M. Galut m'interroge sur le point de savoir si une mutualisation est concevable à statut constant. Tout d'abord, l'existence d'un corps scientifique et technique spécifique nous semble a priori opérationnelle. Ensuite – et je réponds ici à M. Lassalle et à M. Bompard –, il ne s'agit absolument pas de fusionner la police et la gendarmerie, qui sont deux entités très différentes. La mutualisation des moyens se ferait nécessairement dans le respect de la diversité des statuts, ce qui est tout à fait possible. Ainsi, ceux qui connaissent le ministère de l'intérieur savent que certains services – notamment le SAELSI, le service des technologies et des systèmes d'information de la sécurité intérieure (ST(SI)2), la direction de la coopération internationale et l'état-major des forces mobiles – regroupent d'ores et déjà des policiers et des gendarmes.
Les trois filières – policiers actifs, scientifiques de la police nationale et gendarmes – peuvent cohabiter. Les gendarmes affirment être formés de manière à pouvoir tout faire. Mais, si ce modèle a des mérites incontestables, il coûte cher et n'est pas forcément plus efficient que celui de la police, dans lequel des personnels scientifiques travaillent aux côtés de policiers actifs. Certes, sur une scène de crime, les personnels techniques et scientifiques doivent travailler sous le contrôle d'un officier de police judiciaire, ce qui complique un peu les choses. Mais il n'est pas nécessaire que les laboratoires, où travaillent essentiellement des personnels scientifiques et techniques, comprennent des policiers ou des gendarmes actifs. La diversité des statuts ne nous semble donc pas être un obstacle à la mutualisation des moyens.
J'en viens à la question des frais de justice et de la politique d'achat en matière d'analyses. Dans un monde idéal, les frais d'analyses devraient être intégrés à la totalité des frais de justice, l'ensemble étant piloté par le ministère de la justice. Mais, vous le savez, ce pilotage pose un problème considérable, si bien que nous sommes face à une double difficulté : d'une part, le domaine des frais de justice n'est toujours pas convenablement maîtrisé ; d'autre part, les analyses génétiques ou toxicologiques sont payées par les budgets de la police et de la gendarmerie alors qu'elles devraient l'être sur frais de justice, dès lors qu'elles visent à résoudre des crimes ou des délits. Pour résoudre ce problème, nous estimons que l'on pourrait, sans tout bouleverser, envisager, dans un premier temps, de basculer les analyses de traces génétiques et toxicologiques sur les frais de justice. Cela n'est toutefois possible qu'à condition que le ministère de la justice passe des marchés allotis, ce qui présenterait le grand avantage de créer une concurrence entre l'INPS et les laboratoires privés. De fait, aujourd'hui, les analyses sont réparties entre des laboratoires privés qui font du haut de gamme à des prix extraordinaires et l'INPS qui fait de l'analyse génétique massive. Or, nous n'avons aucune garantie que tout cela se fasse au meilleur prix.
Quant à la question plus générale des frais de justice, elle évolue lentement, mais elle évolue. Chorus portail pro permet en effet de reporter sur les fournisseurs la charge de l'engagement – ce qui est un progrès pour l'administration – et de réduire les délais de paiement. En revanche, et nous l'avons dit dans notre intervention par référé sur la plateforme nationale des interceptions judiciaires, on peut regretter que le ministère de la justice ne se mette pas en situation, chaque fois qu'il est possible, de passer des marchés, même à bons de commande ou allotis. Dans ce domaine, nous sommes en effet très loin du compte. La direction des affaires criminelles et des grâces, davantage que la direction des services judiciaires, doit se convertir à l'idée que tout a un prix, et que celui-ci doit être connu. J'ajoute que Chorus portail pro permet normalement aux chefs de cour de mieux connaître la dépense de frais de justice, pour ceux qui restent ordonnancés au niveau local puisque, je le rappelle, pour ce qui est des interceptions judiciaires ou de la médecine légale, les règlements sont nationaux.
En ce qui concerne la normalisation européenne, s'appliquent d'ores et déjà le traité de Prüm, c'est-à-dire « Schengen III » ainsi que des normes relatives à l'accréditation des laboratoires et des plateaux techniques et, bientôt, à l'organisation des interventions sur la scène de crime. Il faut s'y plier. À cet égard, la gendarmerie a fait ce qu'elle devait faire. Quant à la police, elle est très en retard et sera donc amenée à constater que toute une série de plateaux techniques qui ne tiennent pas la route ne pourront pas être accrédités – ce qui tombe bien, car ils sont trop nombreux.
Ces normes européennes sont très importantes pour nous. En effet, le crime n'a pas de nationalité. Actuellement, la police et la gendarmerie françaises peuvent consulter, via INTERPOL, les fichiers de nos voisins analogues au FAED et au FNAEG. À cet égard, une direction commune permettrait à la France d'adopter une position unique au regard de la normalisation européenne. En effet, bien que nous soyons à la pointe en matière d'analyses d'ADN, nous ne sommes pas parvenus à faire adopter notre norme nationale à l'échelle européenne, faute d'avoir su défendre notre position ensemble, police et gendarmerie. Or, il ne peut pas y avoir la position de la police française, celle de la gendarmerie française et celle de la justice française. La France doit parler d'une seule voix, dans ce domaine comme dans les autres. Une direction commune permettrait donc de défendre la position de la France sur ces sujets qui évoluent très vite.
Par ailleurs, monsieur le président Raimbourg, il est actuellement possible de consulter les fichiers d'autres pays, mais ces fichiers ne sont pas interopérables. Cependant, il n'est pas exclu qu'ils le deviennent. En Allemagne, par exemple, les fichiers équivalents au FAED et au FNAEG le sont déjà.
Les laboratoires privés sont-ils plus compétents ? Des laboratoires privés sont spécialisés dans certaines analyses très spécifiques, telles que la microdissection au laser, par exemple. Mais, pour l'immense majorité des analyses, il n'existe pas de différences objectives entre laboratoires privés et publics. Cependant, les laboratoires privés, qui communiquent très bien, ont su se donner une image de qualité, notamment en matière de réactivité. Pourtant, les délais de l'INPS ne sont pas si mauvais que cela car, en cas de besoin, il parvient à s'organiser pour répondre à l'urgence. Mais cela ne se sait pas. Nos laboratoires publics doivent donc faire valoir leurs qualités et leurs savoir-faire auprès des forces de police et de gendarmerie.
Quant à la question des scellés, que nous avions examinée dans le cadre d'un référé concernant l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (AGRASC), elle est en effet absolument essentielle. La numérotation est indispensable si l'on veut pouvoir suivre un scellé de bout en bout. La justice y travaille, mais le système, pourtant techniquement très simple, n'est pas encore automatisé. Par ailleurs, la conservation des scellés est fondamentale, notamment celle des scellés biologiques et toxicologiques, qui sont très fragiles. L'RCGN a un très bon service de préservation des prélèvements biologiques, de sorte qu'il conviendrait peut-être d'étendre ses compétences à l'ensemble des scellés fragiles. Cela ne se fera pas du jour au lendemain, mais cette piste doit être exploitée. J'ajoute que la numérotation, sous la forme d'un code-barres unique, simplifierait considérablement la gestion des scellés par les tribunaux.
Le rapprochement entre le ministère de la justice et le ministère de l'intérieur est essentiel. Lorsque nous les avons auditionnées, leurs directions respectives ont tenu des discours très différents. C'est pourquoi nous estimons nécessaire de reconstituer le Conseil supérieur de la police technique et scientifique, qui permettrait que la justice et les forces de sécurité élaborent une stratégie commune en matière scientifique, mais aussi d'organisation, de normes, de recherche et de techniques, de sorte que l'on sache qui fait quoi et comment. Aujourd'hui, la justice n'aborde ce sujet que sous un angle technique et non de manière stratégique.
En ce qui concerne le choix des laboratoires, la Cour des comptes touche aux limites de ses compétences. Dans le cadre d'une information judiciaire, le magistrat choisit librement ; nous ne pouvons que souhaiter qu'il pense au coût. Mais, je le répète, les laboratoires publics pourraient mieux faire connaître leurs compétences, qui sont parfois ignorées. De fait, nous avons également constaté, monsieur Galut, que l'on se tourne parfois vers un laboratoire privé très éloigné alors qu'un laboratoire public tout proche pourrait rendre le même service.