Je vais essayer d'apporter des réponses concrètes, autant que possible, à vos questions.
Monsieur Savary, je tenais déjà à vous dire que je vous suis très reconnaissante d'être venu à Cracovie : vous étiez quasiment le seul à me soutenir, c'est-à-dire à soutenir l'approche de la Commission, avec un courageux syndicaliste polonais qui a pris la parole pendant une minute dans la salle.
Pour en venir à votre question sur les boîtes à lettres, je dois dire que la lutte contre cette pratique est l'un de nos principaux soucis. La nouvelle directive d'exécution sur le détachement des travailleurs donne des outils aux inspections pour attaquer les boîtes aux lettres. Les autorités peuvent agir et il est nécessaire qu'elles le fassent car ces pratiques sont totalement inacceptables. Quand on connaît la réalité de terrain, on se demande comment cela peut être possible, comment on a pu laisser évoluer la situation jusqu'à ce point. Il est d'ores et déjà possible de réagir.
À tous ceux qui n'ont pas suivi en détail les évolutions de la législation, j'indique que cette directive d'exécution sur le détachement des travailleurs a été adoptée en 2014, juste avant les élections européennes, et qu'elle devrait être transposée dans la législation de tous les États membres depuis le 18 juin dernier. La transposition reste partielle dans quatre États et inexistante – à moins que les pays aient omis de nous notifier leurs travaux – dans cinq autres. Nous avons lancé des procédures contre les États membres qui n'ont pas transposé la directive et j'ai annoncé que nous allions être très sévères à leur égard. Pas d'excuses pour les retards : les États doivent agir s'ils ne veulent pas faire l'objet de procédures.
Nous proposons de renforcer la législation vis-à-vis des bureaux d'intérimaires. Comme beaucoup d'autres, j'ai eu le réflexe de vouloir les exclure de la législation sur le détachement avant de me rendre compte que cela revenait à leur laisser une totale liberté et donc à ne rien régler du tout. Mme El Khomry a présenté un amendement au Conseil, qui a été repris au Parlement européen, afin d'éviter un double détachement des intérimaires. C'est une bonne suggestion que nous devons examiner de près.
Quant aux inspections, elles doivent travailler ensemble. Dans la directive d'exécution, nous avons imposé un délai de réponse lorsqu'une inspection est interrogée par ses homologues. Nous allons veiller au respect de cette disposition. Je constate avec intérêt que certains pays concluent aussi des accords bilatéraux avec les États membres dont ils reçoivent des travailleurs détachés, afin que les inspections nouent des liens étroits et luttent plus efficacement contre les abus. Même dans l'est de l'Europe, il y a des pays favorables à de tels accords. Il ne faut pas penser que les administrations et les inspections de ces pays ne font pas leur travail. Même en Pologne, quand la règle existe, l'inspection veut l'appliquer.
Vous m'avez aussi interrogée sur les cartons jaunes et les problèmes dans le secteur des transports. C'est au Conseil que se règlent les détails. Jusqu'à présent, je n'ai pas reçu de ministres polonais ou hongrois. Le travail reste à faire.
Madame Le Callennec, l'Europe doit en effet protéger et elle le fait déjà. Les États membres et l'Union européenne ont leurs compétences respectives dans le domaine de la protection sociale. On ne peut pas tout attendre de l'Union européenne qui a tendance à servir de bouc émissaire en cas de problème. Cela étant dit, il faut parler davantage de protection sociale, comme me l'a indiqué votre Premier ministre, Bernard Cazeneuve, lors de l'entrevue que j'ai eue avec lui ce matin. Il faut aussi mieux communiquer sur le sujet, ce qui ne peut pas être fait seulement à partir des institutions européennes. C'est aussi l'affaire des politiciens des États membres : ils doivent expliquer davantage ce que fait l'Europe, ce que font les États membres, et ce que nous faisons ensemble. Ils doivent insister sur le fait que nous sommes des partenaires et non pas des adversaires. Nous travaillons dans l'intérêt des citoyens et nous nous efforçons de réaliser leurs rêves.
Va-t-on élargir le système Erasmus ? Qu'en est-il des apprentis ? Nous allons en effet étendre Erasmus et consacrer une enveloppe de 400 millions d'euros supplémentaires à l'apprentissage. Nous avons lancé une nouvelle idée, Erasmus pro, pour donner aux apprentis et aux étudiants de filières professionnelles ou techniques la même opportunité qu'à ceux qui fréquentent les universités. Erasmus est déjà utilisé par des jeunes ayant ce profil mais pour des périodes de deux ou trois semaines. Ce type de séjour tient du voyage scolaire, ce qui est intéressant mais n'a pas la même efficacité pour augmenter les compétences, notamment linguistiques, qu'un séjour de six mois ou un an. Nous avons trouvé l'argent pour financer Erasmus pro – c'est de la technique budgétaire.
Nous voulons promouvoir l'apprentissage, en nous inspirant des pratiques des États membres qui ont une tradition dans ce domaine, car c'est un bon tremplin vers la vie professionnelle. L'apprentissage est une formule qui assure bien la transition entre l'éducation et le travail. Il n'y a pas besoin de règles ou de lois supplémentaires, mais il faut aller sur le terrain et développer le plus de contacts possibles avec des entrepreneurs et des organisations patronales afin de susciter des offres pour les apprentis. Voilà ce que je dis à mes services. Si nous voulons que l'apprentissage se développe, il faut que des entreprises se lancent dans ce processus. Le nombre d'offres progresse, beaucoup d'entreprises font des efforts et j'espère que nous pourrons accroître les possibilités offertes à nos jeunes dans le futur.
Monsieur Philip Cordery, en ce qui concerne le socle de droits fondamentaux, nous avons retenu vingt principes et trois axes de travail : l'accès à la formation et à l'emploi ; des conditions de travail décentes ; une protection sociale adéquate, soutenable mais aussi moderne, ce qui veut dire que les droits doivent aller de pair avec un accompagnement des personnes, par le biais de la formation continue notamment, pour leur permettre de renforcer leurs compétences et de retrouver un emploi. Le salaire minimum fait partie de ces vingt principes. L'Europe n'est pas compétente pour décider d'un niveau de salaire minimum mais elle peut en fixer le principe. Il revient aux États membres de s'efforcer de fixer un salaire minimum adéquat et l'Europe peut les aider à en définir les critères. On ne peut évidemment pas définir un salaire minimum valable pour l'Europe entière tant les niveaux de vie sont disparates. En revanche, il est possible de définir un niveau de salaire qui permette d'avoir une vie décente dans chacun des pays et qui aide du même coup à lutter contre le dumping social.
Qu'en est-il de la lutte contre la pauvreté ? L'un des buts de la stratégie Europe 2020 de l'Union pour une croissance intelligente, durable et inclusive est de diminuer la pauvreté. Nous utilisons les moyens dont nous disposons pour nous attaquer à ce phénomène très complexe qui ne peut être éradiqué par quelques textes. Nous utilisons le Fonds européen d'aide aux plus démunis (FEAD) et le Fonds social européen (FSE). En cette période, nous avons décidé de mettre au moins 20 % du FSE au service de l'inclusion sociale. Comment les États membres utilisent-ils ces moyens ? Tout dépend des circonstances propres à chaque État. Ils doivent élaborer des programmes opérationnels en collaboration avec la Commission et développer eux-mêmes des projets concrets.
Des questions concernent l'assurance chômage portable. Si nous voulons favoriser la mobilité des travailleurs à l'intérieur de l'Europe, nous devons leur permettre d'aller chercher du travail dans un autre pays que le leur. Il a donc été décidé de permettre à un travailleur de conserver les droits acquis dans son pays, à condition d'avoir été inscrit comme demandeur d'emploi depuis au moins quatre semaines. Les droits sont portables en quelque sorte, et le pays d'origine doit continuer à verser les indemnités pendant trois mois. Nous voulons porter cette durée à six mois, afin de donner plus de possibilités aux jeunes gens. Naturellement, ce droit est conditionné : la personne concernée doit s'inscrire à Pôle emploi ou dans l'organisme équivalent du pays d'accueil ; il doit y être contrôlé ; il doit envoyer un rapport tous les mois à l'organisme de son pays d'origine pour prouver qu'il cherche vraiment du travail. Il y a donc une surveillance pour éviter les abus.
En revanche, la portabilité des droits à la formation n'existe pas encore. Nous pourrons concrétiser cette idée lors de l'élaboration du socle social car la formation est un droit vraiment important qu'il faut tendre à européaniser. À ce stade, il est déjà interdit de refuser l'accès à telle ou telle formation en raison de la nationalité du demandeur, et il existe des systèmes comme Erasmus. Pour l'avenir, nous devons reprendre l'idée de portabilité des droits à la formation.
Monsieur Jacques Myard, vous suggérez de moderniser la gouvernance européenne. Ce n'est pas facile parce qu'il faut tenir compte de la compétence des États membres et des règles du traité. Je ne serais pas opposée à une modification du traité pour que toutes les décisions soient prises à la majorité qualifiée, mais les États membres n'y sont pas favorables, et je peux comprendre leurs réticences, notamment quand il s'agit de questions fiscales. La rapidité du processus de décision varie d'un dossier à l'autre et dépend de la volonté des décideurs. Quand le processus est très lent, cela signifie qu'il y a un vrai problème et qu'il faut débattre plus longtemps.