Intervention de Denys Robiliard

Réunion du 15 février 2017 à 9h30
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDenys Robiliard, rapporteur de la mission d'évaluation :

Madame la présidente, monsieur le co-rapporteur, mes chers collègues, notre mission a effectivement mené ses travaux très rapidement, compte tenu des délais qui lui étaient impartis – avec le concours de nos administrateurs, que je remercie –, et dans une excellente ambiance, ce qui lui a permis de trouver un accord sur la totalité des recommandations proposées.

Je regrette également que le ministère de l'intérieur n'ait pas répondu à nos sollicitations, car j'estime qu'il a, comme les autres ministères, le devoir de rendre compte à l'Assemblée nationale – d'autant qu'en l'occurrence, nous traitions d'un sujet important, touchant aux libertés, qui méritait que cette administration, ayant certes une importante charge de travail à assumer, dégage le temps nécessaire pour nous répondre.

Pour en revenir à ce qui nous réunit aujourd'hui, un bref historique me semble s'imposer. Les deux premières lois à avoir modifié celle du 30 juin 1838 sur les aliénés sont la loi du 2 février 1981 renforçant la sécurité et protégeant la liberté des personnes et la loi du 27 juin 1990 relative aux droits et à la protection des personnes hospitalisées en raison de troubles mentaux et à leurs conditions d'hospitalisation. Le dispositif s'appliquant à la situation des personnes faisant l'objet de soins psychiatriques est resté constant dans sa tension entre la recherche des soins et le souci d'assurer l'ordre public.

La loi du 5 juillet 2011 relative aux droits et à la protection des personnes faisant l'objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge était perçue par les psychiatres comme une loi liberticide et procédant du discours prononcé en 2008 à Antony par le président Sarkozy.

Or, si elle s'inscrivait bien dans la filiation de ce discours, la loi avait deux autres « parents » – le mariage pour tous n'était pourtant pas entré en vigueur… (Sourires.). Premièrement, une décision du Conseil constitutionnel du 26 novembre 2010 affirmait que le système d'hospitalisation d'office à la demande d'un tiers, résultant de la loi de 1990 et reprenant les grandes lignes de la loi de 1838, n'était pas constitutionnel dès lors qu'il n'y avait pas, comme l'exige l'article 66 de la Constitution, un juge pour contrôler, dans un délai de quinze jours, la validité de l'hospitalisation décidée contre le gré du patient. Deuxièmement, le souci de la continuité des soins était porté à la fois par l'Union nationale de familles et amis de personnes malades etou handicapées psychiques (UNAFAM) et par la direction générale de l'organisation des soins (DGOS) du ministère de la santé – qui exprimait cette préoccupation dans un rapport de 2004 de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS).

Ce souci a conduit à une évolution assez considérable du paradigme des soins sans consentement. Avant la loi du 5 juillet 2011, les soins sans consentement étaient des hospitalisations sans consentement – la commission chargée de leur contrôle était d'ailleurs la commission départementale de l'hospitalisation psychiatrique. En 2011, on est passé à la notion de soins sans consentement, c'est-à-dire que les soins susceptibles de faire l'objet d'une obligation légale pouvaient consister en une hospitalisation complète, mais aussi en une hospitalisation de jour, c'est-à-dire à temps partiel, ou encore en des soins ambulatoires. Cela a constitué une modification extrêmement importante du périmètre des soins sans consentement.

Dans sa décision du 20 avril 2012, le Conseil constitutionnel a invalidé deux dispositions de la loi du 5 juillet 2011, mais également fait une lecture particulière de cette loi, en considérant que le législateur n'avait pas entendu assortir les soins sans consentement hors hospitalisation complète d'une possibilité de coercition. Autrement dit, il a jugé que l'on ne pouvait pas, pour l'exécution de soins certes obligatoires – puisque faisant l'objet d'un programme de soins à valeur obligatoire – recourir à la force pour contraindre le patient à recevoir ces soins. Si le psychiatre considère que les soins doivent absolument être administrés, il n'a donc pas d'autre option que de lancer un nouveau programme d'hospitalisation complète qui, lui, fera l'objet d'un contrôle systématique du juge des libertés et de la détention.

Le premier motif d'invalidation de la décision du 20 avril 2012 portait sur le statut des unités pour malades difficiles (UMD), ou plus exactement sur le fait que le séjour en UMD supérieur à un an entraînait l'application d'un dispositif renforcé conditionnant la mainlevée des soins psychiatriques sans consentement.

Les UMD étaient à la fois des lieux de soin et des lieux à forte dimension carcérale, à des fins sécuritaires. Ce qui prédominait dans ce dispositif était l'importance de l'encadrement médical, trois à quatre fois supérieur à celui mis en oeuvre dans un service classique. Ce système avait son efficacité : il aboutissait dans la plupart des cas – pas tous, certes – à ce que le patient ressorte au bout de quelques mois, une fois que le traitement reçu avait permis de réduire suffisamment les troubles ayant conduit à l'hospitalisation. Estimant qu'il n'y avait pas de raisons de tirer des conséquences juridiques du passage dans une structure thérapeutique, le législateur de 2013 avait choisi de supprimer le statut légal des UMD.

Le deuxième motif d'invalidation de la décision du 20 avril 2012 avait trait au statut des irresponsables pénaux. Sans nier la nécessité de maintenir un statut particulier, le Conseil constitutionnel considérait que les garanties dont ce statut devait être assorti n'étaient pas précisées par la loi, alors qu'elles relevaient nécessairement d'elle seule, et que, dès lors, le régime juridique des irresponsables pénaux n'était pas conforme à la Constitution. Je rappelle que, sur ce point n'ayant fait l'objet d'aucune observation des personnes que nous avons entendues, nous avons décidé de cantonner l'application du dispositif aux faits les plus graves – alors qu'il s'appliquait précédemment à toute déclaration d'irresponsabilité, y compris les actes les plus véniels.

Si nous avons souhaité maintenir le dispositif, ce n'était pas par défiance à l'égard des psychiatres, mais pour assurer la société que, lorsqu'une personne passait à l'acte en commettant une infraction, toutes les précautions étaient prises avant qu'elle ne retrouve la liberté – ce qui, à l'inverse, justifiait que la personne concernée retrouve pleinement sa place au sein de la société en même temps que sa liberté.

J'ajoute, en ce qui concerne les UMD, que la position du législateur de 2013 a été validée par le Conseil constitutionnel, qui avait été saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) par le Cercle de réflexion et de proposition d'actions sur la psychiatrie (CRPA), un acteur judiciaire extrêmement actif qui estimait que l'UMD restreignait les droits du patient davantage que la simple hospitalisation sous contrainte, et atteignait plus profondément sa liberté, ce qui nécessitait un contrôle spécialisé. Le Conseil constitutionnel a en effet considéré que l'UMD était un lieu thérapeutique, et qu'il n'y avait pas de différence juridique – sur le plan matériel, les conditions de sécurité sont très renforcées en UMD – entre un patient en UMD et un patient en hôpital psychiatrique.

Notre mission s'est concentrée essentiellement sur trois points. Premièrement, nous avons voulu déterminer comment fonctionnait le système reposant sur les dispositions de la loi du 5 juillet 2011 et sur celles de la loi du 27 septembre 2013, qui font corps au sein du code de la santé publique. Deuxièmement, nous avons cherché à déterminer si le contrôle judiciaire que nous avions modifié en 2013 fonctionnait de manière satisfaisante. Troisièmement, enfin, un an après l'entrée en vigueur de l'article 72 de la loi de modernisation de notre système de santé du 26 janvier 2016, qui organise un régime juridique s'appliquant à l'isolement et à la contention, nous avons voulu vérifier les conditions de sa mise en oeuvre dans les hôpitaux. Si nous avions initialement prévu un décret d'application, la deuxième lecture du projet de loi avait été l'occasion de supprimer le renvoi au décret, car nous avions considéré que le régime était défini de manière suffisamment précise pour entrer en vigueur sans l'application de dispositions réglementaires – ce qui fait qu'il a pu entrer en vigueur dès la publication de la loi et a, depuis lors, vocation à s'appliquer dans les hôpitaux.

Pour ce qui est des hospitalisations sous contrainte, nous sommes passés de l'hospitalisation sous contrainte aux soins sous contrainte, comme je vous l'ai expliqué tout à l'heure. Nous constatons en la matière une augmentation assez nette du recours aux soins sous contrainte. Au cours de la période 2011-2015, la file active en psychiatrie – c'est-à-dire l'ensemble des personnes ayant consulté au moins une fois durant l'année – a augmenté de 4,9 % pour atteindre 1,7 million de personnes. Quant aux soins sans consentement, ils ont augmenté de 15,9 %.

Nous nous sommes beaucoup appuyés sur un rapport de l'Institut de recherche et documentation en économie de la santé (IRDES), rédigé par la chercheuse Magali Coldefy, qui met en évidence sur, sur les 92 000 personnes ayant fait l'objet en 2015 d'une prise en charge sans leur consentement, 80 000 ont été hospitalisées à plein-temps au moins une fois dans l'année, ce qui représente une augmentation de 13 % par rapport à 2012. On constate en réalité deux phénomènes : d'une part, une augmentation de l'hospitalisation à temps complet – évaluée à 13 % –, d'autre part, une très forte montée des programmes de soins sans consentement hors hospitalisation complète, en augmentation de 40 % entre 2012 et 2015, pour atteindre le chiffre de 37 000. On a conclu peut-être un peu rapidement que l'augmentation s'expliquait principalement par les soins sans consentement, alors qu'une lecture attentive du rapport de Mme Coldefy montre que le recours à l'hospitalisation complète a également augmenté.

Je précise, pour conclure sur ce point, que les préfets recourent davantage que les hospitaliers – dans un cas sur deux, pour être précis – aux programmes de soins. Il semble que les agences régionales de santé (ARS), qui ont repris les attributions des directions départementales des affaires sanitaires et sociales (DDASS) et assistent à ce titre les préfets dans la gestion des personnes hospitalisées sans consentement, conditionnent leur accord à la levée d'une hospitalisation au bénéfice d'un programme de soins au contenu même de ce programme, notamment avec des exigences quant à la prescription de certains médicaments à effet retard.

Or, un programme de soins reste d'essence thérapeutique, et si la décision de mettre en oeuvre un programme de soins peut revenir au préfet, le contenu de ces soins, lui, ne saurait relever de son autorité. Quand nous avons entendu le préfet d'Île-de-France au titre de l'Association des préfets, il nous a clairement indiqué que les préfets n'avaient pas à intervenir dans ce domaine, et n'intervenaient donc pas. Force est de constater que certains préfets le font pourtant, via les ARS. Sur ce point, nous devons faire notre mea culpa : n'ayant pas identifié les ARS comme un acteur important de la question qui nous intéressait, nous ne les avons pas auditionnées, alors que nous aurions dû le faire.

Le fait que les programmes de soins puissent être obligatoires a constitué une innovation. Certes, la mise en oeuvre de ces programmes ne peut donner lieu à des mesures de coercition, mais le psychiatre peut menacer de demander une hospitalisation complète, ce qui constitue une forme indirecte de coercition. Constatant le manque d'éléments d'information sur ce qui constitue un nouveau paradigme, nous préconisons pour notre part que soit menée une réflexion à un double niveau. D'une part, au plan local, les commissions départementales de soins psychiatriques (CDSP) doivent être repensées, car les anciennes commissions départementales des hospitalisations psychiatriques (CDHP) n'ont pas été modifiées dans leurs attributions alors qu'elles reprenaient une partie des fonctions revenant précédemment à un juge. Il faut également donner davantage de temps aux CDSP afin de leur permettre d'intervenir à la fois sur les formes d'hospitalisation, sur les programmes de soins, sur l'isolement et la contention. Enfin, certaines CDSP sont confrontées à des problèmes matériels nuisant à leur fonctionnement. Dans mon département, la CDSP ne s'est pas réunie depuis plus d'un an, tout simplement parce que l'ARS ne la convoque pas, en dépit des demandes de l'UNAFAM et du tribunal : une telle situation est tout à fait anormale, et il doit y être remédié au plus tôt.

La deuxième chose que nous avons constatée, c'est l'augmentation des procédures d'admission d'urgence. La loi du 5 juillet 2011 en prévoit plusieurs types : sur décision du préfet ; à la demande d'un tiers ; sans tiers, dans le cadre de la procédure dite de « soins pour péril imminent » (SPI), laquelle a connu une progression très importante en l'espace de cinq ans au point de représenter aujourd'hui 20 % des décisions.

Comment expliquer cette évolution ?

D'abord, le recours à cette procédure répond à des situations très concrètes vécues dans les services d'urgences, psychiatriques comme générales. Quand le patient en crise décompense, sa prise en charge doit être quasi immédiate. Or la procédure de soins pour péril imminent ne suppose qu'un seul certificat médical contre deux dans le cas de la procédure de droit commun à la demande d'un tiers et elle peut être mise en oeuvre sans tiers.

Ensuite, la procédure d'admission à la demande d'un tiers n'est pas toujours assumée par ceux qui la déclenchent, car ils ne tiennent pas forcément à ce que la personne qui fait l'objet de l'hospitalisation sache que ce sont eux qui ont pris cette décision. Il n'est pas si simple pour des parents de demander l'hospitalisation de leur enfant, qui peut être âgé de trente ans, quarante ans ou cinquante ans, et qui reviendra vivre chez eux, car ils savent que la loi de 2011 permet au patient de connaître l'identité des personnes qui ont demandé son hospitalisation. Ces parents, je les comprends. Je ne leur jette pas la pierre.

Enfin, il y a une troisième raison : la facilité. Pourquoi s'embêter à rechercher un tiers quand la procédure de soins pour péril imminent permet de s'en passer ? Cette raison-là n'est pas acceptable, car on ne saurait faire l'économie du tiers, qui joue un rôle important. C'est la personne sur laquelle continuera de s'appuyer le malade après sa sortie de l'hôpital. Et une sortie se prépare dès l'entrée.

Nous avons appelé l'attention de l'ensemble des instances compétentes en matière de santé mentale sur la forte augmentation du recours aux procédures d'urgence, qui ne se justifie qu'en partie. La facilité que constitue la procédure de soins pour péril imminent sera à terme coûteuse pour le patient et même pour l'hôpital.

Nous avons renvoyé à la HAS et aux CDSP le soin de formuler des recommandations à ce sujet.

J'en viens au contrôle judiciaire et à la question de l'isolement et de la contention.

La première modification que nous avons apportée par la loi du 27 septembre 2013 est la réduction du délai de contrôle du juge des libertés et de la détention : après une longue négociation avec le ministère de la justice, nous avons pu le faire passer à douze jours suivant l'admission au lieu des quinze jours qui figuraient dans la loi de 2011, laquelle s'était calée sur le délai indiqué par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 26 novembre 2010. Nous considérons qu'en matière de libertés, plus le contrôle intervient tôt, mieux c'est.

La réduction du délai de contrôle et le recours accru à l'hospitalisation complète ont conduit à une forte augmentation des décisions : celles-ci ont progressé de 27 % entre 2012 et 2015. En 2013, année où la loi du 5 juillet 2011 a atteint ses pleins effets, il y a eu 65 682 décisions ; en 2015, année où la loi du 27 septembre 2013 a, à son tour, atteint ses pleins effets, il y en a eu 77 791, soit une progression de 18,64 %. Aujourd'hui, ces décisions représentent ainsi près d'un cinquième de l'activité des juges des libertés et de la détention.

Par ailleurs, le taux des mainlevées est bas, ce dont nous pouvons nous féliciter car cela signifie que les procédures sont bien conduites. Il est inférieur à 10 % et se rapproche progressivement des 5 %. Cela n'est pas pour autant négligeable, puisque cela représente 4 000 décisions. Les problèmes ne concernent pas les abus, ou très peu, mais avant tout le respect des délais, la rédaction des certificats et la proportionnalité des mesures, l'hospitalisation complète sans consentement étant attentatoire à la liberté de la personne.

La deuxième modification concerne le déroulement des audiences : la loi de 2011 avait permis qu'elles se tiennent à l'intérieur de l'hôpital psychiatrique ; la loi de 2013 pose le principe selon lequel les audiences à l'intérieur de l'hôpital sont la règle et celles au palais de justice, l'exception. La place du malade mental n'est pas au tribunal, lieu qui peut lui donner l'impression qu'il a quelque chose à se reprocher alors que ce n'est évidemment pas le cas. Le juge apparaît en effet dans l'imaginaire collectif davantage comme une figure répressive que comme une figure bienveillante à l'instar des juges aux affaires familiales ou des juges pour enfants. Tout le monde s'accorde pour dire que les audiences à l'hôpital sont beaucoup mieux vécues par les patients.

Où en sommes-nous ?

Nous déplorons le manque de fiabilité et d'exhaustivité des données, qui caractérise de manière plus générale l'ensemble de l'appareil statistique, défauts appelés à être corrigés. Grâce aux informations que nous avons recueillies, nous avons établi que 60 % des audiences se tenaient à l'hôpital, que 20 % se déroulaient, pour un même tribunal, soit à l'hôpital, soit au palais de justice, et que 20 % n'avaient lieu qu'au palais de justice.

On ne peut pas dire que le cahier de charges pour l'aménagement des salles d'audience brille par sa légèreté. Est-il vraiment besoin de placer une barre devant le juge des libertés et de la détention qui statue sur une hospitalisation contrainte ? À l'évidence, non. Pourtant, l'installation d'une barre est requise. Nous avons pu constater que, dans la salle d'audience dépendant du tribunal de Meaux, une barre était placée devant la table de l'avocat de la défense au côté duquel se tenait le justiciable : curieuse configuration car, habituellement, la barre est placée devant le juge. La salle d'audience devrait ressembler non à une salle de tribunal correctionnel, mais plutôt aux vastes bureaux dans lesquels les juges aux affaires familiales et les juges pour enfants reçoivent les justiciables. Je ne suis pas sûr non plus qu'il soit nécessaire de fixer par écrit la hauteur de l'estrade sur laquelle doit être juché le bureau du président de l'audience…

J'ai ici à vous livrer une petite anecdote. Dans la salle d'audience, sont présents, bien évidemment, le président, qui est le juge des libertés et de la détention, un greffier, un représentant de la défense et dans la plupart des cas le justiciable. Le représentant du parquet, lui, est absent : dans une salle d'audience dont je ne citerai pas le nom, son fauteuil n'a même pas été déballé ! La question de l'assistance fournie par les mandataires à la protection des majeurs est également posée car les gérants de tutelle ou de curatelle, dûment convoqués, sont eux aussi absents.

Ajoutons que les salles d'audience, dans l'immense majorité des cas, sont mutualisées. Quand un tribunal comprend dans son ressort plusieurs hôpitaux psychiatriques, le plus souvent, un seul d'entre eux dédie une pièce à la salle d'audience afin d'accueillir les audiences de patients venant des autres hôpitaux. Il est mieux, pour un patient, de se déplacer dans un autre hôpital plutôt qu'au palais de justice. Le mélange des publics n'est en effet pas favorable aux malades.

Un problème se pose à terme. La réforme du statut du juge des libertés et de la détention, qui prendra effet en septembre prochain, rend cette fonction statutaire. Or il manquera, semble-t-il, des candidats et on ne peut pas nommer sans candidatures. Les chiffres qui nous ont été donnés font apparaître que la pénurie touche un tiers des effectifs. C'est un point auquel nous devrons veiller.

La loi prévoit que les débats peuvent se tenir en chambre du conseil comme devant le juge aux affaires familiales ou devant le juge pour enfants, dans sa fonction civile comme répressive. Or il est très peu recouru au huis clos : les audiences se tenant à l'hôpital, il n'y a pas de public.

Il faut se pencher également sur la façon dont le contrôle s'exerce.

Quel est l'office du juge ? Les magistrats se posent, à juste titre, beaucoup de questions à ce propos. Le contrôle est avant tout formel et porte sur le nombre de certificats requis ou le respect des délais. Si le délai de douze jours est passé, le juge ne peut plus statuer : le patient doit faire l'objet d'une mainlevée et quitter l'hôpital.

Le juge doit néanmoins aborder également le fond. Pour vérifier que les conditions matérielles de l'hospitalisation contraintes sont réunies, il doit apprécier la qualité des certificats. Cela suppose que la langue des certificats soit suffisamment compréhensible et que le magistrat se forme à la psychiatrie. Des formations conjointes réunissant psychiatres, magistrats et avocats sont souhaitables et souhaitées ; l'École nationale de la magistrature (ENM) a d'ailleurs déjà prévu des outils de formation performants dans ce domaine.

S'agissant des avocats, il faut souligner que certains sont allés à ces audiences à reculons. Au barreau de Coutances, le bâtonnier avait même décidé de ne pas désigner d'avocats au motif qu'il leur fallait parcourir quatre-vingts kilomètres pour se rendre à l'audience et que les frais de transport n'étaient pas pris en charge dans l'indemnisation. Les patients de certains hôpitaux n'étaient donc pas défendus, jusqu'à ce que le problème soit résolu par la création de salles mutualisées. Et ce n'est pas le seul exemple qui nous ait été cité.

Il faut être très attentif au vocabulaire employé et aux glissements qui peuvent se produire. Pour un médecin, la personne hospitalisée est un patient, pour le juge elle est un justiciable, pour l'avocat elle est un client. Si un avocat ou un juge la désigne comme un patient, c'est qu'il y a un problème. Chacun doit être attentif à son rôle. Le juge ne doit pas se transformer en psychiatre, il doit appliquer la loi. L'avocat doit rechercher l'intérêt de son client d'un point de vue déontologique et juridique mais il n'est certainement pas en mesure de décider de la façon dont il doit être soigné.

Dernier point à propos du contentieux : ce que les personnes hospitalisées remettent en cause, c'est moins leur hospitalisation elle-même – elles reconnaissent la nécessité pour elles d'être soignées et surtout en soins libres – que les conditions dans lesquelles elle se déroule. Elles se plaignent de l'administration de médicaments aux effets secondaires extrêmement lourds mais aussi de l'isolement et de la contention.

S'agissant des programmes de soins, y a-t-il une possibilité de contrôle ? Si oui, quel est le juge compétent pour les contrôler ? Le recours au programme de soins résulte d'une décision administrative mais nous n'avons pas créé de bloc de compétence dans les lois de 2011 et de 2013, ce qui implique a priori – même si ce n'est pas au législateur d'interpréter la loi – qu'il y a plusieurs juges compétents en ce domaine.

La question du contrôle se pose également pour les sorties d'essai, qui peuvent être de courte durée, accompagnées ou non. Le préfet peut s'y opposer si l'hospitalisation sous contrainte a été faite à sa demande. En ce cas, la décision n'est pas notifiée au patient, qui ignore alors qu'il aurait pu bénéficier d'une telle procédure. Dans ces conditions, quels sont les recours possibles ? Des progrès restent à faire.

Plusieurs personnes ont appelé notre attention sur l'effectivité des droits. Pour la renforcer, peut-être est-il nécessaire de prévoir la mise en place systématique d'un point d'accès au droit (PAD), les avocats n'étant présents qu'au moment des audiences présidées par les juges des libertés et de la détention.

La judiciarisation éventuelle de l'isolement et de la contention constitue un autre enjeu important.

La circulaire n'est pas parue et certaines administrations considèrent qu'en l'absence d'un tel texte la loi n'a pas à s'appliquer. Les législateurs que nous sommes estiment que la loi s'applique dès qu'elle est publiée, à moins qu'un décret soit nécessaire ou que son application soit différée, ce qui n'est pas le cas pour la loi de modernisation de notre système de santé. Certains établissements n'ont pas mis en place les registres prévus par cette loi et ne se conforment pas au régime juridique de l'isolement et la contention. Nous ne sommes pas capables de savoir dans quelle proportion car il n'y pas de traçabilité de ces pratiques.

Nous avons demandé à la HAS de faire du respect de la législation un critère de certification des établissements. La tâche de vérifier la façon dont les établissements se conforment à la législation devrait revenir aux commissions départementales de soins psychiatriques, structures légères et peu coûteuses. La loi a expressément prévu qu'elles puissent avoir accès aux registres.

Je terminerai par une information surprenante. Savez-vous qui publie les rapports annuels des CDSP ? Une association dépendant de l'Église de Scientologie ! Est-il opportun qu'elle continue à le faire ? Je ne le crois pas. Ces rapports sont utiles et nous devons confier à une structure identifiée la charge de les publier et de les exploiter. De manière générale, il convient de revitaliser ces commissions, dont certaines fonctionnent très bien, d'autres pas. Composées de professionnels, d'un magistrat et de représentants d'associations d'usagers, elles posent un nécessaire regard extérieur sur le fonctionnement des établissements psychiatriques qu'elles sont autorisées à visiter alors que les juges ne font que se rendre dans la salle d'audience, sans entrer dans les lieux où vivent les patients ou pénétrer dans les chambres d'isolement. Elles constituent un formidable outil, au même titre que le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, lequel n'est pas en mesure de se rendre dans chaque établissement. Il nous appartient de mieux articuler leurs tâches avec celles des juges des libertés et de la détention. Grâce au travail qu'elles effectuent, de nouveaux progrès pourront être accomplis dans les hôpitaux psychiatriques.

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