Intervention de Pierre Lellouche

Réunion du 15 février 2017 à 10h00
Mission d'information sur les suites du référendum britannique et le suivi des négociations

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPierre Lellouche :

…et problématique, y compris au regard de cet exercice. C'est pourquoi je vous ai adressé la lettre que vous avez mentionnée. Je vous remercie d'avoir accepté de l'annexer au rapport, sur lequel nous sommes, je crois, tous d'accord.

Dans cette lettre, je soulève trois problèmes.

Premier problème : le mandat. Le mandat qui sera confié à Michel Barnier doit faire l'objet d'un consensus associant les parlements nationaux. Il ne faut pas que nous nous retrouvions dans une situation analogue à celle que nous avons connue avec le traité de libre-échange transatlantique – Trans-Atlantic Free Trade Agreement (TAFTA) – avec les États-Unis : le mandat avait été plus ou moins bricolé à la dernière minute ; on s'est aperçu, en cours de négociation, qu'on ne pouvait plus continuer à discuter, et on a demandé l'arrêt de ladite négociation. Or, dans le cas présent, ce sera impossible : une fois que le mandat sera donné, il sera trop tard pour y revenir. Il est donc très important que le Parlement soit associé à sa préparation. J'ignore comment vous procéderez pour ce faire, monsieur le président, ou comment votre successeur procédera, mais ce point me paraît essentiel.

Deuxième problème : la ratification du premier accord. Je suis heureux de constater que nous sommes tout à fait sur la même ligne à ce sujet : même si l'article 50 du traité sur l'Union européenne ne prévoit pas de ratification nationale, je ne vois pas très bien comment il pourrait être ratifié par la Chambre des communes sans l'être par le Parlement français et les autres parlements nationaux ; il est politiquement impensable qu'il en soit ainsi, notamment en raison de toutes les conséquences juridiques, financières et autres qui en découleront pour nos nations.

Troisième problème : la ratification du deuxième accord. En l'espèce, il faut vraiment éviter la situation que nous avons connue avec le CETA, c'est-à-dire de se retrouver avec un accord mixte, vu la façon dont la Commission européenne joue avec cette notion. Pour ma part, je n'accepterai aucun jeu de ce genre. Vous avez vu comment la Commission s'est comportée dans l'affaire du CETA : dans un premier temps, elle a affirmé que cet accord commercial n'était pas un accord mixte ; puis, les ministres ayant estimé, au mois de mai dernier, qu'il s'agissait bien d'un accord mixte, M. Juncker a fini par ravaler sa copie.

Toutefois, d'après son interprétation, il est possible de « couper » un tel accord mixte. Ainsi, une partie du CETA, à savoir l'essentiel du texte, peut être ratifiée immédiatement par le Parlement européen seul – ce qui va se passer aujourd'hui à Strasbourg – et, pour ce qui est du reste du texte, on verra plus tard avec les parlements nationaux. Il n'est tout simplement plus possible de continuer de la sorte ! Cela contribue massivement, à mon sens, au divorce entre les peuples et l'Union européenne. J'ai rappelé l'exemple du CETA, car il est, selon moi, directement transposable à l'affaire qui nous occupe.

J'en viens à quatre points d'ordre technique, soulevés au fil du rapport, sur lesquels il conviendrait d'apporter des précisions.

Il s'agit, premièrement, du rôle du Royaume-Uni au cours de la période transitoire. Nous allons être dans une situation quelque peu ubuesque : tout au long de la période de négociation, le Royaume-Uni restera associé à toutes les discussions, sauf dans le cas où elles porteront sur l'accord de sortie lui-même ; autrement dit, il sera présent autour de la table même lorsqu'il s'agira d'élaborer des textes législatifs européens. Je me demande si cela a du sens et si, dans le cadre de notre mandat, nous, parlementaires français, n'aurions pas intérêt à dire que cela doit être corrigé. Il me paraît ubuesque, je le répète, qu'un État engagé dans des négociations de sortie continue à travailler à l'élaboration de la législation européenne avec les États qui resteront membres. C'est à n'y rien comprendre.

Quid, ensuite, des milliers de fonctionnaires européens britanniques ? Je parle sans agressivité, mais, dans la logique de la construction européenne, pourquoi la Commission européenne les garderait-elle, à moins bien sûr qu'ils ne prennent une autre nationalité ?

Le rapport précise que le Parlement européen aurait obtenu d'être représenté au sein de l'équipe de négociation. Le mandat devrait à mon sens prévoir également l'association des parlements nationaux.

Quant à l'ardoise que nous allons présenter aux Britanniques à la sortie, vous évoquez un montant de 55 à 60 milliards d'euros. Compte tenu de la dynamique interne de la politique britannique, je ne vois pas comment nous allons récupérer cette somme – cette demande pourrait précipiter de vrais désaccords, voire une sortie plus rapide. Il me semble que le rapport pourrait insister sur cette question.

Le problème des frontières de l'Europe – Mme Guigou a déjà cité Gibraltar et l'Irlande – est essentiel. Il faudrait également y insister.

Vous soulevez la question des conséquences du retrait britannique sur l'équilibre politique entre les nations, en raison du nouveau calcul des votes à la majorité qualifiée. C'est un sujet majeur – qui rejoint d'ailleurs celui de la coopération franco-allemande. Toutefois, je ne suis pas sûr qu'il faille le faire figurer dans notre rapport : avons-nous intérêt à souligner ce point ? Un tel argument pourrait se révéler contre-productif ; si nous voulons conserver l'unité des Vingt-Sept, nous pourrions avoir intérêt, plutôt que de jouer cartes sur table, à garder quelques atouts dans notre manche. Les conséquences du nouveau calcul seront importantes, et certains pays qui soutenaient traditionnellement le Royaume-Uni vont être orphelins, surtout si nous arrivons à constituer une équipe franco-allemande restreinte.

Je souligne d'ailleurs que l'Espagne a déjà brisé l'unité et adopté la rhétorique britannique en souhaitant la négociation d'un seul accord et non pas de deux accords distincts.

Vous reprenez les chiffres de soldes migratoires donnés par Mme Sylvie Bermann. Or, pour la France en tout cas, ils sont contredits par ceux du ministère de l'intérieur. Il y a chaque année dans notre pays 200 000 entrées légales, ainsi que 100 000 migrants accueillis au titre de l'asile. Le solde migratoire est donc à peu près équivalent.

J'en terminerai avec les quatorze recommandations du rapport. Elles sont pertinentes, mais à mon sens il en manque une. Une chose est de dire, comme Mme Guigou ; « Europe, Europe, renforcement de l'Europe ! » ; une autre est de se rendre compte que nous ne nous trouvons pas par hasard dans une telle situation. Si les Britanniques partent, ce n'est pas parce qu'ils sont « affreux » et qu'ils ont depuis toujours un pied dedans et un pied dehors : si nous organisions en France un référendum de ce type, nous ne serions pas bien du tout non plus ! Si nous voulons sérieusement sauver la construction européenne, nous aurions donc intérêt à réfléchir aux leçons à tirer de cette affaire, ainsi qu'aux rendez-vous manqués dans la négociation avec David Cameron.

Je serais donc favorable à une quinzième recommandation : pourquoi ne pas proposer la création d'un comité des sages qui aurait pour mission de s'interroger sur les changements, institutionnels et autres, nécessaires pour poursuivre l'entreprise européenne ? Pour ne pas jouer toujours en défense, la prospective est indispensable. Il faut repenser les frontières de l'Europe, la question migratoire, le gouvernement économique de la zone euro ; il faut redéfinir les négociations commerciales pour qu'elles ne soient pas hors-sol, simplement confiées à un commissaire européen, et pour ne pas entendre à nouveau « circulez, il n'y a rien à voir » ; il faut forcer l'union militaire de l'Europe. Voilà des thèmes auxquels nos gouvernements pourraient réfléchir ensemble, à partir de l'épreuve que nous traversons avec le Brexit. Sans cette réflexion sur l'avenir, tout cela n'aura servi à rien – sinon, certes, à préparer cette négociation si complexe. Nous sommes tous ici attachés à l'effort de rassemblement européen : voilà pourquoi nous devons penser au coup suivant. Ce rapport peut y contribuer, et c'est pourquoi je milite fortement pour cette quinzième recommandation.

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