Monsieur le président – c’est un plaisir de travailler sous votre présidence aujourd’hui encore –, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur et cher député Potier, mesdames, messieurs les députés, après plusieurs années de travail, le débat parlementaire sur la proposition de loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre touche à sa fin. Cette adoption saluera – je le dis d’emblée très clairement – l’engagement total de son auteur, Dominique Potier.
La lecture définitive sera brève. En effet, après l’adoption de cette proposition de loi ici même en nouvelle lecture, le Sénat n’a pas examiné le texte, rejetant celui-ci par le vote d’une exception d’irrecevabilité. Pourtant, tout au long de ce parcours législatif, les débats parlementaires ont été utiles, permettant, au fil des échanges, de clarifier et d’améliorer la rédaction du texte. Il y a quelques jours, la majorité sénatoriale n’a pas souhaité s’engager dans un tel travail. C’est dommage. Mais je dois ajouter que cette opposition de principe n’est pas surprenante au regard de ses précédentes expressions sur cette proposition de loi.
La discussion parlementaire autour de ce texte a permis de confronter deux visions de l’économie bien différentes, l’une portée par la majorité à l’Assemblée nationale, l’autre par la majorité sénatoriale.
La majorité sénatoriale actuelle est pour ainsi dire systématiquement réticente à toute régulation de l’économie par le droit, qu’elle analyse à chaque fois comme une atteinte à la compétitivité des entreprises françaises et à l’attractivité de notre pays.
Ici, la majorité, large, qui a voté le texte dans les deux lectures précédentes a souhaité adopter une autre approche de l’économie, celle d’une économie responsable qui se développe en respectant les droits de l’homme, l’environnement et la santé publique. Je partage totalement cette vision des choses.
Comme Dominique Potier, je crois qu’il est inacceptable aujourd’hui de regarder une mondialisation décomplexée se développer à grande vitesse sans répondre efficacement aux effets néfastes qu’elle peut engendrer Nous en avons malheureusement déjà éprouvé les conséquences lors de précédentes catastrophes comme celle du drame du Rana Plaza, que nous invoquons toujours à juste titre et qui est en quelque sorte à l’origine de ce texte. J’ai la conviction et plusieurs actions durant ce quinquennat l’ont prouvé, que la mondialisation doit s’accompagner d’une régulation stricte et d’une responsabilisation de l’ensemble des acteurs.
Tel est le sens de cette proposition de loi relative au devoir de vigilance des entreprises donneuses d’ordre et des sociétés mères. Les entreprises visées par ce texte sont les très grandes entreprises ayant plus de 5 000 salariés. Elles devront veiller, dans l’exercice de leurs libertés économiques, à la préservation de l’environnement et à la protection des libertés fondamentales.
Des critiques ont été exprimées – encore ces jours-ci – sur la pertinence économique de ce texte. Je les pense exagérées et, parfois, fausses. D’abord, la proposition de loi n’est pas une contrainte législative supplémentaire qui affaiblira notre économie et freinera le développement de nos entreprises. Loin de là ! Comme la loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, elle repose sur une approche préventive. Responsabiliser et prévenir, ce n’est pas punir, c’est mieux encadrer pour redonner aux investisseurs et aux consommateurs de la confiance dans nos entreprises.
Lors de la nouvelle lecture à l’Assemblée, j’ai dit que ce devoir de vigilance pourrait être – et même devait être – bénéfique pour les entreprises. En effet, les scandales récents de toute nature ont bien souvent terni l’image de grandes entreprises. Les citoyens peuvent alors s’écarter des produits proposés par les sociétés coupables de ces méfaits.
Ensuite, je suis sûr que l’entrée en vigueur de ce devoir de vigilance ne portera pas atteinte à la compétitivité de nos entreprises. Après tant d’efforts et de mesures prises depuis 2012 en faveur de cette nécessaire compétitivité, je ne saurais soutenir un texte qui lui porterait atteinte.
Je rappelle que si les entreprises devront mettre en place un plan de vigilance comportant des mesures pour prévenir les atteintes graves aux libertés fondamentales et aux conditions de travail décentes, elles ne seront responsables en cas de dommage que dans les conditions du droit commun de la responsabilité civile. La proposition de loi ne crée pas un régime spécial de responsabilité des entreprises françaises du fait d’autrui, contrairement à ce que je peux entendre et lire ici ou là.
Chaque examen du texte à l’Assemblée nationale a permis de faire progresser la rédaction, pour aboutir à l’écriture équilibrée de cette proposition de loi en faveur d’une sphère économique plus juste et plus responsable. Cette lecture définitive honore le travail concerté des parlementaires, du Gouvernement, des organisations non gouvernementales et des organisations syndicales.
Plus généralement – et je le dis très clairement – elle va honorer notre pays. La France sera désormais à l’avant-garde dans ce domaine. Si les idées relatives à la responsabilité des entreprises ont été largement diffusées et adoptées depuis le début des années 2000 en Europe et à travers le monde, ce devoir de vigilance fera de nous un modèle en la matière, un des pays où la législation en faveur de la responsabilité des entreprises sera la plus performante. Nous pourrons, les uns et les autres, en être fiers.
Mesdames, messieurs les députés, vous l’aurez bien compris, aujourd’hui, la recherche du moindre coût de production ne peut plus tout justifier. Les réactions unanimes de la société civile ont permis de faire évoluer nos dispositifs législatifs. Dominique Potier a su réunir des acteurs venus d’univers différents pour aboutir à la rédaction et à l’adoption de ce texte. La confrontation des points de vue a permis de faire progresser notre droit positif. J’en remercie très sincèrement l’ensemble des acteurs.
Enfin, je profite de cette tribune pour prolonger mes remerciements au-delà de ce texte. Au cours de ce quinquennat, que ce soit en tant que ministre du travail ou en tant que ministre de l’économie et des finances, j’ai eu l’honneur de porter plusieurs projets de loi et de défendre la position gouvernementale sur des propositions de loi comme celle d’aujourd’hui. Durant ces cinq ans, nous avons collectivement réformé notre pays pour le moderniser et le faire progresser. À l’image de cette proposition de loi, la France a su porter à son plus haut niveau des valeurs et des idéaux – je citerai, entre autres, d’autres la protection sociale des travailleurs et la lutte contre la corruption ou les paradis fiscaux – tout en permettant par ailleurs le redressement de notre économie.
Ainsi, je tenais à adresser mes remerciements les plus sincères à l’ensemble des parlementaires qui, sur tous les bancs, ont débattu de ces textes et en ont permis l’adoption et à tous ceux qui ont participé à ces réalisations : les syndicats, les associations, les collaborateurs parlementaires, les fonctionnaires des ministères, ceux des assemblées et les membres successifs de mes cabinets ministériels qui m’ont accompagné durant le quinquennat. Je me permets cette digression car, vous l’aurez compris, à quelques jours de la fin de la législature, la proposition de loi aujourd’hui débattue s’inscrit, elle aussi, au coeur de l’action que nous avons voulu mener ensemble au cours de ces cinq ans.