Intervention de Yves l'épine

Réunion du 15 février 2017 à 9h30
Commission des affaires économiques

Yves l'épine, directeur général du groupe Guerbet et membre du G5 Santé :

Si l'industrie pharmaceutique est une chance pour la France, et si, comme le disait Pasteur, « La chance ne sourit qu'aux esprits bien préparés », la France risque de payer cher le fait de de se préparer moins bien que ses grands concurrents. La situation est heureusement réversible, si les bonnes décisions sont prises.

Je représente le groupe G5, qui regroupe huit laboratoires français, dont Sanofi et Ipsen, et est présidé par M. Marc de Garidel – celui-ci vous prie de bien vouloir excuser son absence à notre réunion. Ces entreprises, toutes françaises, ont choisi la France comme plateforme de développement international ; elles y ont localisé leur siège social, leurs laboratoires de recherche ainsi que leurs sites de production. Je suis, par ailleurs, directeur général de Guerbet, prototype d'une entreprise de taille intermédiaire (ETI) française qui réussit à l'international mais demeure de taille modeste. Cette entreprise, spécialisée dans l'imagerie médicale, exporte dans le monde entier des produits de contraste. Il s'agit de produits injectés dans le corps humain afin de pratiquer un scanner ou une IRM à un moment important de la vie d'un malade, lorsqu'il s'agit de prendre pour lui une décision stratégique et engageante, qu'elle soit chirurgicale ou médicale, ou de vérifier l'efficacité du traitement. Bien que petits, nous sommes un acteur incontournable dans le domaine médical. Et malgré notre petite taille, nous affrontons sans complexe des géants tels que le groupe américain GE et l'Allemand Bayer, qui sont nos deux principaux concurrents mondiaux.

L'imagerie médicale est un secteur d'avenir très spécialisé, dans lequel la France, historiquement, brille depuis les découvertes de Marie Curie. Notre entreprise emploie aujourd'hui 2 600 personnes dans le monde, dont plus de 40 % en France, même si la part de notre volume de chiffre d'affaires y reste faible.

Pour revenir au G5, il s'agit d'un groupe important ; les huit entreprises qui le composent représentent 47 000 emplois en France sur les 98 000 constituant le tissu global de l'industrie pharmaceutique de ce pays. Quelque 20 000 emplois sont consacrés à la production, et 11 000 à la R&D. Nous opérons tous dans le monde entier, et notre contribution à l'exportation pour le pays s'élève à 16,5 milliards d'euros.

Ces entreprises françaises sont toutes devenues des acteurs mondiaux, et à ce titre, peuvent valablement comparer ce qui se passe ici avec ce qui se passe ailleurs. Malheureusement, le constat demeure le même depuis plusieurs années. Le caractère stratégique de l'industrie pharmaceutique et de l'industrie de santé en général est régulièrement souligné par des rapports de grande qualité, comme celui de la commission pour la libération de la croissance française, présidée par M. Jacques Attali, remis au Président de la République le 23 janvier 2008, ou le Pacte pour la compétitivité de l'industrie française, rédigé par M. Louis Gallois et remis au Premier ministre le 5 novembre 2012. Tous mettent en avant l'intérêt de ce secteur fortement exportateur, créateur d'emplois à haute valeur technologique, et peu délocalisables.

Pourtant, on assiste à un net recul de la France dans la course internationale, et donc, à une perte de chances pour ce pays. En 2008, la France était le premier pays producteur de médicaments en Europe. Elle a ensuite été dépassée par l'Allemagne, puis par la Suisse et l'Italie, et elle se retrouve aujourd'hui en quatrième position, sur le point d'être dépassée par le Royaume-Uni et l'Irlande et susceptible d'être reléguée, dans quelques mois ou années, à la sixième place.

La France n'est plus non plus choisie comme lieu de production des nouveaux médicaments. Sur les 282 nouveaux médicaments que l'Agence européenne a validés entre 2012 et 2016, seulement 16 seront produits en France, ce qui nous place au sixième rang européen.

La valeur de notre production pharmaceutique a perdu 4 milliards d'euros depuis 2009, passant de 25 milliards d'euros à 21 milliards d'euros, alors que l'Allemagne a gagné 10 milliards d'euros. La perte de chances est estimée à 15 milliards d'euros de production industrielle chaque année ; ce sont donc des milliers d'emplois que la France a laissé filer.

Tout se passe comme si la France se recroquevillait sur un passé glorieux pendant que se créent ailleurs les sites du futur, avec leur cortège d'effets bénéfiques : les investissements, les technologies de pointe, les exportations et surtout les créations d'emploi. L'attractivité de la France pour les essais cliniques a, elle aussi, nettement reculé : nous sommes en septième position pour les essais cliniques de phase 2 et 3, derrière l'Allemagne, l'Espagne, le Royaume-Uni, l'Italie, la Belgique et les Pays-Bas. Cela, alors même que nous disposons de cliniciens dont le travail est d'excellente qualité et que le monde entier nous envie.

Contrairement à une idée reçue, il n'y a pas que des entreprises riches dans le secteur pharmaceutique, j'en veux pour exemple celui de mon entreprise qui n'est pas riche. Depuis cinq ans, notre profit après impôt oscille entre 5 % et 10 % du chiffre d'affaires, s'élevant en moyenne à 24 millions d'euros, alors même que nous avons à rembourser une dette de 300 millions d'euros. Nous sommes très loin des taux de profit des grands acteurs du secteur pharmaceutique traditionnel, qui gagnent plusieurs milliards d'euros.

On nous demande pourtant une baisse de prix de 10 %, dont l'impact représentera au moins 25 % de nos profits, compte tenu du fait que les prix référencés en France sont ensuite appliqués ailleurs. Une telle baisse remettrait en cause notre équilibre, et notre nécessaire adaptation passerait par un net recul des investissements et des emplois. Or, précisément, Guerbet est un employeur essentiel en Seine-Saint-Denis où travaillent plus de 700 de nos collaborateurs. Notre siège est à Villepinte, notre logistique à Gonesse, et notre laboratoire de recherche ainsi que notre site de production à Aulnay-sous-Bois.

Est-il pertinent d'affaiblir durablement une ETI française qui exporte dans le monde entier depuis la Seine-Saint-Denis ? Est-il sage d'affaiblir une entreprise qui procure des emplois stables et peu délocalisables dans ces communes où le taux de chômage est si élevé ? Ce triste constat sera encore plus triste demain si nous n'agissons pas.

Or il n'y a pas de fatalité, et cette situation est réversible. J'en veux pour exemple celui de l'Italie : alors qu'il y a cinq ans, ce pays se classait loin derrière la France, une politique incitative pour les industriels, décidée et suivie au plus haut niveau de l'État par M. Matteo Renzi lui-même, a permis une mutation rapide. Aujourd'hui, l'Italie crée 28 milliards d'euros de production pharmaceutique, contre 21 milliards pour nous ; il s'y réalise plus d'essais cliniques qu'en France ; il s'y crée plus de nouveaux médicaments qu'en France, en particulier, plus de médicaments du futur issus des biotechnologies. L'Italie est peut-être, d'ailleurs, le candidat le plus sérieux pour accueillir la prochaine Agence européenne du médicament, en lieu et place de Londres, exclue pour cause de Brexit. Voilà qui rendrait ce pays encore plus attractif.

Là où une usine se construit, c'est une garantie d'investissements et d'emplois pour plus de vingt ans. Seul un État stratège, convaincu que ce secteur est créateur de valeur économique et sociale pour la nation, d'emplois hautement qualifiés et peu délocalisables, fortement exportateur, peut maintenant inverser la tendance. Le G5 avance vingt propositions dans un livre que je tiens à votre disposition. Je n'insisterai que sur l'une d'entre elles, notre clé de voûte : il faut changer la gouvernance de notre industrie. Nous recommandons que la politique industrielle du médicament relève du Premier ministre, comme dans l'exemple italien que je viens d'évoquer. Seul ce niveau pourra donner l'impulsion et la constance suffisante pour remettre la France en position de gagner.

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