Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous nous apprêtons à adopter définitivement un texte historique, d’origine parlementaire, dont l’initiative revient, pour la première version, à l’ensemble des groupes de la majorité, à la suite de la tragédie du Rana Plaza, survenue au Bangladesh en avril 2013, qui avait causé la mort de plus de mille ouvriers du textile travaillant dans des conditions extrêmement précaires et dangereuses.
Ce texte a pour objectif de renforcer la responsabilité sociale des entreprises. La démarche est profondément humaniste et, de ce fait, ne pouvait être que collective. Elle a certes pris du temps – quatre ans –, parce que ce texte procède, sur le fond comme sur la forme, d’un travail étroit avec les ONG, la société civile, les experts, les élus, les cabinets ministériels et les syndicats. À l’Assemblée nationale, il a été précisé lors des deux premières lectures et sécurisé sur le plan juridique. Je ne m’étendrai pas sur la liste des mesures de vigilance désormais incluses dans cette loi, qui permettra de mieux guider les entreprises.
L’échec de la commission mixte paritaire, en novembre, a tenu au fait que la majorité sénatoriale ne se rangeait pas encore à l’esprit de la loi historique que nous proposons, qui consiste à instaurer un principe de prévention, de protection, au lieu de s’en tenir, a posteriori, au « reporting » prévu par la loi du 22 mars 2012 et de s’en remettre, comme l’a rappelé le ministre, au seul bon vouloir des grandes entreprises.
Le second point majeur de discorde avec le Sénat a porté sur l’instauration d’une sanction dissuasive. Pour la droite sénatoriale, l’éthique suffit. De fait, si l’éthique et la morale sont essentielles, il faudrait aussi les appliquer à l’action politique, car lorsque les règles d’éthique sont bafouées en politique, cela a pour effet, au-delà de la sanction électorale, de tirer la politique vers le bas. Nous pensons aussi – et c’est empirique – que, sans sanction, il existe un risque que cette législation reste lettre morte.
Plus généralement, protéger les ouvriers des pays pauvres, c’est aussi protéger notre production et protéger nos travailleurs. Cela suppose d’abord de mettre fin aux abus des sociétés donneuses d’ordre qui pratiquent le dumping social entre pays européens en employant des travailleurs détachés sans respecter le niveau local des cotisations salariales et patronales. Cette pratique s’accélère, sous les yeux d’une Europe qui ne fait que multiplier les contrôles ad hoc. Alors que la direction générale du travail dénombrait 38 000 travailleurs détachés en France en 2006, leur nombre serait aujourd’hui de 400 000, principalement dans le BTP, le transport et l’agriculture, malgré les mesures mises en oeuvre par la loi de notre collègue Gilles Savary.
La concurrence déloyale et le nivellement social par le bas : voilà aussi ce contre quoi nous agissons, en tant que parlementaires, avec ce texte. Jamais nous ne protégerons assez nos salariés. Et pour les protéger contre le libéralisme et la mondialisation débridés que nous connaissons, ce qu’il faut, ce n’est pas « plus d’Europe », mais « mieux d’Europe ». Plusieurs pays européens ont du reste pris conscience de cette nécessité.
Nous avons le devoir de freiner les dérives de l’ultralibéralisme, qui se développent, comme l’a souvent rappelé notre éminent collègue Dominique Potier, sur le « voile juridique qui sépare les maisons mères de leurs filiales ». Il faut, comme il vient de le dire avec force, lutter partout contre les pillages et les gaspillages. Les désordres humains, sociaux et écologiques ainsi provoqués ne sauraient trouver une quelconque justification au nom de la croissance ou des bénéfices qu’en tirent une poignée de personnes.
Jean de la Fontaine, dans Les Deux Taureaux et une Grenouille, écrivait : « Hélas ! on voit que de tout temps Les petits ont pâti des sottises des grands. » Pour être aux côtés de petits que nous devons protéger, il est nécessaire d’encadrer la mondialisation, de poser des repères, des limites, et d’imposer la vigilance pour qu’émergent la conscience et la solidarité entre les peuples.
Ce progrès social est également économique. En aucun cas il ne mettra notre économie en péril. Avec ce texte, les multinationales doivent s’engager à respecter les règles d’éthique pour plus d’humanité vis-à-vis de leurs salariés, mais aussi plus de respect pour l’environnement – sans oublier d’ailleurs que c’est aussi dans leur propre intérêt, car les stratégies de dumping social ternissent leur image de marque auprès de consommateurs qui sont, chaque jour davantage, des acteurs engagés, informés et donc regardants quant à l’origine de ce qu’ils consomment. Dans bien des domaines, en outre, cette loi devrait aussi avoir un effet d’accélération et de relocalisation des activités industrielles, avec la perspective d’un retour d’activité pour notre pays.
L’esprit de cette loi est novateur, progressiste et salué par le réseau d’ONG du Forum citoyen pour la responsabilité sociétale des entreprises. Le groupe RRDP – et je saisis cette occasion de rendre hommage au travail de notre collègue Jean-Noël Carpentier, qui a été très actif sur ce sujet – votera bien sûr la proposition de loi à l’unanimité.
Je voudrais enfin, à mon tour, remercier nos collègues qui ont travaillé sur ce texte, nous permettant de terminer cette législature sur une note et avec une perspective d’espoir dans le progrès humain.