Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous sommes appelés aujourd’hui à adopter définitivement la proposition de loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre. Comme l’ont indiqué les organisations membres du Forum citoyen pour la responsabilité sociale des entreprises, ce texte, fruit – le rapporteur l’a rappelé – d’un travail collectif de plusieurs années, constitue une première étape historique vers une meilleure protection des droits humains et de l’environnement. Il est certes moins ambitieux que la proposition de loi d’initiative parlementaire débattue dans notre hémicycle en 2015, mais il n’en marque pas moins la volonté de notre pays d’oeuvrer à une prise de conscience internationale.
La société civile et une grande majorité de nos concitoyens aspirent à rendre les multinationales juridiquement responsables des dommages qu’elles provoquent dans leur course effrénée au moins-disant social et environnemental. Avec cette proposition de loi, les grands groupes ne pourront plus fermer les yeux sur ce que font leurs filiales et leurs sous-traitants.
Malgré ses insuffisances, le texte comporte des avancées significatives. Il édicte tout d’abord l’obligation d’établir et de mettre en oeuvre de manière effective un plan de vigilance pour toutes les sociétés employant au moins 5 000 salariés compte tenu des filiales françaises directes ou indirectes, ou 10 000 salariés compte tenu des filiales directes ou indirectes françaises et étrangères. Ce plan devra comporter les mesures de vigilance raisonnable propres à identifier les risques d’atteintes aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales, de dommages corporels ou environnementaux graves ou de risques sanitaires, et à en prévenir la réalisation. Avec ce dispositif, notre pays rend effectif le principe juridique de « diligence raisonnable » recommandé par le texte international de référence que sont les Principes directeurs des Nations unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme. L’indemnisation ne dépendra plus non plus du seul bon vouloir des entreprises et de la mobilisation des ONG.
Nous tenons donc à saluer de nouveau et très chaleureusement notre collègue Dominique Potier pour son engagement et la ténacité avec laquelle il a défendu cette proposition jusqu’au bout, en apportant des solutions novatrices. Nous demeurons convaincus, comme lui, qu’il sera demain nécessaire d’aller plus loin. Nous avons souligné, lors des précédentes lectures, qu’il était selon nous nécessaire de modifier les seuils retenus, de prévoir un régime de sanction plus dissuasif et de rétablir le principe d’inversion de la charge de la preuve, de telle façon que la société mère soit tenue d’apporter la preuve qu’elle a mis en oeuvre des procédures spécifiques de contrôle de ses filiales et de ses sous-traitants.
La droite française, quant à elle, continue plus ou moins ouvertement, plus ou moins honteusement, de défendre l’impunité des multinationales en invoquant le risque pour la compétitivité et l’attractivité des entreprises françaises à l’échelle européenne et mondiale. Face aux ravages de la mondialisation, elle continue de se faire l’avocat de l’impuissance publique. Or « l’abstention de l’État », comme le disait Jaurès, « c’est l’abandon à tout jamais de ceux qui souffrent ». Nous ne nous résignons pas à cet abandon car il est plus que temps, nous le savons, de redonner à la politique sa noblesse et sa force en faisant d’elle un instrument au service des peuples et de leur aspiration à bâtir un monde plus juste et plus fraternel.
Le texte qui nous est proposé est animé de cette foi dans l’avenir et dans notre capacité collective à faire changer les choses et non seulement les mots. La réalité qu’il nous faut changer, c’est l’oppression, la répression et la misère que subissent ces millions de damnés de la terre qui, loin de nos frontières, fabriquent la plupart des vêtements et des produits informatiques que nous achetons, dans des conditions d’hygiène et de sécurité déplorables, en travaillant plus de douze heures par jour, six jours sur sept, pour des salaires indignes. Parce que ce texte, aussi modeste soit-il, contribue à construire un pont de solidarité et de justice entre eux et nous, les députés du Front de gauche l’approuveront, comme en novembre dernier, avec conviction et fierté.