Intervention de Philippe Lamoureux

Réunion du 15 février 2017 à 9h30
Commission des affaires économiques

Philippe Lamoureux, directeur général du Leem, Les entreprises du médicament :

J'allais précisément évoquer la ville de Bâle qui a été mentionnée. Nous avons récemment massivement investi dans la zone de Huningue, dans le Haut-Rhin. L'enjeu industriel ne se réduit pas seulement à défendre un outil de production national existant mais consiste également à attirer des investissements étrangers.

En ce qui concerne les politiques de régulation, j'entends vos inquiétudes, mais le médicament est aujourd'hui le poste de l'ONDAM le mieux maîtrisé. Comparée à la progression de l'ONDAM votée par le Parlement, année après année, celle du chiffre d'affaires de l'industrie pharmaceutique est beaucoup moins rapide – celui-ci est parfois même en recul sur les cinq dernières années. Jusqu'à cette année, avec le fameux taux L, qui s'applique à la régulation des médicaments, fixé à moins 1 %, quand votre chiffre d'affaires baissait de 0,5 %, vous étiez tout de même mis à contribution. On a donc mis en place un système de taxation de la baisse du chiffre d'affaires ! Par conséquent, on peut mener tous les débats que l'on veut sur le prix de l'innovation, d'un point de vue macroéconomique, y compris en tenant compte des innovations majeures, la dépense a été maîtrisée au cours des dernières années. Pour les années à venir, la réponse tient probablement aussi à notre capacité à imaginer, avec le CEPS et nos partenaires conventionnels, des modalités de financement de cette innovation qui soient elles-mêmes innovantes. Outre les contrats de performance et le fonds de financement de l'innovation, que nous accueillons évidemment avec intérêt, on pourrait imaginer travailler sur le financement du prix par indication. Autrement dit, il existe des pistes de travail qui devraient nous permettre de franchir l'obstacle.

M. Yves L'Épine l'a très bien résumé, la politique industrielle est par nature interministérielle et doit relever d'un choix politique au plus haut niveau de l'État. La segmentation de l'organisation politique et administrative ne nous convient pas. Alors que nous réunissons, au printemps, un conseil stratégique des industries de santé où tout se passe d'ordinaire très bien et où la vocation industrielle de la France est affirmée, le PLFSS détricote en septembre les accords passés en mars. Il faut faire un choix politique clair entre les politiques de court terme du PLFSS et les politiques industrielles de long terme de manière à introduire plus de cohérence. À ma connaissance ce choix n'a été fait, ni pendant la législature qui s'achève, ni au cours des précédentes. C'est pourquoi nous plaidons avec force pour la définition, avec le Gouvernement quel qu'il soit, d'un contrat de législature qui nous donne une visibilité pluriannuelle sur la politique publique menée.

Enfin, il convient d'améliorer la capacité d'anticipation de notre système. Les innovations à venir vont avoir un fort effet structurant sur le système de santé. Les prochaines années verront, en effet, la « chronicisation » de pathologies qui, jusqu'à présent, étaient mortelles à très court terme. Aussi tout notre appareil de santé va-t-il s'en trouver transformé. L'innovation représente un coût pour le système, mais c'est aussi un investissement qui peut générer des gains d'efficience, certes difficiles à percevoir pour l'instant.

Pilotage au plus haut niveau de l'État, contrat de législature et amélioration de la capacité d'anticipation pour mieux accompagner la diffusion de l'innovation dans le système – tels sont les trois axes de ce que doit être la politique industrielle du médicament.

Pour ce qui est des freins, j'en mentionnerai quatre, le premier étant la régulation, que nous avons déjà abordée et sur laquelle je ne m'étendrai pas.

Le deuxième frein est la fiscalité. À cet égard, le CIR est effectivement un outil d'attractivité indéniable, une mesure très positive, et nous le vérifions lorsque nous nous comparons à nos partenaires européens. Seulement, ce dispositif est très fragile car, chaque année, à l'occasion de l'examen du projet de loi de finances, son périmètre est susceptible d'être remis en cause. Aussi cette mesure fiscale est-elle perçue comme incitative mais très instable.

Pour ce qui est du CICE, la situation est sensiblement la même que dans le secteur de la chimie : compte tenu de ses grilles de rémunération, l'industrie pharmaceutique n'en est pas un grand bénéficiaire. Le cumul des baisses de cotisations familiales du CICE, de la réduction Fillon et des mesures concernant la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S) représente 457 millions d'euros pour la période 2015-2017, soit 3 % de la masse salariale du secteur, à rapporter au 1,8 milliard d'euros de régulation annuelle sur le médicament voté dans le cadre du PLFSS.

Enfin, la fiscalité du secteur est la plus lourde d'Europe : au-delà de la fiscalité générale des entreprises, nous sommes soumis à onze taxes spécifiques qui représentent plus de cinq points de chiffre d'affaires.

Le troisième frein est la déficience administrative. Une directive européenne prévoit qu'il doit s'écouler 180 jours entre l'autorisation de mise sur le marché d'un médicament et son accès au marché. En France, nous sommes au-delà de 400 jours contre quelques semaines seulement en Allemagne où les produits, donc, arrivent très rapidement sur le marché. Il est, par conséquent, difficile d'attirer la production d'une usine destinée en partie à l'exportation : les pays d'exportation vont commencer par vous demander si le produit est commercialisé en France ; s'il ne l'est pas, cela devient pour nous très contraignant. Il est vrai, Mme Catherine Lemorton l'a rappelé, qu'existent les autorisations temporaires d'utilisation (ATU), mais elles ne jouent pas un rôle majeur en termes d'attractivité industrielle. En outre, ce système a été largement remis en cause dans le dernier PLFSS – point que nous surveillons.

Dernier frein, la France se caractérise par une relation compliquée avec son industrie pharmaceutique. Vous avez évoqué une liste noire, des problèmes avec des vaccins… Il est difficile, dans un contexte général empreint de défiance, de défendre l'attractivité face à la Suisse, qui a été citée comme un bon contrexemple de cercle vertueux.

En ce qui concerne la liste noire établie par Prescrire, que je sache, cette revue n'est pas encore l'Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM). Une agence européenne travaille en réseau avec vingt-sept agences nationales qui ont un rôle en matière de sécurité sanitaire. Ne confondons donc pas le rôle d'une agence sanitaire et celui, certes nécessaire, d'un lanceur d'alerte.

Pour ce qui est des médicaments génériques, la France a fait le choix d'une politique de génériques de qualité. Il est vrai que le taux de pénétration des génériques est nettement plus faible en France que dans d'autre pays européens – il est aussi beaucoup plus élevé qu'en Suisse, par exemple. Ce choix s'explique par le fait que, dans un pays très suspicieux sur la qualité de ses produits, le moindre problème concernant un médicament générique jetterait la suspicion sur l'ensemble des produits. Cette décision me semble donc sage. Si vous me demandez de porter une appréciation très personnelle, je dirai que la France n'a pas su, dans sa stratégie de médicaments génériques, choisir entre s'appuyer sur le prescripteur et s'appuyer sur le distributeur ou le dispensateur ; or on sait que les pays qui ont le mieux réussi leur politique de génériques sont ceux qui ont misé sur le prescripteur, comme l'Allemagne.

La question sur les licences d'office est amusante dans le cadre de la présente commission : leur multiplication rayerait la France du paysage industriel et l'attractivité du territoire serait immédiatement ruinée.

J'en viens aux avancées du Conseil stratégique des industries de santé (CSIS). Notre comité stratégique de filière se réunit très régulièrement pour mettre en oeuvre les décisions du CSIS. À ce stade, l'état des travaux est variable. Nous avons bien avancé sur le contrat unique pour la recherche, notamment grâce à l'engagement de la ministre des affaires sociales et de la santé. Sur d'autres sujets, nous avançons plus péniblement. En tout cas, nous espérons que le prochain Gouvernement maintiendra cet outil très important qu'est le CSIS.

Avec la généralisation des plans de gestion des risques (PGR), la loi apporte des réponses aux ruptures d'approvisionnement. Reste qu'il n'y a pas de panacée. Il convient, en outre, de bien distinguer les ruptures d'approvisionnement et les ruptures de stocks, car une bonne partie des ruptures recensées trouvent souvent leur source à l'aval de la chaîne et notamment dans la répartition. Reste que les ruptures d'approvisionnement augmentent parce que la demande mondiale s'accroît elle-même très rapidement et que l'industrie travaille de plus en plus à flux tendus. La réponse réside également dans une meilleure anticipation et une meilleure collaboration avec les autorités de santé – nous nous y employons avec l'ANSM.

Enfin, le principe de précaution est désormais bien installé dans le droit français et l'industrie du médicament s'y est adaptée. Ce qui nous gêne beaucoup, en revanche, c'est la sur-transposition des normes européennes. Que les standards français se situent au plus haut niveau européen n'est pas une difficulté ; au contraire, cela plaide pour la qualité de notre système et de nos produits. Mais les fixer au-delà de ce que prévoient les normes européennes, nous expose au risque de décrochage au regard de l'attractivité industrielle. En matière de conflits d'intérêts, par exemple, la réglementation française est très différente des textes en vigueur dans les autres pays européens, ce qui est un facteur de complexité. La longueur et la complexité de la chaîne administrative, les redondances, les doublons, la pharmacovigilance sont autant d'éléments à cause desquels la France est perçue comme une terre de lourdeurs administratives dont d'autres pays ne sont pas affectés.

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