Intervention de Élisabeth Guigou

Réunion du 15 février 2017 à 10h00
Mission d'information sur les suites du référendum britannique et le suivi des négociations

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉlisabeth Guigou :

Je veux d'abord vous remercier, monsieur le président, d'avoir réuni cette mission d'information ; c'était très important. Nous avons travaillé de façon intensive, dans un excellent climat, évidemment avec le souci, d'abord et avant tout, au-delà de nos différences, de faire prévaloir les intérêts de la France dans cette négociation et notre leadership en Europe. J'ai trouvé ce travail passionnant et très utile. Le projet de rapport que vous nous soumettez, monsieur le président, me paraît en tous points excellent.

Il importait, d'abord, que nous puissions exprimer nos exigences avant même que les négociations commencent et, ensuite, que nous restions très vigilants sur la suite des événements, ainsi que vous venez l'indiquer. Je suis tout à fait d'accord avec la réponse que vous avez apportée à la lettre de M. Lellouche : il faudra en effet que notre Parlement puisse, d'une façon ou d'une autre, donner son point de vue sur le déroulement des négociations, ainsi que sur leur aboutissement, car il en va de notre avenir et de celui de l'Union européenne, à plus forte raison dans le contexte international actuel – nous allons être soumis à un certain nombre de secousses ; cela a d'ailleurs déjà commencé avec les déclarations de M. Trump. Ce rapport clarifie considérablement les données que les négociateurs et nous-mêmes aurons à prendre en compte.

Indépendamment des sujets techniques, la négociation sera très difficile. D'une part, il n'y a pas de précédent. D'autre part, ainsi qu'on pouvait le prévoir, le Gouvernement, le Parlement et les diplomates britanniques vont essayer d'avoir « le beurre et l'argent du beurre ». Cela me paraît absolument évident à la suite du discours de la Première ministre britannique. Mme Theresa May n'a clarifié qu'une seule chose : elle a pris acte de la position très ferme exprimée de manière unanime par les Vingt-Sept au sommet de Bratislava sur le caractère indissociable des quatre libertés, ce qui impliquait de refuser au Royaume-Uni l'accès au marché unique s'il n'acceptait pas la libre circulation des personnes et le contrôle de la Cour de justice de l'Union européenne ; elle en a tiré la seule conclusion possible, à savoir que le Royaume-Uni se retirerait du marché unique, ainsi, d'ailleurs, que de l'union douanière. Si ce point est parfaitement clair, son discours laisse en revanche planer un maximum d'incertitudes sur tout le reste. En particulier, elle a déclaré vouloir un accès maximal au marché unique, en mentionnant expressément les secteurs de l'industrie automobile et des services financiers, qui correspondent aux intérêts offensifs de son pays. On voit très bien que les Britanniques vont essayer d'obtenir, sur les éléments qui sont importants pour eux, des négociations qui leur donnent satisfaction.

C'est pourquoi il est très important, ainsi que vous l'avez souligné, de tenir une ligne extrêmement ferme sur quelques points, sans esprit punitif, naturellement. Il s'agit de rechercher le meilleur accord possible sans brader nos intérêts ni ceux de l'Union européenne.

D'abord, il ne faut pas commencer les négociations sur le statut futur tant qu'un accord n'aura pas été trouvé sur les aspects institutionnel, administratif, juridique et budgétaire de la sortie du Royaume-Uni. Il y a trois grands sujets à cet égard, dont le plus difficile sera la question budgétaire, ainsi que vous l'avez souligné. Il faut vraiment tenir bon sur le principe d'une négociation en deux phases. Les dispositions transitoires figurant dans l'accord de retrait devront être mises au point, elles aussi, indépendamment du futur statut. Si ces dispositions transitoires, demandées par le Royaume-Uni, sont conçues comme des dispositions d'application de l'accord de retrait, pourquoi pas, mais il ne saurait être question de poursuivre indéfiniment les négociations.

La question des droits des citoyens est évidemment l'une des premières à régler, dans un souci de réciprocité. En la matière, je le souligne, il ne peut y avoir qu'une solution européenne, car des accords bilatéraux seraient contraires au droit européen. Raison supplémentaire pour nous de rechercher un accord sur ce point dès le début.

Nous devrons exercer notre vigilance pour que le mandat de négociation donné à la Commission européenne soit parfaitement clair sur le principe d'une négociation en deux temps et très ferme sur les éléments financiers, sachant que l'accord de retrait devra être approuvé par le Conseil à la majorité qualifiée et qu'il ne sera pas soumis, en tout cas formellement, à la ratification des États membres, même si – je suis entièrement d'accord avec vous – nous devons avoir notre mot à dire sur les résultats de la négociation.

Le Royaume-Uni va évidemment essayer de battre en brèche l'unité qui s'est formée à Bratislava et qui est la condition de notre succès. Pour rester uni, il faut à tout prix éviter de se laisser entraîner dans des négociations secteur par secteur ou politique par politique. Si tel est le cas, nous nous ferons couper en tranches ! Les négociations doivent embrasser l'intérêt général commun, l'ensemble de nos intérêts en tant qu'Union européenne.

Cette unité tiendra-t-elle si la menace d'une sortie sèche est brandie ? On ne peut pas tout à fait écarter cette hypothèse, qui est l'une des trois que vous avez évoquées. Au sein de notre mission, nous avons discuté à plusieurs reprises de l'inquiétude que l'on peut nourrir à propos de la fragilité de l'unité européenne. En la matière, nous en sommes réduits à des spéculations. De toute façon, il faut tenir bon sur nos positions.

Un certain nombre d'États membres ont un intérêt évident au maintien de la solidarité, ne serait-ce que du point de vue économique et financier. Je pense notamment aux nouveaux adhérents, qui n'ont pas nécessairement la même conception que nous, Français, de ce que doit être l'Union européenne. Car de nombreux pays du Nord et de l'Est de l'Europe partagent aujourd'hui ce qui a toujours été le point de vue du Royaume-Uni, à savoir que l'Europe doit être une zone de libre-échange et rien d'autre. Pour notre part, nous avons toujours plaidé – cela remonte au général de Gaulle – en faveur de politiques et de normes communes, de mesures de régulation, etc. Nous devrons être très vigilants en la matière. La tentation sera grande, chez nombre de nos partenaires, de démembrer le marché intérieur. Faisons notamment attention à ce qui va se passer avec l'Irlande, qui va essayer d'éviter la constitution d'une frontière avec l'Irlande du Nord, avec toutes les implications que cela pourrait avoir pour nos intérêts. Notons au passage que le Brexit suscite beaucoup d'agitation à l'intérieur du Royaume-Uni, surtout en Écosse et, dans une moindre mesure, au pays de Galles.

Ne nous laissons pas piéger par la menace britannique de chercher ailleurs ce qu'ils n'auront plus à partir du moment où ils quitteront l'Union européenne. Vous l'avez rappelé, chiffres à l'appui : l'économie britannique est fortement dépendante du reste de l'Union européenne. S'agissant des services financiers, il nous a été indiqué que la City subirait de plein fouet l'absence d'accord et de mesures transitoires. Lors de notre déplacement à Londres, les représentants de la City ont évoqué la perte de 70 000 emplois. En dépit d'une révision à la baisse des perspectives de croissance, le Royaume-Uni peut se vanter, pour l'instant, que son économie résiste plutôt bien au Brexit. C'est exact, mais le Brexit n'a pas encore eu lieu. Il ne faut pas se laisser impressionner : le Royaume-Uni sera la première victime du Brexit, même si l'Union européenne en souffrira elle aussi, bien entendu.

Il faudra suivre de très près les difficultés intérieures du Gouvernement britannique. Mais nous ne devons surtout pas donner l'impression, nous Français, que nous adoptons une attitude punitive. Nous devrons le dire au Gouvernement, qui va continuer à négocier après la suspension de nos travaux. Nous n'avons d'ailleurs pas d'attitude punitive. Nous aurions évidemment préféré que le Brexit n'ait pas lieu, nous sommes tout à fait désolés de la situation, mais on ne peut pas non plus nous demander de brader les intérêts de l'Union européenne.

Selon moi, nous devons être très fermes à l'égard des Britanniques, en leur faisant valoir qu'ils n'ont probablement pas intérêt à brandir la menace du dumping, qu'il soit fiscal ou social. D'une part, ils sont eux-mêmes dans une situation de fragilité à cet égard : l'un des principaux arguments de M. Boris Johnson en faveur du Brexit, on s'en souvient, était que le Royaume-Uni allait pouvoir réaffecter le montant de la contribution britannique au National Health Service, qui est en très mauvais état. D'autre part, il est absolument indispensable que nous renforcions l'Union européenne dans des domaines qu'elle a très peu explorés jusqu'ici. Le rapport se conclut – nous l'avons un peu revu en ce sens, et j'en suis heureuse – sur la nécessité de ne pas négliger les éléments fondamentaux qui peuvent être liés, en bien ou en mal d'ailleurs, au vote en faveur du Brexit. Cela impose à l'Union européenne de continuer à se renforcer pour résister à d'éventuels chocs.

Il est nécessaire, d'abord, d'aller au bout de l'union économique et monétaire, avec l'union bancaire. L'union monétaire, nous le savons, reste encore fragile. Si un autre choc se produisait, il serait probablement très difficile d'y faire face, peut-être plus encore que la fois précédente.

Il faut, ensuite, une véritable union économique pour résister à un éventuel dumping fiscal. Pour ce faire, il faut justement empêcher l'utilisation des méthodes de dumping fiscal et social au niveau européen. Nous devons adopter une attitude beaucoup plus ferme en la matière. Nous l'avons fait sur les abus en matière de travail détaché – Gilles Savary a beaucoup travaillé sur ce point –, mais il faut le faire aussi sur les questions fiscales. Et, naturellement, une véritable union économique implique que l'on tienne compte des effets des politiques menées par chaque pays sur tous les autres – je pense évidemment à l'Allemagne.

Si nous voulons parvenir à nous protéger et à protéger nos intérêts, il est absolument indispensable de maintenir, vous l'avez dit, une cohésion très forte avec l'Allemagne au cours de la période qui s'ouvre. Cela sera peut-être plus facile qu'au cours de la période qui s'achève, car l'Allemagne a beaucoup plus besoin de la France aujourd'hui que ce n'était le cas il y a quelques années : elle a compris que sa sécurité dépendait en partie de ce que nous faisons en Afrique, voire au Moyen-Orient, même si nous y avons obtenu moins de résultats positifs ; elle a aussi compris que, pour maîtriser les flux migratoires, elle avait besoin d'un prolongement en matière de politique extérieure, notamment de l'action que nous menons – vous avez pu noter les évolutions qui ont eu lieu sur ce point depuis trois ou quatre ans.

En résumé, il importe de travailler sur l'union économique et monétaire, l'Europe de la sécurité et de la défense et, bien entendu, l'Europe de la justice, sur laquelle vous avez vous-même insisté, et d'être bien en phase avec l'Allemagne.

De ce point de vue, je trouve les dernières déclarations de Mme Merkel très encourageantes : pour la première fois, elle a admis qu'il allait certainement falloir construire une Europe différenciée, que le Brexit nous imposait d'être enfin plus allants dans cette démarche. Celle-ci consiste non pas à exclure tel ou tel, mais, comme nous l'avons fait avec l'euro ou Schengen, à dire ce que nous voulons faire, si nécessaire à quelques-uns, tout en invitant ceux qui le veulent et le peuvent à nous rejoindre. J'espère en tout cas que, quels que soient les résultats des élections à venir, notre pays pourra mener une politique européenne de nature à préserver nos intérêts et à résister aux offensives du Royaume-Uni dans l'immédiat, et à celles de M. Trump qui vont sûrement durer, quelles que soient les vicissitudes de ses déclarations successives.

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