Intervention de Patrick Hetzel

Séance en hémicycle du 21 février 2017 à 15h00
Sociétés mères et entreprises donneuses d'ordre — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPatrick Hetzel :

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, avant d’évoquer, à nouveau, les raisons de notre opposition à ce texte, permettez-moi de revenir quelques instants sur la teneur des débats et, surtout, sur les propos de M. le rapporteur tout au long de l’examen de la proposition de loi.

Monsieur le rapporteur, vous n’avez cessé de vouloir culpabiliser ceux qui ne seraient pas d’accord avec vous. Il y aurait, d’un côté, les députés de la majorité qui portent la bonne parole et, de l’autre, ceux de l’opposition qui s’opposeraient aux droits humains ! J’ai d’ailleurs été très étonné de vos discours plaçant cette proposition de loi au même niveau que l’abolition de la traite négrière – rien que cela ! –, comme vous l’avez encore indiqué il y a quelques instants. Cette police de la pensée qui distribue les bons et les mauvais points n’empêchera pas l’opposition d’évoquer dans cet hémicycle les raisons précises de son opposition à un texte franco-français, qui ne raisonne qu’à l’aune de la sanction.

J’en viens à nos arguments de fond. L’objectif de faire contribuer les entreprises françaises au respect des droits de l’homme et des normes sanitaires et environnementales est bien entendu un objectif partagé par tous. Pour notre groupe, cela a toute son importance. Mais je tiens aussi à rappeler qu’un grand nombre de nos entreprises intègrent déjà ces exigences. Ainsi, 84 % des entreprises françaises sont au-dessus de la moyenne des normes « RSE » – responsabilité sociétale des entreprises – européennes, et l’on compte quinze championnes françaises parmi les trente et une entreprises internationales les mieux cotées en matière de responsabilité sociale et environnementale.

Pourtant, et nous le regrettons, l’état d’esprit qui préside à ce texte consiste à considérer l’entreprise comme une source de dommages. Il soupçonne plutôt que de faire confiance aux entreprises. Vos propos, monsieur le rapporteur, sont là encore révélateurs d’un combat qui semble quelque peu daté, lorsque vous évoquez par exemple « l’égoïsme et l’appât du gain des entreprises » qui auraient « peur de perdre leurs privilèges ». Nous sommes revenus à l’époque de Zola et du mineur Lantier !

L’adoption de la proposition de loi sera synonyme d’un grand saut dans l’inconnu pour nombre d’entreprises françaises opérant à l’international, avec, à la clef, le risque de voir les contentieux se multiplier. C’est un véritable danger pour notre compétitivité, qui n’en demandait pas tant, hélas ! Et c’est sans compter le risque d’instrumentalisation des nouvelles procédures judiciaires, dès lors que toute personne intéressée pourra engager une action en responsabilité.

Monsieur le ministre, les conséquences économiques de cette proposition de loi ont été ignorées au profit de l’idéologie. Vous ajoutez de la rigidité là où il faut justement laisser de la souplesse ; vous voulez avancer seuls, convaincus que les résultats seront au rendez-vous du fait de la menace de la sanction, tout en ignorant les effets pervers sur le développement du tissu local d’entreprises des pays émergents. Ce texte conduira en effet nos entreprises à ne retenir, pour se sécuriser elles-mêmes, qu’un nombre réduit de fournisseurs et de sous-traitants étrangers capables de répondre à de telles exigences. Ce texte est donc un texte anti-PME à l’étranger. Les autres entreprises de ces pays resteront dans l’économie grise, sous-traitantes d’entreprises non vigilantes plutôt que d’être aidées progressivement à respecter les standards internationaux, y compris ceux relevant de la responsabilité sociale des entreprises. Plus grave encore, nos entreprises pourront être amenées à remettre en cause un certain nombre de contrats et à se retirer, en tout ou partie, de certains marchés étrangers dans des pays porteurs de risques.

En outre, comme nous vous le rappelons depuis le début du parcours législatif de ce texte, de nombreuses dispositions demeurent affectées par de sérieux problèmes constitutionnels, que vous n’avez pas voulu prendre en considération. L’ambition qui vous anime ne saurait conduire le législateur à méconnaître les exigences du droit. Le Conseil constitutionnel devra d’ailleurs, et c’est bien normal, se prononcer sur toutes ces questions.

Nous avons compris que cette proposition de loi veut, en toute modestie, et je cite à nouveau M. le rapporteur, « éclairer l’avenir du monde » afin de « dire le droit pour le monde entier ».

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