Intervention de Gérard Sebaoun

Réunion du 15 février 2017 à 9h30
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGérard Sebaoun, rapporteur de la mission d'information :

Je commencerai par vous répondre, madame la présidente, au sujet du handicap psychique. Si chaque individu, quel qu'il soit, est par essence plus ou moins fragile, le syndrome d'épuisement professionnel ne touche pas que des individus présentant une fragilité particulière : par définition, il concerne des personnes normales, qui vont au travail comme tout un chacun et qui, plongées dans un environnement délétère, basculent brutalement dans la maladie, sans avoir émis d'autre avertissement que quelques « signaux faibles » – parfois si faibles que personne ne les perçoit. La situation de ces personnes ne se confond donc pas avec celles qui sont atteintes d'un handicap psychique reconnu et qui bénéficient de mesures d'accompagnement visant à faciliter leur entrée ou leur maintien dans la vie professionnelle.

Les conséquences de l'épuisement professionnel sont la dépression, l'anxiété généralisée et, d'une manière générale, des pathologies avérées, devant donner lieu à un traitement. L'une des principales questions consiste à se demander comment aider au mieux les personnes concernées, en vue de permettre leur retour au travail dans les meilleures conditions – ce qui n'a rien d'aisé.

Michel Issindou, auteur d'un rapport sur la médecine du travail, connaît bien le sujet. Pour ce qui est du nombre de personnes touchées par le syndrome d'épuisement professionnel, je ne sais pas s'il faut se référer au nombre de 30 000 avancé par l'InVS, au nombre de 100 000, qui est une évaluation de l'Académie de médecine, ou considérer que ces estimations sont toutes deux en deçà de l'ampleur du phénomène. Pour notre part, nous avons souhaité éviter d'engager une bataille de chiffres sur un sujet aussi sérieux, dont le véritable enjeu réside dans la recherche de moyens de nature à réduire la souffrance des victimes : à cette fin, nous avons émis des propositions sous la forme d'un questionnaire auquel le législateur et, à travers lui, la société elle-même, doivent répondre.

Yves Censi nous a livré un exposé liminaire remarquable. Son travail et le mien ont été complémentaires : il a axé sa réflexion sur les aspects psychologiques et juridiques, tandis que je m'intéressais davantage aux côtés pratiques. Il a évoqué cet aspect important qu'est l'obligation de résultat pesant sur l'employeur et insisté sur les conséquences que pourrait avoir une reconnaissance du syndrome d'épuisement professionnel, sous la forme d'un tableau – une idée à laquelle la majorité des personnes auditionnées nous ont dit ne pas souscrire, faute de savoir comment la mettre en oeuvre, même si elles n'y sont pas hostiles par principe. Enfin, il a rappelé l'intérêt de valoriser, plus qu'on ne fait actuellement, les compétences des psychologues cliniciens, ainsi que le principe essentiel selon lequel le responsable doit être le payeur.

Arnaud Richard a rappelé que certains des sujets évoqués aujourd'hui l'avaient déjà été dans le cadre de la mission d'information sur le paritarisme qu'il a conduite avec Jean-Marc Germain, et qu'il convenait d'éviter le simplisme : nous sommes face à un syndrome constituant une réalité sociétale, syndrome auquel il convient d'apporter des réponses – à tout le moins devons-nous réfléchir à améliorer la connaissance et la reconnaissance du problème. Le professeur Christophe Dejours, du Conservatoire national des arts et métiers (CNAM), a parlé d'« infobésité », néologisme évoquant l'énorme masse d'informations dont nous sommes abreuvés tous les jours dans nos pratiques professionnelles respectives, et qui nécessite de mettre en place des systèmes de tri et de hiérarchisation.

Dominique Orliac a rappelé que le sujet de l'épuisement professionnel avait déjà été évoqué dans le cadre de l'examen de projets de loi, notamment la loi Rebsamen, et elle a insisté sur la situation des personnels soignants, qui sont en première ligne vingt-quatre heures sur vingt-quatre et se trouvent donc particulièrement exposés au burn out – chacun garde en mémoire les cas de suicide qui ont touché certaines professions.

Elle a également évoqué la question de la formation, ainsi que le droit d'alerte. Ce droit consiste, pour les salariés représentatifs, à obliger un employeur n'ayant pas rempli le document unique obligatoire – pour de bonnes ou de mauvaises raisons –, à le faire ; à cette fin, nous proposons que soient élaborés des documents types qui permettraient d'améliorer ou d'accélérer le processus. J'insiste sur l'importance de cette proposition, car à l'heure actuelle, la moitié des entreprises françaises ne pas remplissent pas de document unique – c'est une situation que l'on rencontre même chez les pompiers !

Jacqueline Fraysse a souligné que le sujet était d'une actualité brûlante et douloureuse et que nous devions améliorer nos connaissances. Elle a rappelé que la loi El Khomri avait apporté d'importantes modifications à la médecine du travail : ainsi, les visites d'embauche et les visites de suivi en dehors des professions à risque sont aujourd'hui effectuées par des infirmières ; toutes ne possèdent pas encore la qualification en santé au travail imposée par la loi du 20 juillet 2011 relative à l'organisation de la médecine du travail, mais les choses se mettent en place progressivement, par le biais de formations universitaires – encore trop rares – ou de la validation des acquis de l'expérience (VAE). Cette évolution, au terme de laquelle les infirmières vont se trouver en première ligne en matière de santé au travail, justifierait que le statut particulier du médecin du travail – salarié protégé au sein de l'entreprise – soit étendu aux infirmières ; j'en avais déjà fait la proposition par voie d'amendement au projet de loi El Khomri, sans qu'elle soit retenue.

Par ailleurs, Mme Fraysse a regretté que certaines lois n'aient pas permis de progresser sur le sujet qui nous intéresse. Je me contente d'en prendre acte, sans m'engager dans une discussion politique au fond sur ce point.

Arnaud Viala a été l'auteur, dans le cadre du PLFSS pour 2017, d'un excellent rapport sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (AT-MP). Cette branche, actuellement financée par les seules cotisations des employeurs, dégage depuis deux ans un excédent de l'ordre d'un milliard d'euros en raison d'un phénomène de sous-déclaration. Une commission, mise en place en vertu de l'article L. 176-2 du code de sécurité sociale, est donc chargée de rendre tous les trois ans un rapport évaluant le coût réel pour la branche maladie de cette sous-déclaration des accidents du travail et des maladies professionnelles. Pour notre part, nous proposons que les maladies psychiques engendrées par le travail puissent être prises en compte dans l'évaluation des dépenses relevant de la branche AT-MP et que le législateur prenne ensuite les décisions qu'il jugera nécessaires.

M. Viala a posé plusieurs questions sur les moyens d'améliorer la prévention. Je dirai que la prévention est un tout et, sans vouloir comparer la TPE employant trois personnes à une multinationale, que la stratégie d'une entreprise, quelle qu'elle soit – y compris dans le secteur public –, est vouée à l'échec si elle n'intègre pas la santé de ses salariés au travail. Pour cela, il existe plusieurs outils, par exemple le document unique d'évaluation des risques professionnels ou la négociation annuelle obligatoire qui, maintenant simplifiée par la loi, doit permettre de faire entrer les risques psychosociaux dans une discussion sereine entre employeurs et salariés. Sans doute faut-il une plus forte représentativité des salariés, au moins dans les grands groupes – de ce point de vue, je pense que nous ne sommes pas allés assez loin dans cette direction au cours de la législature qui s'achève. Enfin, il faut encore améliorer la formation de tous les acteurs concernés.

Au sujet de la formation, Kheira Bouziane-Laroussi a souligné que les médecins du travail sont de moins en moins nombreux dans les entreprises. Je le regrette également et j'estime qu'il convient d'améliorer l'attractivité de ce métier en voie de mutation : en plus de sa vocation médicale proprement dite, il consiste également à porter un regard sur la société au travail. Les instituts de médecine du travail ont souvent peu de moyens et peu de postes ; c'est une réalité objective qui se ressent déjà au niveau de l'université.

Gilles Lurton a évoqué le malaise ressenti par les personnels soignants, qui est bien réel. La chercheuse Christina Maslach, à qui l'on doit le questionnaire actuellement le plus utilisé pour l'évaluation du burn out, a montré que la fonction de soignant est particulière en ce qu'elle implique un très fort investissement envers les patients, donc un risque élevé de basculer. Nous devons réfléchir à d'autres modes d'organisation du travail et, si je ne peux vous en dire beaucoup plus sur le sujet pour le moment, je vous assure que nombre de professionnels partagent ce point de vue.

Chaynesse Khirouni a rappelé, à juste titre, que certains pays développés sont allés plus loin que la France en matière de reconnaissance du burn out – nous avons nous-mêmes cité ces pays dans notre rapport – et nous a posé une question extrêmement importante : comment hiérarchiser nos propositions de manière à déterminer celles qui pourraient être mises en oeuvre immédiatement ?

Je pense que le document unique, auquel je tiens beaucoup, pourrait être mobilisé très rapidement, à condition de mettre au point des modèles types en concertation avec les acteurs concernés. C'est souvent trop tard, lorsque la maladie ou l'accident sont survenus, que les entrepreneurs prennent conscience de la nécessité de s'interroger sur les conditions de travail et les risques d'épuisement professionnel – parce qu'ils ont d'autres priorités ; en rendant obligatoire le fait d'engager une réflexion sur ce thème au sein de l'entreprise, nous aiderons les chefs d'entreprise à prendre conscience de leurs obligations légales.

Par ailleurs, alors que le décret du 18 avril 2002 a ramené de 66,66 % à 25 % le taux d'incapacité permanente partielle (IPP) minimale nécessaire à la prise en charge au titre des maladies professionnelles qui ne figurent pas dans les tableaux des maladies professionnelles – un taux qui reste effectivement très élevé – nous proposons de descendre à 10 % pour une meilleure prise en charge. Quant à supprimer purement et simplement le seuil d'IPP, comme le suggère Mme Khirouni, cela consisterait à revenir à un tableau professionnel, à supposer que cela soit possible. Sans écarter complètement cette perspective, nous constatons que la plupart des acteurs concernés estiment n'être pas en capacité d'établir un tel tableau, et nous proposons donc d'élargir le cercle des personnes ayant vocation à siéger au sein des comités régionaux de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP), avant de revenir, en concertation avec nos partenaires, sur l'hypothèse du tableau professionnel, en envisageant éventuellement une expérimentation dont il conviendrait de définir le champ – étant précisé que le nombre de dossiers à traiter serait considérable.

Denis Jacquat a dit, très justement, qu'il ne fallait pas « psychologiser » la question de l'épuisement professionnel : le burn out, qui est la réaction d'un individu placé dans un environnement donné, est susceptible de toucher n'importe qui, et pas uniquement des personnes qui présenteraient une fragilité particulière.

Il a également évoqué la notion très importante de certificat, sur laquelle nous avons fait des propositions.

Denys Robiliard a relevé, à juste titre, que nous avions procédé à une analyse des maladies psychiques au travail dépassant le cadre du seul burn out, qui n'est pas vraiment défini. Il est revenu sur le champ obligatoire des négociations ainsi que sur le statut infirmier, sur lesquels nous avons fait des propositions qui pourraient être adoptées rapidement.

Bernard Perrut a rappelé l'importance du cadre familial et le fait que, dans ce cadre où trois ou quatre générations coexistent parfois et ont vocation à s'entraider, les aidants de personnes âgées ou handicapées pouvaient facilement basculer dans un état d'épuisement qui, s'il n'est pas professionnel à proprement parler, n'en est pas moins réel.

Il a également insisté sur la notion de qualité de vie au travail qui, à mon sens, ne doit pas rester un vain mot. Pour cela, nous proposons que, dans le cadre de la négociation obligatoire, les risques psychosociaux soient pris en compte en termes de formation et de prévention.

Véronique Massonneau a évoqué son expérience au sein de CHSCT et de comités d'entreprise, pour souligner que ces instances sont parfois démunies face à certaines situations. Il est vrai que leurs membres, très compétents dans de nombreux domaines, n'ont pas forcément une bonne connaissance du phénomène d'épuisement professionnel. Nous proposons de nous inspirer de ce qui se fait au Québec, où l'on s'appuie sur l'expérience d'un réseau de connaisseurs du sujet, formé par une très grande centrale syndicale, afin d'améliorer la prise en charge des cas de burn out. Sans que cette idée soit définie très précisément pour le moment, il nous paraît intéressant d'imaginer qu'au-delà de leur appartenance syndicale, des salariés, des élus, des représentants du personnel puissent former un réseau de nature à améliorer la circulation de l'information – à la façon de ce qui est mis en place pour améliorer la prise en charge de certaines maladies, par exemple.

En sa qualité de praticien, Fernand Siré a su dire la difficulté du médecin traitant face aux patients exposés à l'épuisement professionnel. S'il est dépositaire de l'ensemble des souffrances de son patient, le médecin traitant – à qui l'on demande beaucoup – n'est pas forcément un spécialiste de la législation et ne connaît pas toujours l'intégralité du parcours professionnel de la personne qui le consulte.

Pour ce qui est du secret professionnel, je rappelle qu'il peut être partagé à la condition que l'individu concerné soit d'accord. Quant aux addictions, elles peuvent effectivement venir s'ajouter aux difficultés rencontrées par une personne en état d'épuisement professionnel.

Annie Le Houerou et Richard Ferrand ont posé la question de la réinsertion, qui est un sujet central. Dans les faits, lorsqu'une entreprise est dans l'impossibilité de proposer un reclassement, la personne qui souffre n'a souvent d'autre choix que de démissionner, ce qui n'est évidemment pas une solution satisfaisante. Il faut aussi savoir qu'il se passe des choses entre le moment où une personne est mise en arrêt maladie pour épuisement professionnel et son retour à l'emploi. Le législateur a proposé utilement la notion de visite de pré-reprise, consistant à permettre au médecin-conseil, au médecin traitant ou à la personne concernée elle-même, de demander une visite médicale ayant pour but de préparer la reprise du travail. Durant cette visite, le médecin va se trouver face à une personne pour laquelle il faut trouver une solution, celle-ci pouvant consister par exemple en une reprise à temps partiel thérapeutique – même si, très souvent, la personne ne souhaite pas reprendre le travail, car cela signifie se trouver à nouveau plongée dans le milieu délétère qui est à l'origine de ses problèmes –, tandis que l'employeur, coupé de tout contact avec le salarié pendant son arrêt de travail, préférera attendre le retour de celui-ci avant de se prononcer sur les conditions de reprise. Comme vous le voyez, quelles que soient les compétences des services des ressources humaines, et même des services d'accompagnement que l'on peut trouver dans les grandes entreprises, le dispositif actuel ne permet pas forcément une préparation optimale du retour au travail du salarié après une période d'arrêt.

Valérie Boyer a rappelé la difficulté qu'il y a à définir l'épuisement professionnel – qui n'est pas une maladie, mais un syndrome multifactoriel – et à distinguer ce qui se rattache à la vie professionnelle de ce qui relève de la vie privée, quelle que soit la profession concernée – pour notre part, nous ne parlons pas seulement des salariés dans notre rapport, mais évoquons également les cas des soignants et des policiers. Elle a insisté sur le fait que l'épuisement professionnel ne se traduisait pas uniquement par des maladies psychiques ou psychosomatiques, mais aussi par des maladies somatiques, rappelant ainsi l'ampleur et la complexité du sujet qui nous intéresse.

Enfin, Francis Vercamer, à qui l'on doit plusieurs rapports sur le thème de la médecine du travail, a évoqué la fonction publique. Si, sur le plan de l'organisation, ce secteur se caractérise par la présence d'une médecine de prévention, il est autant exposé que le secteur privé au phénomène d'épuisement professionnel : le surmenage, l'envie de bien faire son métier, l'intensification du travail y sont tout aussi présents.

Pour améliorer la prise en charge des personnes victimes d'épuisement professionnel, le législateur doit disposer de meilleures connaissances en la matière, avant de s'intéresser aux modalités de reconnaissance et de réparation qui pourraient être mises en oeuvre. Les victimes, elles, ont avant tout besoin d'être reconnues. Nous sommes dépositaires d'un grand nombre d'histoires personnelles : celles qui nous ont été confiées dans le cadre de notre vie personnelle et professionnelle, mais aussi celles que nous avons entendues lors des auditions des associations de victimes, par lesquelles nous avons commencé nos travaux. En tant que législateur, il nous appartient, grâce à notre expérience, de replacer ces histoires, qui sont autant de parcours humains, dans le schéma des organisations, des administrations et des entreprises – grandes ou petites – de notre pays.

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