Intervention de Marianne Thyssen

Réunion du 15 février 2017 à 16h30
Commission des affaires européennes

Marianne Thyssen, commissaire européenne en charge de l'emploi, des affaires sociales, de la formation et de la mobilité professionnelle :

Mesdames les présidentes, mesdames et messieurs les députés, c'est un honneur pour moi de pouvoir m'adresser à vous aujourd'hui et je vous remercie de votre accueil.

Sans vouloir ignorer ou minimiser les défis considérables auxquels sont confrontées l'Europe et la France, permettez-moi de débuter mon intervention en parlant de progrès.

L'Union européenne a finalement retrouvé le chemin de la croissance : les dernières prévisions évaluent celle-ci à 1,7 % en 2016, 1,6 % en 2017 et 1,8 % en 2018. Le taux d'emploi augmente : depuis la fin de l'année 2014, au moins 5 millions d'emplois ont été créés et nous avons retrouvé le taux d'emploi d'avant la crise de 2008. Pas moins de 232 millions de citoyens sont aujourd'hui au travail dans l'Union : c'est le chiffre le plus élevé jamais atteint.

À la fin de l'année 2016, les chômeurs en Europe représentent 8,2 % de la population active, alors qu'en décembre 2015 ils étaient encore 9 %. C'est le taux de chômage le plus bas enregistré depuis février 2009.

Le nombre de personnes exposées à la pauvreté ou à l'exclusion sociale en Europe est en baisse – bien qu'il demeure trop élevé.

Ces chiffres sont le résultat d'actions concertées entre l'Union européenne et les États membres, actions que nous devrions poursuivre pour que la relance s'intensifie.

Mais les chiffres européens cachent des différences parfois considérables entre les États membres. Par exemple, le taux de chômage est de 3,5 % en République tchèque et de 3,9 % en Allemagne, tandis qu'il est de 23 % en Grèce et de 18,4 % en Espagne. Les taux de chômage des jeunes montrent des écarts plus larges encore : 6,5 % en Allemagne, contre 40 % ou plus en Grèce, en Espagne ou en Italie.

Ces différences pèsent de façon substantielle sur notre Union, sur le marché intérieur, sur l'Union monétaire, et, au-delà, sur la cohésion et la solidarité entre nos peuples. Cette pression risque d'affaiblir l'Union de l'intérieur.

C'est la raison pour laquelle j'estime, avec mes collègues de la Commission européenne, que le renforcement de la cohésion interne de l'Union est une priorité absolue. Une plus grande cohésion interne est indispensable pour mieux faire face aux défis externes auxquels nous sommes confrontés.

Il faut donc promouvoir la convergence économique et sociale entre les États membres – une convergence vers le haut, bien évidemment.

Permettez-moi d'aborder la convergence sociale.

Ne perdons pas de vue que le modèle social européen est une réussite. Les valeurs de l'économie sociale de marché sont inscrites dans nos législations nationales et européennes : elles assurent que le progrès économique va de pair avec le progrès social. Les fruits de l'économie, en termes généraux, ne sont nulle part au monde mieux distribués qu'en Europe.

Le lancement d'une nouvelle phase du processus de convergence économique et sociale est devenu une nécessité pour l'Union européenne et une urgence pour l'Union monétaire. Elle devra respecter ces mêmes valeurs de l'économie sociale de marché. Mais comment concrétiser ces valeurs, comment les rendre tangibles pour nos citoyens, comment actualiser nos politiques face aux changements substantiels que subissent le monde du travail et nos sociétés ? Pensons à la digitalisation et la robotisation, aux changements démographiques, à la globalisation…

C'est la raison pour laquelle nous avons décidé de nous demander si les instruments sur lesquels se fonde notre modèle social étaient encore adaptés aux réalités d'aujourd'hui. La Commission plaide ainsi, avec énergie et cohérence, pour la mise en place d'un socle européen de droits sociaux. Aspirer à une convergence socio-économique ascendante, c'est s'engager à améliorer le niveau de vie de nos concitoyens en renforçant l'économie sociale de marché qui est à la base de la construction européenne.

Il est vital que les citoyens comprennent que l'Union européenne travaille pour eux, qu'elle vise à leur garantir l'équité et l'emploi, et qu'elle est pour eux source de richesses et d'opportunités.

Nous avons lancé en mars dernier une vaste consultation publique sur le socle européen des droits sociaux et nous nous réjouissons de la quantité et surtout de la qualité des réactions. Elles démontrent un grand intérêt pour l'approfondissement de la dimension sociale de l'Union européenne, et de l'Union monétaire en priorité. C'est un signal important, surtout au moment où nous préparons la deuxième phase de l'approfondissement de l'Union monétaire et la célébration du soixantième anniversaire de l'Union à Rome le 25 mars.

À la suite de ces moments de réflexion sur notre futur, la Commission adoptera le socle vers la fin du mois d'avril. Il consistera en un ensemble de principes et de valeurs qui nous serviront de boussole, de cadre de référence pour évaluer nos politiques économiques et sociales. Le socle ne sera pas limité à des mots. Je peux vous assurer que nous envisageons de le rendre concret, en nous appuyant sur tous les instruments à notre disposition : outils législatifs, financiers et de coordination des politiques, y compris le Semestre européen.

Cela ne signifie pas que nous puissions, ou que nous voulions, tout faire nous-mêmes. La Commission accorde trop d'importance à la subsidiarité et aux prérogatives des États membres, des autorités locales et des partenaires sociaux pour y songer. Nous voulons travailler en étroite collaboration avec les autorités nationales et locales, avec les partenaires sociaux et les ONG sociales.

Pour ce qui est de la législation, nous voulons avant tout mettre l'accent sur une meilleure mise en oeuvre sur le terrain des droits existants. Nous voulons assister les entreprises, notamment les PME, afin qu'elles respectent leurs obligations de protection des travailleurs. Et nous appelons à un contrôle effectif dans les États membres en stimulant une meilleure coopération, y compris transfrontalière, entre les différentes autorités compétentes.

Nous voulons également moderniser et renforcer l'acquis communautaire de manière ponctuelle, là où nous constatons des lacunes.

J'achève actuellement une initiative législative destinée à faciliter l'équilibre entre travail et vie familiale – un sujet qui, je le sais, préoccupe également votre assemblée. Puisque nous voulons que nos marchés du travail comptent autant de personnes que possible, il faut tout mettre en oeuvre pour faciliter l'intégration des hommes comme des femmes.

Nous lancerons bientôt une consultation des partenaires sociaux sur deux initiatives législatives supplémentaires. La première sera une révision de la directive de 1991 relative aux déclarations écrites. Il nous semble que la clarté et la transparence sur les conditions essentielles de travail doivent être garanties à chaque travailleur, quels que soient son statut ou la nature de son contrat. La deuxième vise à assurer que tous ceux qui travaillent ont accès à un système de sécurité sociale, c'est-à-dire qu'ils peuvent contribuer à un système et que leurs risques sont couverts.

Les tendances les plus récentes en Europe révèlent une prise de conscience accrue de la nécessité de poursuivre de vastes réformes structurelles pour soutenir l'emploi et la croissance.

La dimension sociale est d'ailleurs centrale dans le dernier examen annuel de la croissance, dans lequel la Commission invite les États membres à placer au centre de leur action l'équité sociale et à poursuivre un modèle de croissance inclusive, tout en garantissant la viabilité des finances publiques. Plus spécifiquement, l'examen annuel de la croissance incite à investir davantage dans le capital humain et la formation tout au long de la vie.

La création d'emplois doit naturellement rester au coeur de nos efforts. La quantité et la qualité des nouveaux emplois passent par un équilibre entre flexibilité et sécurité, par la facilitation des transitions et la réduction de la segmentation du marché du travail. Les systèmes fiscaux doivent aussi favoriser la création d'emplois, tout en assurant une meilleure redistribution des richesses.

Nous devons tout mettre en oeuvre pour promouvoir la convergence économique et sociale en Europe. La mobilité des travailleurs peut y contribuer ; mais elle doit être organisée selon des règles claires, équitables, et applicables sur le terrain.

C'est la raison pour laquelle j'ai pris l'initiative de réviser les règles sur le détachement des travailleurs. Le fil rouge de ma proposition est simple : je veux que les règles sur la rémunération des travailleurs détachés soient les mêmes que celles qui s'imposent aux travailleurs locaux. C'est une question de concurrence équitable pour les entreprises, ainsi que de protection des travailleurs.

Je remercie la France de son soutien, et je continuerai à me battre pour obtenir un bon accord entre le Parlement européen et le Conseil des ministres sur ce dossier essentiel. Nos deux co-rapporteures au Parlement, dont la Française Élisabeth Morin-Chartier, sont très actives et très motivées ; au Conseil, Mme Myriam El Khomri s'efforce également de convaincre ses homologues.

En outre, j'ai pris l'initiative de mettre à jour les règles de coordination de la sécurité sociale. J'ai en effet entendu des citoyens – non seulement ici en France mais un peu partout en Europe – contester les conditions dans lesquelles des personnes viennent s'installer dans un autre État membre et ont accès aux prestations sociales de cet État. Or, si certains cas relèvent de pratiques abusives, ces critiques sont souvent fondées sur des erreurs d'interprétation des règles et des faits. Il nous revient donc d'expliquer clairement aux citoyens quelle est la portée de ces règles, leur justification et leur application. C'est pourquoi j'ai demandé à mes services d'effectuer une analyse approfondie des dispositions existantes et de veiller à ce que les règles soient équitables pour toutes les parties concernées – pour les citoyens qui sont mobiles, ainsi que pour ceux qui préfèrent rester chez eux.

Le 13 décembre dernier, nous avons présenté une proposition de révision de la réglementation sur la coordination de la sécurité sociale, afin de faciliter la libre circulation des travailleurs et protéger leurs droits tout en renforçant les instruments dont disposent les autorités nationales pour combattre les abus ou la fraude. Cette proposition établit un lien plus étroit entre le lieu où les cotisations sont versées et celui où les prestations sont effectuées, ce qui devrait garantir une plus juste répartition de la charge financière entre les États membres.

Le maître mot est la coordination et non l'harmonisation. Les États membres gardent l'entier contrôle de leur système : l'Union ne détermine pas qui peut bénéficier de l'assurance prévue par la législation nationale, pas plus que le type de prestations à accorder. Les règles de coordination établissent uniquement des critères pour indiquer le système national dont relève tout citoyen mobile à un moment donné. En effet, une personne mobile doit relever d'un système, mais ne peut être assujettie qu'à un seul système à la fois : c'est la notion d'unicité, qui est l'un des quatre principes fondateurs de la coordination de la sécurité sociale.

Mesdames et messieurs les députés, nous vivons – nous en sommes tous conscients – un moment clef dans l'histoire de l'Union européenne. Devant tous les changements et les incertitudes que nos citoyens vivent, ceux-ci nous demandent : « quelle est la réponse de l'Union ? Comment l'Union nous aide-t-elle à faire face aux défis, à prendre le contrôle de notre destin ? »

La réponse ne dépendra pas uniquement de la Commission, mais aussi bien de la France. Quelle Union la France veut-elle ? La France se repliera-t-elle sur elle-même, préférera-t-elle le nationalisme économique au marché intérieur ? Se détournera-t-elle de Bruxelles, ou se fera-t-elle entendre, pèsera-t-elle sur ce qui se passe à Bruxelles, comme elle l'a toujours fait jusqu'à présent ?

Pour que l'Union puisse continuer à contribuer au progrès économique et social des citoyens, à la paix et aux droits fondamentaux, nous avons besoin que la France joue pleinement son rôle historique de moteur de l'Europe. Nous avons besoin d'une France européenne, et nous comptons sur vous.

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