Intervention de Gérard Sebaoun

Réunion du 15 février 2017 à 9h30
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGérard Sebaoun, rapporteur de la mission d'information :

En cette fin de législature, il me revient de vous rendre compte des travaux que nous avons menés sur l'épuisement professionnel, communément appelé burn out. Notre rapport ne prétend pas à l'exhaustivité, mais il permet de mieux cerner la réalité complexe de l'épuisement professionnel, dans une société en profonde mutation.

Alors que, depuis des décennies, la question cruciale de l'emploi et du chômage éclipse celle du travail, des chercheurs, des universitaires, des représentants d'institutions et d'organismes publics ou parapublics, des praticiens travaillent sur la question de l'épuisement professionnel et n'ont jamais cessé d'étudier le travail et ses transformations.

Dans le cadre de la mission, nous les avons entendus lors de trente-cinq auditions, dont douze tables rondes ou auditions conjointes. Ce sont, au total, une centaine d'interlocuteurs représentatifs que nous avons rencontrés ; leur liste figure en annexe au rapport.

Les bouleversements du monde ont entraîné des changements profonds dans le quotidien de nos concitoyens. La mondialisation des échanges n'est ni heureuse, ni porteuse de tous les maux ; c'est une réalité, comme le sont la robotisation, la tertiarisation de l'économie, la numérisation et les nouveaux modes de communication, l'apparition de nouvelles méthodes d'organisation du travail, l'intensification de celui-ci et la généralisation de nouvelles méthodes de management.

Cette conversion de l'économie et des modes de production ne relève pas, dans l'immense majorité des cas, d'un choix des travailleurs, qu'ils exercent dans le secteur privé ou au sein de l'une des trois fonctions publiques, ou bien qu'ils soient indépendants, comme les exploitants agricoles.

La souffrance psychique au travail est, dans notre pays, une réalité grandissante qui ne s'est pas substituée à la pénibilité physique. Celle-ci est aujourd'hui mieux prise en compte, alors que nous avons des difficultés à prévenir la souffrance psychique.

Rappelons une évidence, celle de la responsabilité de l'employeur, quel qu'il soit, de la très petite entreprise à la multinationale, prévue par l'article L. 4121-1 du code du travail : « L'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. ». L'employeur a également l'obligation d'évaluer les risques physiques et psychiques au travers du document unique d'évaluation des risques (DUER), un préalable nécessaire à la mise en oeuvre des actions de prévention.

Nous avons été conduits à nous interroger sur l'effacement progressif et généralisé de la frontière entre vie professionnelle et vie personnelle, qui est facilité notamment par les nouveaux outils de communication.

Nous avons ordonné le rapport en six grands chapitres, qui sont autant de questions, et vingt-sept propositions – de portée inégale – sur lesquelles je reviendrai.

Le premier chapitre vise à délimiter le champ de l'épuisement professionnel qui, à ce stade, est un syndrome et non une maladie.

Nous avons besoin d'approfondir et de stabiliser nos connaissances sur ce vaste champ, ce qui justifie la proposition n° 1, qui figure à la page 26 du rapport. Celle-ci appelle à la création d'un centre national de référence consacré à la santé psychique au travail, comme il en existe dans d'autres domaines, tels que les maladies infectieuses. Ce centre pourrait être rattaché à Santé publique France.

Le deuxième chapitre affirme la réalité du syndrome d'épuisement professionnel dans le monde du travail en revenant sur les chiffrages disponibles.

L'Institut de veille sanitaire (InVS) a évalué à 30 000 le nombre des personnes directement touchées en France, dans une étude portant sur les salariés actifs entre 2007 et 2012. Ce nombre serait d'environ 100 000 selon un rapport de l'Académie de médecine publié en 2016.

En 2014, les médias avaient popularisé le nombre de 3 millions, mais il y avait eu un amalgame. Cette estimation était extraite d'une étude qui cherchait à évaluer le risque de burn out, et non le nombre de personnes qui en étaient effectivement atteintes.

Ces chiffres sont à mettre en regard avec le nombre très limité de cas de maladies psychiques reconnus comme maladies professionnelles par la voie complémentaire hors tableau, soit 223 en 2013, 315 en 2014 et 418 en 2015, très majoritairement des dépressions. Nous sommes donc très loin des quelques dizaines de milliers de cas que j'évoquais.

Je rappelle que les maladies professionnelles sont les affections causées directement et essentiellement par l'activité professionnelle. Compte tenu des verrous normatifs actuels, il est difficile aux travailleurs affectés par une pathologie non inscrite à un tableau d'établir le lien direct et essentiel exigé par les textes entre leur travail et cette pathologie et d'obtenir en conséquence sa reconnaissance comme maladie professionnelle.

Le troisième chapitre constate que les réponses à la réalité du syndrome d'épuisement professionnel sont à tout le moins insuffisantes, voire inadéquates.

Nous proposons de mettre en place des outils pour améliorer le dépistage et la prise en charge rapide des victimes de burn out avec l'élaboration d'un nouveau questionnaire francophone au service des médecins, car les questionnaires sont aujourd'hui rédigés en anglais, que ce soit le Maslach Burnout Inventory (MBI) ou le Copenhagen Burnout Inventory (CBI) danois – qui nous semble être l'outil le plus pertinent aujourd'hui.

Nous abordons également le casse-tête des certificats remplis par les médecins, face à des travailleurs fragilisés, devenus patients, qui établissent un lien entre l'état de santé et le travail. L'attestation de ce lien, et ainsi la mise en cause de l'activité professionnelle, ont conduit environ 200 médecins à être poursuivis devant les juridictions ordinales. Nous proposons de reconnaître que les médecins du travail sont en capacité de faire le lien entre la souffrance constatée et le travail et n'ont pas à être déférés devant les juridictions ordinales pour cela.

Le quatrième chapitre traduit une évidence : il faut être capable de reconnaître la réalité du syndrome d'épuisement professionnel avant d'envisager la réparation de ses effets.

C'est un appel à un changement radical de la vision de la santé au travail, et de la santé psychique en particulier, qui doit devenir un élément clé de la stratégie des entreprises. Le troisième plan « santé au travail » 2016-2020, élaboré et adopté par l'ensemble des partenaires sociaux, va dans ce sens, en insistant sur la prévention, notamment des risques psychosociaux, avec une action spécifique sur le burn out. Les travaux initiés par la branche accidents du travail-maladies professionnelles vont dans ce sens. Ce quatrième chapitre concentre quinze de nos vingt-sept propositions. Je vais citer les thématiques les plus importantes visées par ces propositions.

Je commencerai par le codage des arrêts de travail et leur analyse, une fois anonymisés, pour mieux quantifier et territorialiser les pathologies psychiques.

Nous proposons aussi d'élaborer des modèles types de document unique d'évaluation des risques. Aujourd'hui, le document unique est à la main de l'entreprise et doit être fait sur mesure, ce qui est logique. Mais, en réalité, la moitié des entreprises, voire plus, ne réalisent pas leur document unique. Fournir des modèles types à l'ensemble des entrepreneurs les aiderait à satisfaire à leurs obligations.

Nous préconisons d'étendre le droit d'alerte des délégués du personnel et des membres élus du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) à l'obligation de réaliser ou d'actualiser le document unique.

Nous suggérons d'inscrire la prévention des risques psychosociaux (RPS) dans le champ des négociations obligatoires annuelles au sein du bloc existant « Égalité professionnelle entre les femmes et les hommes et qualité de vie au travail » et d'intégrer les acteurs de la santé au travail dans l'élaboration des futurs accords collectifs ou chartes organisant le droit à la déconnexion.

Nos propositions visent également à l'amélioration de la formation des futurs managers dès les bancs de leur école ou de l'université, avec une obligation de stages « ouvriers », notamment pour celles et ceux qui sont appelés à diriger des services opérationnels. Il convient aussi d'améliorer la formation de tous les acteurs susceptibles d'intervenir aux différentes étapes, de la prévention des risques psychosociaux à la prise en charge des victimes d'épuisement professionnel.

Enfin, nous proposons de rendre obligatoire la certification des intervenants en entreprise dans le champ des RPS et de réformer le processus de réinsertion professionnelle des travailleurs atteints de burn out, qui est actuellement déficient car il n'offre que de très faibles perspectives de retour à l'emploi.

Dans les chapitres V et VI, nous abordons la question de l'inscription du burn out dans un tableau de maladie professionnelle, avant de terminer sur son coût économique et social.

S'agissant de la perspective d'élaboration d'un tableau, nous proposons de procéder par étapes. En effet, les difficultés sont connues : la question de la définition, d'abord, abordée dans le premier chapitre, et le cadenas réglementaire exigeant un taux d'incapacité permanente partielle (IPP) minimal de 25 %, qui limite considérablement le nombre de dossiers éligibles. Lorsque les dossiers sont acceptés, un sur deux fait ensuite l'objet d'une reconnaissance.

La majorité des personnes qualifiées auditionnées par la mission ont fait état des difficultés à construire un tableau de maladie professionnelle. Il est nécessaire de remplir trois colonnes, ce qui n'est pas simple lorsqu'on parle de pathologies psychiques. L'examen des demandes de reconnaissance de pathologies relevant du burn out qui ont été acceptées par le comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP) d'Île-de-France fait apparaître qu'elles concernent quatre-vingt-quinze professions distinctes.

Nous proposons donc d'expérimenter l'abaissement à 10 % du taux d'incapacité permanente partielle nécessaire à la reconnaissance d'une maladie professionnelle, voire de supprimer ce seuil, afin d'augmenter le nombre de dossiers éligibles. Selon les estimations du docteur Jeantet, qui dirige la branche accidents du travail – maladies professionnelles (AT-MP), la suppression du seuil conduirait à augmenter considérablement le nombre des dossiers de demande de reconnaissance éligibles et le délai moyen d'examen par les CRRMP. En faisant la proposition d'abaisser le taux d'IPP, nous sommes conscients du risque réel de surcharge des CRRMP, d'où notre proposition de renforcer dès maintenant leurs moyens, notamment en dédoublant les comités les plus chargés.

Par ailleurs, nous avons retenu la suggestion visant à renforcer la dimension contradictoire de la procédure d'instruction des dossiers par les caisses et les CRRMP.

Quant au coût économique et social du burn out, qui fait l'objet du chapitre VI, il est certainement considérable, même s'il peine à être quantifié faute d'une définition opérante pour le syndrome.

Une étude très ancienne avait estimé que le coût du stress au travail était compris entre 2 et 3 milliards d'euros pour l'année 2007. Une autre étude, issue de la Commission européenne, avançait un montant de 20 milliards d'euros pour l'Union européenne à quinze et pour l'année 2002. En 2009, le rapport de l'Agence européenne pour la sécurité et la santé au travail estimait que 50 à 60 % des journées de travail perdues dans l'Union européenne avaient un lien avec le stress au travail.

Ayons toujours à l'esprit le coût économique et social astronomique de l'ensemble des maladies mentales en France, quelle que soit leur origine. Il a été évalué par la Cour des comptes à 107 milliards d'euros dans son rapport de 2011, et à 109 milliards d'euros dans une autre étude de 2012.

Nous proposons que la commission instituée par l'article L. 176-2 du code de la sécurité sociale évalue le coût des maladies psychiques liées au travail, coût actuellement supporté par l'assurance maladie. Le législateur décidera si ce coût doit être répercuté vers la branche AT-MP.

Nous souhaitons également la prise en charge par la branche AT-MP du suivi psychologique à la suite d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle dès lors qu'il aura été prescrit, dans le droit-fil de prises en charge expérimentales ou dérogatoires du suivi psychologique par un psychologue clinicien par l'assurance maladie.

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