Je salue le travail de fond que constitue ce rapport. Je partage nombre de vos conclusions, monsieur le président. Il faut évidemment défendre nos intérêts, et la distinction entre les deux procédures – l'une prévue par l'article 50, l'autre par les articles 216 à 218 – devrait nous permettre de négocier pied à pied avec nos amis anglais.
Notre objectif doit être, ce que souligne d'ailleurs le rapport, de conserver des liens forts avec le Royaume-Uni. Vous connaissez la fameuse phrase de Talleyrand, qui, à ceux qui lui reprochaient de se rapprocher de l'Angleterre, avait répliqué d'un ton sec et métallique : « Je fais la politique étrangère de ma géographie. » Le Royaume-Uni quitte une organisation internationale, mais il n'a pas bougé !
Je suis donc de ceux qui pensent que nous devons rechercher une union douanière, notamment pour préserver nos exportations. Nous devons bien sûr régler le problème des personnes : les citoyens européens qui le demeureront, comme ceux qui deviendront les citoyens d'un État tiers, ne doivent pas être pris en otage.
Nous devons aussi, et le rapport le souligne, conserver des liens avec différentes agences – Europol, notamment. Cela me paraît possible, sur la base d'accords bilatéraux, de même qu'il me paraît important de préserver le mandat d'arrêt européen. La négociation se fera au cas par cas.
S'agissant du passeport européen, je rejoins entièrement les conclusions du rapport : nos amis anglais ne peuvent pas avoir à la fois « le beurre, l'argent du beurre et la crémière ! » J'appelle votre attention sur le fait que le passeport européen est fonction de l'entreprise financière en cause, banque ou assurance. Si nous parvenons à un accord, celui-ci doit être très clair : si la législation européenne progresse, alors l'autre partie devra appliquer ces avancées. J'insiste donc sur la précarité de ces accords – je vous renvoie à ma contribution écrite. Il faudra être très ferme sur ce point.
En matière de défense, tout a été dit : le Royaume-Uni est en effet un partenaire incontournable, qu'il s'agisse d'équipements militaires ou de coopération dans la lutte contre le terrorisme.
Quant à associer les parlements nationaux, cela devrait aller de soi. Nous ne pouvons pas transiger sur ce point : il y va de notre crédibilité. Je partage entièrement ce que Pierre Lellouche a écrit.
Mais le rapport omet un point central : le Brexit est un révélateur, celui de la crise de l'Union européenne. Je l'avais dit naguère : l'Europe s'étant élargie, elle doit maintenant s'amaigrir et s'en tenir à l'essentiel. Il y a d'autres crises au sein de l'Union européenne, beaucoup d'autres. Il y a une crise de la gouvernance – le ministre de l'agriculture dit lui-même qu'il a mis un an à convaincre le commissaire européen qu'il y avait un problème dans son secteur. Pour modifier une directive européenne en matière de TVA, il faut dix ans, et même plus ! Il y a une crise de l'euro, et je ne partage évidemment pas sur ce point les conclusions d'Élisabeth Guigou : c'est une crise qui est devant nous, et pas derrière. Nous sommes sur un volcan ! Il y a une crise du contrôle des frontières.
À ce titre, je regrette que ce rapport, notamment dans ses recommandations, présente l'Union européenne un peu comme une Europe assiégée : on se replie sur soi-même, on défend bec et ongles les principes sur lesquels a été fondé un logiciel qui a fonctionné pendant des années et a été très novateur, a fait tomber le chauvinisme économique et l'hyper-réglementation des économies de guerre, mais qui ne fonctionne plus aujourd'hui car nous sommes entrés dans la mondialisation ; le monde a changé. Nous manquons la réflexion que nous devons avoir sur cette organisation internationale.
Certains mots trahissent cette fuite en avant, à l'instar du terme « téléologie ». Ce terme employé dans sa jurisprudence par la Cour de justice, et notamment par le grand juriste Pierre Pescatore, représente pour moi la captation démocratique par excellence : les juristes avancent masqués. Je pense que c'est une erreur.
Vos conclusions parlent de rêve européen. Non, nous ne devons plus rêver, nous devons être matter-of-fact, objectifs, savoir à quoi ça sert et combien ça coûte, comme disait le vieux Dassault. Cela signifie que nous devons traiter des points précis. Si l'Union européenne n'est qu'un rêve utopique, nous allons dans le mur. Nous n'échapperons pas à une refondation de l'Union européenne, qui est aujourd'hui une construction « kelsénienne » de hiérarchie des normes – ce qui est adopté en haut s'applique jusque sur les trottoirs de Salonique ou de Paris. Il faut sortir de l'intégrisme kelsénien pour retrouver de la coopération européenne. C'est le seul moyen de sauver cette organisation internationale et ne pas jeter le bébé avec l'eau du bain.