Intervention de Gilles Savary

Réunion du 15 février 2017 à 16h30
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGilles Savary :

Madame la commissaire, j'ai eu plusieurs fois l'occasion d'admirer votre clarté, votre pugnacité et votre engagement, notamment sur la question du détachement des travailleurs. Celle-ci empoisonne politiquement et socialement l'Union européenne, et elle est aujourd'hui prise en otage par les populistes, qui en font une présentation extraordinairement simplificatrice – comme si l'Union européenne avait inventé le détachement, alors que depuis toujours des ingénieurs, des scientifiques, des commerciaux, des artistes partent dans d'autres pays !

Mais je veux bien convenir que le détachement est aujourd'hui encadré de façon insuffisante. Comme je le dis souvent à mes collègues d'Europe de l'Est, aucune famille française ne peut pour les beaux yeux de l'Europe accepter de mourir socialement en raison d'un dumping social permis par une réglementation insuffisante.

Nous devons donc établir un marché ouvert, en garantissant la liberté de circulation, d'établissement, et de prestation de services, mais sans que cela se fasse au détriment des uns ou des autres. Votre projet de directive est extrêmement intéressant car, pour la première fois, il ne cale pas les obligations de rémunération sur le salaire minimum – cette règle avait en effet montré ses effets néfastes notamment dans le domaine des abattoirs, car les abattoirs bretons ont été concurrencés par ceux de pays où le salaire minimum n'existait pas. J'approuve votre proposition d'un nouveau principe « à travail égal, rémunération égale », même si celui-ci sera sans doute difficile à mettre en oeuvre dans les faits.

Je vous redis donc le soutien de l'Assemblée nationale, dont je crois pouvoir dire qu'il s'est constamment exprimé sur tous les bancs.

Certains sujets demeurent en suspens. Vous connaissez sans doute ma marotte : la prestation de services internationale et l'intérim. À mon sens, le détachement d'intérim est le dévoiement le plus important auquel nous soyons confrontés. Ce qui se produit, c'est un détachement de placement de main-d'oeuvre, avec optimisation sociale et sociétés « boîte aux lettres ». J'ai ainsi donné à Mme El Khomri l'exemple d'une société polonaise qui abritait, à la même adresse, quarante entreprises différentes et qui n'avait aucune activité réelle en Pologne mais qui plaçait à l'étranger des employés polonais.

Le détachement fonctionne bien quand il accompagne les échanges – quand il sert à vendre des produits, à assurer un service après-vente, à permettre à des scientifiques ou à des artistes de se déplacer. Mais, quand il permet d'établir un second marché de main-d'oeuvre, il n'est qu'un dévoiement. Aujourd'hui, un plombier polonais qui viendrait s'installer en France doit respecter intégralement les normes ; en revanche, une société de prestation de services internationale peut envoyer en France un plombier polonais qui, lui, ne paie pas la sécurité sociale, entre autres. C'est là ce qui mine notre système.

Les contrôles sont de plus extrêmement difficiles, car les bureaux de liaison entre les administrations sont très inégaux : nos pays n'ont pas les mêmes intérêts ; la Pologne, la Bulgarie, la Slovaquie… apprécient le détachement des travailleurs tel qu'il existe aujourd'hui. Pourquoi nous renseigneraient-ils correctement ?

Ce sont là des difficultés presque insurmontables, le détachement d'intérim étant, je le redis, le dévoiement principal de nos règles. Si l'entreprise d'intérim avait l'obligation d'être établie dans le pays d'accueil, une grande partie du problème serait à mon sens réglé, et les procédures seraient très simples.

Où en est-on aujourd'hui, madame la commissaire, des équilibres politiques au sein du Conseil ? Le « carton jaune » est-il toujours aussi granitique, et n'est-il pas parasité par la question du transport routier ? Dans ce dernier domaine, en effet, des dispositions très sévères ont été prises par quelques États membres – la France, la Belgique. Il s'agit pourtant d'un tout autre sujet : les routiers franchissent les frontières en permanence, et leur cas ne peut pas relever du détachement classique. Ces règles nouvelles ne sont donc à mon sens guère applicables ; mais elles sont comprises par certains pays comme des vexations. En les assouplissant, et en renvoyant aux travaux en cours de Mme Violeta Bulc, croyez-vous que nous pourrions augmenter nos marges de manoeuvre sur votre projet de directive ? J'ai ressenti une forte crispation chez mes collègues polonais sur ce sujet des transports routiers.

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