Intervention de Jean-Marie le Guen

Réunion du 1er février 2017 à 9h45
Commission des affaires étrangères

Jean-Marie le Guen, secrétaire d'état auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé du développement et de la francophonie :

Monsieur Destot, la question de la vision stratégique de l'AFD est importante, et nous partageons vos préoccupations. C'est pourquoi nous sommes en train de discuter avec l'agence du prochain Contrat d'objectifs et de moyens (COM) qui fixera le cadre stratégique et décrira les moyens que l'État s'engage à lui consacrer pour les trois ou quatre années à venir. À cet égard, les financements innovants tels que le produit de la TTF devraient être plus durables qu'un financement budgétaire. Toutefois, nous devons, comme l'a indiqué Jean-René Marsac, parvenir à stabiliser la légitimité de cette innovation pour que la France ne soit pas la seule à prendre une telle mesure. Or, il ne faut pas se raconter d'histoires, le débat se poursuit au plan européen et son résultat n'est pas encore complètement acquis. Les négociations se sont cependant accélérées à la fin de l'année dernière, et cette proposition semble susciter l'intérêt des Allemands, ce qui n'est pas rien. Au total, dix pays européens soutiennent ce projet dans le cadre d'une coopération renforcée. Au cours du second semestre de cette année, l'Allemagne et la France auront sans doute des discussions intenses dont j'imagine qu'elles porteront non seulement sur l'avenir de l'Union européenne et de la zone euro, mais certainement aussi sur l'Afrique et le développement, de sorte qu'elles devraient inclure cette question. Du reste, si nos amis allemands ont inscrit l'Afrique à l'ordre du jour du prochain G20, c'est sans doute pour avancer sur ce terrain-là.

Par ailleurs, la question se pose d'un allongement d'un an de la durée du COM de l'AFD ; j'y suis plutôt favorable.

La Grande-Bretagne est évidemment un sujet de préoccupation majeur. J'ai reçu son ambassadeur, et je dois dire que j'ai perçu une grande hésitation. Alors que les Britanniques étaient, pour des raisons que l'on peut comprendre, les champions du multilatéral, le gouvernement conservateur actuel souhaite insister désormais sur le bilatéral. Toutefois, leur administration n'est pas pleinement adaptée à cette nouvelle orientation : ils n'ont pas l'équivalent de notre AFD avec son réseau d'agences à l'étranger. J'ajoute que cette question s'inscrit dans la problématique du « post-Brexit ». Les discussions qui auront lieu entre l'Union européenne, et singulièrement la France, et la Grande-Bretagne porteront sur les questions de défense et de coopération, donc sur la manière dont nous pouvons travailler avec les Britanniques pour les aider dans ce domaine. En tout état de cause, c'est un véritable défi.

Pardonnez-moi, monsieur Schneider, de ne pas avoir évoqué l'Assemblée parlementaire de la francophonie qui, c'est vrai, joue un rôle majeur et contribue à donner à la francophonie la dimension politique que j'évoquais tout à l'heure.

S'agissant de la définition de l'orientation des fonds européens, je rappelle que la France a été à l'initiative de la mise en place du fonds Bêkou, consacré à la RCA, qui permet une certaine flexibilité.

Il est vrai, monsieur Lesterlin, que le nombre d'étudiants africains accueillis en France a été limité ces dernières années ; nous ne faisons pas tout ce qu'il faudrait en la matière. Mais les Africains souhaitent développer une offre universitaire propre, et il faut que nous y soyons attentifs. Je rappelle, en outre, que la France demeure l'un des pays qui accueillent le plus d'étudiants étrangers. En tout état de cause, nous devons penser désormais, dans le cadre du monde nouveau qui est le nôtre, à l'enseignement numérique. À cet égard, outre le plan numérique national, un plan numérique spécifique concernera l'OIF.

Dans certains domaines, la France est très en retard. Dans celui de la santé, par exemple, que je connais un peu, les Américains ont mis en oeuvre des programmes, notamment MediPlus, en langue anglaise et en langue espagnole, qui permettent à tous d'avoir accès à une gigantesque bibliothèque médicale interactive comprenant notamment des éléments de diagnostic et de thérapeutique. Je m'efforce donc de mobiliser des universitaires pour que nous nous dotions d'un outil analogue, lequel ne nécessiterait pas, d'ailleurs, des investissements colossaux.

Sur la question des visas, je vous donnerai une réponse précise ultérieurement.

À propos de la santé, Mme Guittet m'a interrogé sur l'extension éventuelle du mandat de Mme Boccoz. Une réflexion interministérielle est actuellement menée sur la santé mondiale, et je souhaite consacrer à ce dossier une attention particulière. Il me semble en effet que, depuis quarante ans, la France a déserté l'offre de santé au plan mondial. Elle a certes mené des actions d'aide au développement, mais sa politique de santé n'est pas suffisamment tournée vers l'international. Or, il est impératif qu'elle ne se limite pas aux frontières de l'Hexagone ; nous avons vocation à être un repère et un acteur mondial dans ce secteur, qu'il s'agisse de la santé publique ou de l'offre de soins. Une révolution psychologique est donc nécessaire. Nous y travaillons, et une stratégie « Santé mondiale » devrait être publiée, qui peut aller dans le sens des préconisations de Mme Guittet s'agissant du mandat de Mme Boccoz, qui est une excellente ambassadrice. Il est vrai qu'il nous faut avoir une vision beaucoup plus large.

Sur le plan budgétaire, dorénavant, l'AFD financera le bilatéral et le FSD le multilatéral, en se concentrant principalement sur le climat, l'éducation et la santé. Cette séparation améliorera la visibilité du dispositif et le simplifiera. Un décret d'application relatif à ce fonds, publié le 5 décembre dernier, permet de renforcer la transparence et le pilotage des ressources extrabudgétaires.

Seybah Dagoma m'a interrogé sur notre coopération avec l'Allemagne. Il faudrait que nous ayons une discussion beaucoup plus large sur le sujet. Lorsque j'étais député, je présidais le groupe d'amitié avec la Chine et j'ai été de ceux qui ont souhaité une harmonisation des politiques française et chinoise en Afrique, fondée sur la création d'un fonds, qui existe désormais, et la possibilité de réaliser une véritable coordination stratégique. Ce que je dis à propos de la Chine est, d'une certaine manière, également valable pour l'Allemagne, dont nous sommes évidemment plus proches. En effet, si celle-ci doit intervenir fortement en Afrique, il faut savoir si nous l'envisageons de manière positive ou si nous avons peur d'être concurrencés à certains égards.

Pour ma part, je pense que la stratégie de la France doit être concentrée sur le développement de l'Afrique, indépendamment de la part qu'elle y prend. Non pas par générosité ou par souci humanitaire, mais parce que cette question est éminemment stratégique pour notre pays. Si nous ne parvenons pas à soutenir le développement de l'Afrique et donc à stabiliser les populations, nous connaîtrons des drames terribles dans les années qui viennent. Je ne néglige pas pour autant les intérêts de la France : plus l'Afrique se développera, plus la part de la France augmentera.

Philippe Baumel a évoqué les infrastructures de transport. Il existe un projet français de boucle ferroviaire dans une partie de l'Afrique. Or, ce projet risque d'être fragilisé, pour ne pas dire bloqué, parce qu'un pays, pour des raisons diverses, ne souhaite pas le soutenir. Peut-être adopte-t-il cette position parce que d'autres pays lui ont suggéré que d'autres solutions existaient. Je ne veux pas présupposer que nous avons toujours raison. En tout état de cause, ne pas être capable de faire converger des initiatives est une erreur.

Je prends un second exemple, celui du projet de ligne ferroviaire reliant Addis-Abeba et Djibouti. Il y a une dizaine d'années, ces deux pays se sont adressés à la France pour nous soumettre ce projet en nous expliquant qu'il permettrait que les exportations de l'Éthiopie, pour des raisons politiques et géographiques que vous connaissez, se fassent à partir de Djibouti, qui pourrait ainsi développer son port. Nous leur avons d'abord répondu que nous étions très intéressés, pour finir par leur annoncer, deux ou trois ans plus tard, que nous ne pouvions pas les aider. Mais nous leur avons dit que nous allions solliciter l'Union européenne. Ils ont attendu six ans de plus, pour se voir opposer un nouveau refus. In fine, ce sont les Chinois qui ont construit cette ligne ferroviaire, stratégique pour ces deux pays. Or, Djibouti est un pays francophone et francophile, et il est essentiel à notre présence dans l'Est de l'Afrique. J'entends d'ailleurs dire qu'il est scandaleux que ce pays ait fait le choix de la Chine. Mais c'est nous qui – peut-être pour de bonnes raisons – n'avons pas donné suite à leur demande. Il aurait été encore plus intéressant de vérifier que les prêts consentis à Djibouti pour réaliser cette opération lui ont été accordés dans des conditions favorables. Le développement de l'Éthiopie, qui passe par sa capacité d'exportation, est stratégique, y compris pour nous, de même que le développement de l'activité du port de Djibouti.

Si nous ne sommes pas capables de mener des politiques de coopération coordonnées, nous y perdons tous. Je reconnais que cette position peut paraître naïve à certains, qui estiment qu'un tel raisonnement conduirait à faire de la place à d'autres. Je ne le crois pas. Je sais, pour en avoir discuté avec eux, que les chefs des entreprises les plus importantes intervenant en Afrique y sont favorables. Nous avons intérêt à accepter la présence des uns et des autres sur le continent.

D'aucuns ont dit, après la tournée de Mme Merkel en Afrique, que l'Allemagne venait nous tailler des croupières. C'est, au contraire, une très bonne nouvelle, pour l'Afrique et pour la France, car elle nous aidera à régler les problèmes que nous ne pourrons pas régler seuls. Nous voulons travailler avec l'Allemagne. Certes, sur le post-Cotonou, leur approche n'est pas exactement la même que la nôtre, mais j'ai confiance. Je crois que, la connaissance de ces questions par les Allemands s'améliorant au fil du temps, ils comprendront que les accords ACP ne sont pas « postcoloniaux » mais qu'ils ont vocation à traiter la question stratégique de l'Afrique.

On dit souvent que la France est arrogante, mais il m'arrive de penser que d'autres le sont aussi. Nous devons, les uns et les autres, mettre notre arrogance de côté et travailler ensemble. J'ai d'ailleurs prévu de rencontrer mon homologue allemand à Berlin, mais ce n'est pas simple, tant l'organisation politique allemande semble complexe.

J'espère avoir répondu à vos questions.

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