Intervention de Philippe Lamoureux

Réunion du 15 février 2017 à 9h30
Commission des affaires économiques

Philippe Lamoureux, directeur général du Leem, Les entreprises du médicament :

Nous sommes d'autant plus heureux de participer à cette table ronde que c'est la première fois que nous sommes entendus par la commission des affaires économiques, alors que nous sommes à deux mois des échéances électorales. Nous aurions préféré l'être régulièrement.

Chacun s'accorde à reconnaître que le secteur du médicament est stratégique pour la politique industrielle et l'économie nationale, ce qui a été à nouveau confirmé par le Conseil stratégique des industries de santé (CSIS) qui s'est réuni l'année dernière. Tous les rapports d'experts rendus depuis une dizaine d'années montrent que les industries de santé constituent l'une des branches d'excellence de l'économie industrielle française.

Le marché pharmaceutique français représente le deuxième marché européen et le cinquième marché mondial. Comme vous l'avez relevé, Madame la présidente, il s'agit d'une économie d'exportation puisque pratiquement un médicament sur deux fabriqué en France est exporté ; le chiffre d'affaires « prix fabricants hors taxes » (PFHT) du secteur s'élève à 53,2 milliards d'euros, et nous réalisons 25,4 milliards d'euros à l'exportation, soit la moitié.

Ce leadership doit beaucoup au dynamisme de la recherche et développement (R&D) française. Vous avez cité le chiffre de 9,8 % du chiffre d'affaires consacré à la recherche, auquel il convient d'être attentif, car il inclut nos amis fabricants de génériques qui, pour la plupart, ne développent pas de recherche. Le ratio des industries de recherche est donc en réalité plus proche de 15 % que 9,8 %. Nous tirons aussi avantage de l'existence d'importants organismes de recherche publics mondialement reconnus, tels le Centre national de la recherche scientifique (CNRS), l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), l'Institut Pasteur, l'Institut Curie et le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA).

Nous disposons, par ailleurs, d'un écosystème de partenariats public-privé doté d'un très fort potentiel, comme en témoigne le Conseil stratégique des industries de santé placé sous l'autorité du Premier ministre ou les travaux que nous menons régulièrement avec Aviesan (Alliance nationale pour les sciences de la vie et de la santé) ainsi que les écosystèmes régionaux, auxquels je sais que nombre d'entre vous sont sensibles, car je n'ignore pas que le secteur pharmaceutique est présent dans de nombreux territoires, comme Polepharma en Centre-Normandie-Île-de-France, Medicen en région Île-de-France ou Lyonbiopôle en région Rhône-Alpes.

Notre secteur connaît aussi des fragilités tenant à trois facteurs : la pression mise depuis cinq ou six ans par les régulateurs sur les dépenses de produits de santé et singulièrement sur le médicament ; un environnement normatif que je qualifierai d'inflationniste et un alourdissement de la fiscalité générale et sectorielle, qui constitue un frein aux investissements productifs du secteur.

Cette situation est d'autant plus regrettable que l'industrie pharmaceutique est confrontée à deux enjeux majeurs. Le premier est lié à une révolution thérapeutique sans précédent, qui s'accompagne du retour de l'innovation avec de grands produits introduisant une rupture dans l'organisation des soins. Le second consiste en une transformation du modèle économique du marché pharmaceutique, qui concerne aussi bien les activités de recherche que celles de production.

Malgré ce contexte difficile, l'industrie pharmaceutique a su enrayer la dégradation de ses effectifs : elle emploie 98 690 salariés directs, chiffre qui décline de 1 % par an – nous publierons nos résultats demain, ils montrent une stabilité pour l'année dernière. Nous parvenons donc à gérer cette mutation à effectifs à peu près constants. Nous continuons à recruter environ 10 000 collaborateurs chaque année, sachant que tout jeune formé dans notre secteur trouve un emploi à l'issue de sa formation ; peu de secteurs peuvent en dire autant. Ce résultat en termes d'effectifs, nous l'avons obtenu en ayant à conduire dans le même temps la réforme structurelle de la visite médicale : en 2004, il y avait 23 800 visiteurs médicaux, aujourd'hui, ils ne sont plus que 2 300.

Notre politique d'emploi se caractérise par des engagements forts en faveur de l'apprentissage, pris dans le cadre du contrat de génération passé avec les partenaires sociaux. En 2016, nous avons signé 1 700 contrats d'apprentissage, avec l'objectif ambitieux d'atteindre le nombre de 5 000 en 2022. Nous nous sommes également résolument engagés en faveur de l'emploi des jeunes en prévoyant d'augmenter de 30 % la part de recrutement des moins de trente ans d'ici à trois ans. Nous conduisons aussi un recrutement dynamique des seniors, qui représentaient 29,3 % des effectifs en 2015 contre 27,1 % en 2014. Enfin, nous sommes une des branches pilotes dans le domaine de l'intégration des salariés en situation de handicap à travers notre association HandiEM. Notre taux global d'employés en situation de handicap est passé de 1,69 % en 2009 à 3,45 % en 2015, année au cours de laquelle nous avons signé environ un millier de contrats de travail avec des personnes handicapées.

Ces résultats sont obtenus dans un contexte de pression budgétaire accru, puisque les économies demandées au médicament représentent environ 50 % des mesures d'économies prévues par la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS), et Madame la présidente de la commission des affaires sociales le sait bien. De plus, la dernière LFSS envoie des signaux qui ne vont pas dans le bon sens en ciblant fortement l'innovation, alors que l'un des enjeux industriels consiste à renforcer la production de médicaments innovants en France.

Nous sommes également très inquiets au sujet de la lettre d'orientation ministérielle adressée au Comité économique des produits de santé, qui nous semble contredire sur certains points l'accord-cadre que nous avons conclu il y a un an avec le Gouvernement.

Notre secteur connaît donc aujourd'hui un certain nombre de signaux d'alerte.

Dans le domaine de la R&D, la compétition ne s'exerce plus seulement entre les entreprises, mais entre les États. Des pays comme l'Allemagne ou des pays d'Europe centrale et orientale conduisent aujourd'hui des politiques très incitatives, notamment dans le domaine de la recherche clinique. Nous allons publier très prochainement le bilan de l'attractivité de la recherche clinique française, qui adresse quelques signaux d'alerte.

Notre industrie de production est forte, certes, mais elle est centrée sur la fabrication de produits chimiques, qui représente 80 % de la production française. Nous n'occupons que la septième position en Europe en termes de chiffre d'affaires généré par les médicaments issus des biotechnologies, ce qui est problématique. Un virage reste à prendre.

Le nombre de produits thérapeutiques en développement préclinique et clinique en France est inférieur à ce qu'il est dans d'autres pays européens : 280 en France contre 420 au Royaume-Uni, 320 en Allemagne et 320 pour un petit pays comme la Suisse. Enfin, au cours de la période 2014-2016, 46 autorisations de mise sur le marché (AMM) ont été délivrées par l'Agence européenne du médicament (EMA) pour les médicaments biologiques ; or, pour ces 46 produits, trois sites seulement de fabrication sont enregistrés pour la France.

Un premier enjeu tient donc à la capacité de capitaliser sur nos atouts industriels, un autre est de concilier la maîtrise des dépenses de santé avec la politique d'attractivité.

Pour développer cette industrie dans les années qui viennent, il importe de créer un écosystème favorable dans un contexte de compétition qui n'oppose plus les seules entreprises, mais aussi les États. Nous venons de rendre publique une plateforme que nous porterons à l'occasion des échéances électorales nationales. En résumé, ce document insiste sur la nécessité d'accélérer le développement de la bioproduction et d'améliorer le maillage entre les PME de biotech et les grandes entreprises. Par ailleurs, il convient de multiplier les accords de reconnaissance mutuelle avec nos partenaires commerciaux afin d'offrir de nouveaux débouchés à notre production. Ce sont là trois enjeux de performance industrielle.

S'agissant de l'attractivité du territoire pour les investissements dans le secteur de la santé, depuis un certain temps, nous demandons que les dépenses de médicament soient alignées sur les évolutions générales de l'Objectif national de dépenses d'assurance maladie (ONDAM). Notre secteur connaît depuis cinq ans une érosion économique en termes de chiffre d'affaires. Or, en l'absence de croissance, il est très difficile de faire valoir une attractivité importante, et d'autant plus lorsque la France devient contracyclique par rapport à ses grands compétiteurs européens. Alors que l'Allemagne a renoué avec la croissance, ce que même le Royaume-Uni est parvenu à faire, la France demeure en stagnation, voire en légère décroissance.

Nous souhaitons également une politique de prix équilibrée passant par la voie conventionnelle, qui tienne compte des impacts budgétaires ainsi que de l'efficience que l'innovation peut permettre d'induire sur l'organisation de l'ensemble du système de santé.

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