diversité de la société civile internationale est mise en lumière par l'organisation de la version internationale du concours « La France s'engage au Sud », lancée en 2015, et qui a connu sa deuxième édition en 2016.
Je veux souligner ici que la hausse du budget de l'aide publique au développement est le résultat d'un travail parlementaire : vous avez été très en pointe sur ce sujet, et je le sais d'autant mieux que j'étais alors secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement. Dans la loi de finances initiale pour 2017, les crédits budgétaires de la mission « Aide publique au développement » sont en augmentation de 97 millions d'euros. Ils sont complétés par une hausse des ressources extrabudgétaires de 268 millions d'euros, soit une augmentation totale de 365 millions d'euros. Cette hausse supérieure à 10 % est tout à fait significative, même si – soyons honnêtes – ce n'est qu'un rattrapage, car les niveaux précédents étaient insuffisants. Il faut néanmoins se féliciter de ce mouvement, en ces temps de fortes contraintes budgétaires.
Nous avons également diversifié les modes de financement, notamment grâce aux financements innovants ; vous avez rappelé, madame la présidente, la mise en place en 2012 d'une taxe sur les transactions financières (TTF), dont la France est le seul pays à consacrer une partie du produit au développement. Aujourd'hui, elle rapporte 1,1 milliard d'euros dont la moitié est affectée à l'aide publique au développement.
Enfin, nous avons engagé le rapprochement de l'AFD avec la CDC. Des appréhensions se sont fait jour, et cette réforme n'a pas été aussi complète que le souhaitaient ceux qui l'avaient imaginée. Mais son principe, celui d'un rapprochement des deux organismes, est aujourd'hui mis en oeuvre et les responsables estiment que le processus fonctionne bien.
Une convention-cadre pluriannuelle, conclue à l'occasion du soixante-quinzième anniversaire de l'AFD, permettra de favoriser la mise en commun d'expertises sectorielles et l'émergence de synergies opérationnelles et stratégiques ; elle facilitera aussi la mobilité des personnels entre les deux institutions et fera converger les réseaux de l'AFD et de la CDC afin de bâtir des partenariats communs. Un fonds d'investissement commun aux deux groupes sera créé pour financer de grands projets d'infrastructures dans les pays en développement : nous disposerons ainsi d'un bras de levier financier beaucoup plus important.
Ce rapprochement de l'AFD et de la CDC ainsi que l'augmentation progressive des moyens de l'AFD d'ici 2020 font partie des vingt-quatre décisions du Comité interministériel de la coopération et du développement international (CICID) qui s'est tenu le 30 novembre 2016. Le CICID a fixé de nouvelles orientations stratégiques à la politique française de développement, l'adaptant à l'Agenda 2030 pour le développement durable que je citais tout à l'heure. Il a également pris acte de la modernisation du dispositif français, à travers notamment la création d'Expertise France.
S'agissant d'Expertise France, issue du rapprochement de six opérateurs préexistants, cette nouvelle agence me semble aujourd'hui bien partie. Son budget est aujourd'hui de 133 millions d'euros, dont 127 millions de chiffre d'affaires ; il est encore en déficit de 5,3 millions d'euros, mais ce chiffre est conforme à la trajectoire financière fixée. Les crédits alloués à Expertise France en loi de finances initiale se montaient à 12,7 millions d'euros – soit 8,6 millions d'euros en transferts d'expertise technique, 3,4 millions correspondant aux crédits de l'ancien groupement d'intérêt public « Ensemble pour une solidarité thérapeutique en réseau » (GIP ESTHER) et 700 000 euros au titre de l'équilibre financier de l'opérateur.
Expertise France, vous le savez, travaille plus particulièrement sur la gouvernance démocratique, économique et financière ; sur la stabilisation des pays fragiles et la sécurité, car la prévention des conflits est aujourd'hui au coeur de notre politique de développement ; sur la lutte contre le dérèglement climatique et sur le développement urbain ; sur la santé, la protection sociale et l'emploi.
Nous espérons qu'Expertise France atteindra l'équilibre financier en 2020 ; d'ici là, nous continuerons à accompagner l'opérateur par une subvention de transformation. Un travail interne de restructuration est également indispensable.
Je voudrais insister sur le bilan positif de notre politique de développement en Afrique. J'ai été particulièrement impressionné par la réussite du vingt-septième sommet Afrique-France qui s'est tenu à Bamako en janvier. Le Président de la République français peut se prévaloir de ce succès, et je souligne qu'il a été notamment remercié par le président du pays hôte, qui a salué la France comme un partenaire « sincère et loyal ». Ce sommet a rassemblé bien au-delà de l'Afrique francophone et de nos partenaires traditionnels : plus de trente-quatre chefs d'État ou de gouvernement y ont participé. J'ai entendu, y compris de responsables qui n'ont pas l'habitude de nous adresser beaucoup de louanges, une véritable demande de France. Les rapports entre l'Afrique et la France ont légitimement suscité bien des discussions ces dernières années ; mais j'ai le sentiment que nous devons avoir la force morale de dépasser ces débats : aujourd'hui, nos liens sont puissants, et essentiels pour les uns comme pour les autres.
Notre but premier n'est pas d'exercer une influence mais d'être un partenaire, je reprends une fois encore ces mots du président Ibrahim Boubacar Keïta, « sincère et loyal » dans le développement du continent africain.
J'ai ressenti à Bamako une réelle préoccupation des dirigeants africains vis-à-vis du radicalisme et de l'extrémisme violent. Il existe aujourd'hui une prise de conscience générale des risques encourus partout sur le continent.
Les économies du continent ont un potentiel de croissance remarquable, et notre politique de développement vise, avec les États eux-mêmes et les organisations africaines, à mieux former la jeunesse ; le développement du numérique est en ce sens crucial. BPI France et l'AFD avaient ainsi invité à Bamako les lauréats du Startup Challenge Digital Africa, concours d'innovation en faveur du développement de start-up numériques en Afrique. Les résultats sont tout à fait impressionnants. Il y a là un dynamisme et une modernisation extraordinaires, parfois bien supérieurs à ceux des pays développés, par exemple dans le domaine financier.
La France a tenu les promesses de formation de militaires africains et de financements du développement qu'elle avait faites en 2013.
J'accorde une grande importance au continuum entre sécurité et développement. Chacun est aujourd'hui conscient de la nécessité d'un rapprochement de ces deux secteurs, dont les cultures étaient naguère encore très différentes. J'y reviendrai.
Ce sommet a par ailleurs été l'occasion d'annonces nouvelles par le Président de la République. Plus de 25 000 soldats africains seront ainsi formés au cours des trois prochaines années et nous apporterons notre soutien à un projet d'école internationale de la cybersécurité en Afrique. Nous allons mobiliser 23 milliards d'euros pour l'Afrique au cours des cinq prochaines années. Un fonds d'investissement franco-africain sera lancé, comme vous l'avez souligné, madame la présidente. Malheureusement, je n'ai pas d'informations nouvelles à vous apporter sur ce point. La notion de fonds dédié se développe fortement ; elle n'a pas encore produit tous ses fruits, mais la démarche est intéressante. Jean-Louis Borloo a ainsi été un propagandiste actif en faveur de l'électrification de l'Afrique. Dans le cadre de la COP21, il y a également une forte mobilisation, dans une logique de partenariat entre public et privé. Je rappelle également l'accord entre la France et la Chine pour créer un fonds commun d'investissement, géré par CDC International Capital, et qui investira notamment en Afrique. Je ne cite là que quelques initiatives, mais il existe une mobilisation internationale visible pour agir dans une nouvelle logique de partenariat public-privé.
Nous allons pérenniser le principe d'une journée « Afrique numérique ».
Enfin, la France participera au financement de l'Initiative africaine pour les énergies renouvelables, à hauteur de 20 %.
Je vous indique également que je me suis entretenu la semaine dernière avec le nouveau Secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres.
Les annonces de l'administration Trump ont provoqué une certaine sidération, puisqu'il est question de réduire la contribution financière américaine à l'ONU de 40 %. S'agissant des questions de santé sexuelle et reproductive, en particulier, j'ai déjà eu des contacts avec les gouvernements néerlandais et suédois… Ils souhaitent se mobiliser pour que ces actions cruciales ne soient victimes de ces coupes.
Ces décisions auraient plus généralement de graves conséquences pour le financement des opérations de maintien de la paix en Afrique, au Liban… Les États-Unis financent aujourd'hui à hauteur de 28 % les opérations de maintien de la paix. Or ces opérations doivent être maintenues.
J'ai ressenti, chez tous mes interlocuteurs, une grande inquiétude et une forte demande de France et d'Europe – demande de soutien financier, certes, mais surtout de parole politique. Je souligne d'ailleurs qu'il existe aussi une demande de Chine : si les États-Unis mettent leurs menaces à exécution, une partie considérable des organisations internationales se tourneront vers ce pays. Aujourd'hui, la France est bien plus présente aux Nations Unies que la Chine ; mais celle-ci s'implique de plus en plus. Et l'on peut très bien imaginer un basculement du centre de gravité de l'ONU.
J'évoquais mes priorités pour ce ministère. J'ai déjà insisté sur l'importance d'un continuum entre sécurité et développement. C'est d'ailleurs une préoccupation que je partage avec Antonio Guterres, qui souhaite réformer assez profondément le fonctionnement de l'ONU, afin d'alléger la bureaucratie et de réduire les coûts mais aussi de favoriser de meilleurs échanges au sein de l'organisation ; il envisage notamment de rapprocher la direction des affaires politiques avec celle de l'organisation du maintien de la paix. L'ONU doit être, selon lui, beaucoup plus engagée dans la prévention des crises, mais aussi des risques de rechute.
L'AFD joue pleinement son rôle dans cet établissement d'une meilleure articulation entre les actions humanitaires d'urgence et celles qui relèvent plus habituellement de la politique de développement, notamment grâce à sa « facilité de lutte contre les vulnérabilités et de réponse aux crises », dont la création a été décidée lors du CICID de novembre 2016 et qui est dotée de 100 millions d'euros par an.
Je pense principalement à quatre chantiers prioritaires que la facilité pourrait appuyer : la République centrafricaine, le lac Tchad – projet transfrontalier –, la Syrie et le Liban, et enfin le Sahel.
La Commission européenne a déjà commencé à faire évoluer ses procédures et dispositifs, avec notamment la création de fonds fiduciaires. Le fonds fiduciaire d'urgence créé lors du sommet de La Valette répond à cette même logique de travail à la fois sur la sécurité et sur le développement.
J'accorde également une grande importance à l'amélioration de la santé sexuelle et reproductive. Cela fait partie de nos valeurs, bien sûr, mais c'est aussi un objectif stratégique. Vous connaissez parfaitement les enjeux démographiques contemporains, mais aussi les problèmes de mortalité maternelle et infantile. Mais je veux signaler ici que le président du Niger, Mahamadou Issoufou, ainsi que celui du Burkina Faso, Roch Marc Christian Kaboré, sont conscients de la nécessité d'une maîtrise démographique. Le retour de la volonté d'agir en ce domaine est essentiel.
Je voudrais enfin aborder la question de la recherche, que j'estime absolument fondamentale. J'en ai d'ailleurs récemment débattu avec le professeur Jean-Paul Moatti, président-directeur général de l'Institut de recherche sur le développement (IRD). La recherche, que ce soit dans les domaines de l'agriculture, de l'énergie, de la société doit trouver une place plus importante dans les politiques publiques : lorsqu'une politique publique – sur les questions d'énergie, de sécurité ou de défense… – est mise en place, elle doit systématiquement prévoir un budget destiné à la recherche. Il faut avoir le courage politique de dire qu'il faut toujours prélever un pourcentage, certes minime, de ces flux pour financer la recherche.
J'ajoute que, si la recherche est intéressante en soi, lui apporter plus de financements permettra aussi le développement d'un écosystème de recherche en Afrique. Nous soutenons également la création d'un Erasmus euro-africain. M. Moatti, mais aussi les chercheurs de l'institut hospitalo- universitaire (IHU) Méditerranée Infection, installé à Marseille, ont souligné au cours de nos discussions l'importance pour eux de travailler avec des chercheurs africains talentueux, sur les maladies tropicales par exemple. Pour des raisons évidentes, ces chercheurs s'installent souvent en Europe. Il faudrait éviter cette fuite des cerveaux, et pour cela ouvrir de véritables perspectives à l'enseignement et à la recherche en Afrique.
L'année 2017 est un peu particulière, mais la continuité de l'État doit être assurée. Au mois de juillet, se réunira, à Hambourg, un G20 à l'ordre du jour duquel l'Allemagne souhaite inscrire l'Afrique. Il nous faut donc travailler dès maintenant avec nos amis Allemands afin d'aboutir à une convergence de vues sur les politiques à mettre en oeuvre en faveur de ce continent. Par ailleurs, le G7 qui se tiendra en mai en Italie aura notamment pour thème la problématique des migrations, qui est directement liée aux politiques de développement. Enfin, nous devons préparer dès aujourd'hui le sommet Union européenne-Afrique qui se tiendra à l'automne prochain en Côte d'Ivoire. Je serai d'ailleurs à Bruxelles vendredi prochain, pour sensibiliser la Commission européenne aux idées françaises sur ce sujet. Je précise, à ce propos, que les discussions sur l'après Cotonou, c'est-à-dire le fameux accord avec les pays d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP), ont débuté. Là encore, même si les négociations doivent aboutir en 2018 en vue d'une application en 2020, un travail de préparation et de conviction est nécessaire, car nos positions – souvent partagées par nos amis africains – sont sensiblement différentes, actuellement en tout cas, de celles de l'Allemagne notamment.
Voilà rappelés, à la fois trop longuement et trop superficiellement, les principaux éléments de la politique que je souhaite mettre en oeuvre en matière de développement et de francophonie.